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Le « baroud d’honneur » des salariés de la Seita, la dernière usine de cigarettes

Les salariés de la manufacture de Riom, menacés par un plan social, ont soumis un projet alternatif au géant du tabac Imperial Brands. Il a été retoqué.

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Publié le 04 juillet 2017 à 20h59, modifié le 08 juillet 2017 à 09h16

Temps de Lecture 5 min.

Les salariés de l’usine de la Seita devant le siège du géant du tabac Imperial Brands, le 4 juillet 2017 à Paris.

C’est l’un de ces plans sociaux qui se passent loin du regard des médias. A Riom, dans le Puy-de-Dôme, les 239 salariés de la Seita, la dernière usine de cigarettes en France continentale, se battent depuis novembre pour tenter de sauver leurs emplois. « Sans soutien et dans l’indifférence générale », se désole l’un d’eux, convaincu de pâtir de « la mauvaise image du tabac » et d’un calendrier politique bousculé par l’élection présidentielle.

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Mardi 4 juillet, une quarantaine d’entre eux a fait le déplacement à Paris lors de la dernière étape de négociations sur le plan social. Ils veulent convaincre la maison-mère de la Seita, la multinationale britannique Imperial Brands (ex-Imperial Tobacco), de soutenir leur projet alternatif de Société coopérative de production (SCOP).

Les salariés ont calculé qu’il permettrait de sauver 180 emplois, à condition que le groupe cède le bâtiment et les machines pour 1 euro symbolique, et qu’il accepte de sous-traiter l’activité aux salariés pendant cinq ans selon un rythme dégressif.

De son côté, Imperial Brands, numéro deux sur le marché du tabac en France, veut délocaliser ses activités en Pologne et en Allemagne pour « sauvegarder sa compétitivité ». Et ce, malgré une rentabilité inédite dans l’industrie, avec un chiffre d’affaires net de 8,3 milliards d’euros pour l’exercice 2015-2016, en hausse de 10 % et un bénéfice net de 2,7 milliards d’euros.

« Aujourd’hui, c’est la haine et l’injustice qui prédominent, s’étrangle Franck, licencié après vingt-six ans de service à Riom. Ce qui est le plus dur, c’est que ce n’est pas un licenciement économique mais boursier. Si l’entreprise ne bouclait pas ses fins de mois, je comprendrais, mais là, elle fait des énormes bénéfices. »

Des salariés en sont à leur troisième plan social dans le secteur

Les salariés ont travaillé pendant deux mois sur leur projet de SCOP. Ils devaient être fixés dans la matinée de mardi. Des heures en suspens, pendant lesquelles ils trompent l’attente et manifestent leur indignation en jetant des œufs remplis de peinture sur l’immense façade vitrée du siège d’Imperial Brands – protégé pour l’occasion par cinq cars de police et de gendarmerie.

Il y a là deux catégories de salariés. Ceux qui vivent leur premier plan social, dont la colère est restée intacte. Et ceux, blasés, qui en ont déjà enchaîné deux ou trois, au gré des fermetures des usines de cigarettes ces dernières années.

Marcel Notebaert est l’un d’eux. A 47 ans, ce grand barbu à la solide carrure a fait « le tour de France des délocalisations ». Il a connu l’usine de Lille, puis celle de Nantes et enfin Riom, laissant derrière lui femme et enfants pour leur épargner un nouveau déménagement.

Devenu « célibataire géographique », il apprend un an et demi après son arrivée qu’Imperial Brands va fermer l’usine. « Le groupe devait déjà avoir le projet de fermeture dans les cartons, avance-t-il. J’ai un ami qui a fait vendre sa maison à Nantes et migré avec toute sa famille pour venir à Riom. Tout ça pour un an et demi ! Vous imaginez les dégâts ? C’est scandaleux. »

Les 239 salariés de la Seita sont menacés par le plan social du géant du tabac Imperial Brands.

« C’est une page qui se tourne, c’est fini »

José et Liliane (les prénoms ont été modifiés) ont eux aussi vécu au rythme des fermetures des usines de cigarettes. « A la première fermeture, vous pleurez. C’est la plus dure. A la deuxième, vous prenez l’habitude. A la troisième, vous êtes blasé », résume José, bras croisés et regard dans le vide. Le couple avait vendu sa maison à Lille, puis celle à Nantes, où les manufactures ont fermé en 2003 et 2014. A Riom, ils ont opté pour la location, « au cas où ». « On avait compris, explique Liliane. On se disait : “Puisque les autres usines ont fermé, pourquoi celle-là ne le ferait pas ?” » Ils ne pensaient pas avoir raison si tôt.

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Depuis l’annonce du plan social, ils sont montés huit fois à Paris. C’est aujourd’hui la dernière, avant « la fin de la Seita ». « On est venus pour le symbole, pour être présents jusqu’au bout. C’est un baroud d’honneur », lance José, bravache. Il s’interrompt soudain, l’air un peu perdu. « C’est une page qui se tourne, c’est fini. »

Le plan social sera envoyé lundi prochain à la Direccte (inspection du travail) pour validation. Les salariés entameront alors leur « dispense d’activité rémunérée », jusqu’à leur licenciement officiel le 30 septembre. A 51 ans, José sait que retrouver du travail sera « très compliqué ». « On espère s’en sortir, c’est tout. »

Derrière lui, les salariés ont troqué les jets d’œufs de peinture sur la façade contre des balles de tennis. Des rires s’échappent. Ils sont entre copains, encore mobilisés, encore vaillants. L’ambiance bon enfant dissimule pourtant mal la colère et l’angoisse qui percent chez chacun.

Au fil des mois, le climat s’est durci. A la fin du mois de mai, un salarié a « pété les plombs » et tiré au fusil de chasse sur le poste de sécurité de l’usine avant d’être interpellé. Quelques heures plus tard, le poste a été incendié. Depuis cet incident, les salariés n’ont plus le droit de se rendre sur le site, interdit d’accès. « On est chez nous, tranquilles, mais c’est difficile, concède Joël. Ça fait des tensions dans les couples. J’ai des amis qui se séparent à cause de cette fermeture. »

A la différence de certains de ses collègues, lui n’avait jamais imaginé que l’usine fermerait un jour. La déconvenue est d’autant plus grande. Où aller ? « Le boulot ne court pas les rues », soupire le trentenaire. Et Michelin, l’un des plus gros employeurs de la région, vient d’annoncer la suppression de 1 500 postes, dont 970 à Clermont-Ferrand, à côté de Riom.

« On a l’impression de se battre contre un mur »

Après deux heures de négociations avec des représentants d’Imperial Brands, Stéphane Allègre, le secrétaire CGT du comité d’entreprise, descend retrouver le groupe de salariés au pied du siège. Les nouvelles sont mauvaises. Le géant du tabac a rejeté leur projet de SCOP. La multinationale ne le juge « pas viable » et refuse le contrat de sous-traitance avec les salariés. Stéphane Allègre tente de faire bonne figure et annonce la création d’une association « pour mettre des fonds », afin de poursuivre la bataille, et présenter une nouvelle mouture du projet. Il compte aussi faire appel à une « boîte de com ». « Il faut travailler, il faut qu’on parle de nous », lance-t-il au micro.

Contacté, Imperial Brands précise au Monde que la direction est « prête à étudier un nouveau projet à condition qu’il soit indépendant du groupe Imperial Brands [qu’il n’implique pas une sous-traitance par le groupe, ce que réclament les salariés] et qu’il démontre sa pérennité économique ». Le groupe a officiellement jusqu’au 31 décembre pour se prononcer sur d’éventuels repreneurs ou sur un nouveau projet de SCOP.

Marcel Notebaert hausse les épaules. « Ils vont balader les gens pendant des mois. Nos élus font ce qu’ils peuvent, mais c’est beaucoup trop gros pour des petits ouvriers français. » Tout a un air de déjà-vu. « On a déjà vécu ça à Nantes, où ils avaient déjà rejeté un projet de SCOP. Depuis des années, on a l’impression de se battre contre un mur », soupire-t-il, résigné. Un mur de vingt mètres de haut aux vitres teintées et sur lesquelles les salariés continuent d’envoyer, obstinément, quelques balles de tennis.

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