Consommation

Stop à l’obsolescence programmée !

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Atelier de tri et de recyclage d'Envie, réseau d'entreprises d'insertion. L'Ademe préconise la mise en place de filières de pièces détachées de seconde main, via les systèmes de collecte et de recyclage existants. PHOTO : ©Jean Claude MOSCHETTI/REA

Le Parlement européen examine le 3 juillet un rapport sur l’obsolescence programmée. Adopté par la Commission du marché intérieur, le texte, dont l’écologiste Pascal Durand est le rapporteur, doit être voté le 4 juillet par les députés européens. Pour jeter moins et réparer plus, la législation doit en effet évoluer.

Qui ne s’est jamais senti révolté de devoir changer d’ordinateur, d’imprimante ou de machine à laver parce qu’il était impossible de remplacer une pièce ? Le terme d’obsolescence programmée est désormais connu du grand public : il désigne les pratiques des industriels pour limiter volontairement la durée de vie de leurs produits afin d’en vendre plus. « Cette notion ne recouvre pas seulement l’obsolescence matérielle, précise toutefois Laetitia Vasseur, fondatrice de l’association Halte à l’obsolescence programmée (HOP). Il existe aussi une obsolescence numérique, avec par exemple des applications ou des systèmes d’exploitation incompatibles avec une machine pas si ancienne. On observe également une obsolescence psychologique, où le renouvellement rapide des objets est organisé par la pub et la mode. »

La mort rapide de nos objets est-elle vraiment programmée par des forces de l’ombre ? En 1924, les principaux fabricants mondiaux de lampes électriques, confrontés à la chute de leurs ventes, s’étaient entendus pour limiter la durée de vie de leurs ampoules. Un accord secret connu sous le nom du cartel de Phoebus. Mais de telles manoeuvres sont en réalité exceptionnelles car difficiles à organiser. Il faut entre autres conditions que le marché soit aux mains d’un tout petit nombre de fournisseurs, que les clients soient tenus dans l’ignorance et que les autorités de la concurrence ferment les yeux... L’obsolescence trop rapide de nos produits relève le plus souvent de logiques moins perverses.

La durée de vie moyenne d’un réfrigérateur reste de onze ans, treize ans pour un congélateur et dix ans pour un appareil de lavage

Beaucoup de produits classiques conservent cependant des durées d’utilisation relativement élevées : selon le Groupement interprofessionnel des fabricants d’appareils d’équipement ménager (Gifam), la durée de vie moyenne d’un réfrigérateur en France reste de onze ans, treize ans pour un congélateur et dix ans pour un appareil de lavage, n’accusant qu’une légère baisse en trente ans. « Il existe bien sûr des défaillances, explique Erwann Fangeat, ingénieur à l’Ademe, surtout avec les produits low-cost. Mais il faut noter aussi que bien des équipements, les voitures entre autres, sont plus intensivement utilisés aujourd’hui. Par ailleurs, beaucoup de pannes proviennent d’un manque de soin des consommateurs. »

Réparation impossible

En revanche, les produits high-tech qui ont émergé au cours des dernières décennies sont soumis à une obsolescence particulièrement rapide. Celle-ci résulte certes pour une part d’une politique délibérée des fabricants comme dans le cas des batteries d’iPhone, qui étaient au départ soudées sur les modèles pour éviter qu’on ne les change et restent encore aujourd’hui difficiles d’accès à cause de l’usage de vis pentalobes très spécifiques. Mais les consommateurs y sont aussi pour beaucoup : si la durée de vie d’un téléphone portable n’excède pas deux ans en France alors que l’appareil peut fonctionner entre quatre et six ans, c’est parce que nombre de clients veulent absolument le dernier modèle vanté par la publicité !

Il ne faut donc pas céder à une vision excessivement complotiste en la matière. Il serait de toute façon risqué pour une entreprise de mettre sur le marché des produits moins solides que ceux de ses concurrentes. Ceci posé, il n’en demeure pas moins que le renouvellement accéléré des produits est bien le moteur de la croissance économique. Ce consumérisme est facilité par la baisse des prix des produits industriels liée aux progrès de la productivité, aux importations en provenance des pays à bas salaires et au faible prix des matières premières. Ainsi, il est souvent moins coûteux de remplacer un appareil ménager que de le faire réparer !

Selon l’Ademe, seuls 44 % des appareils électriques et électroniques qui tombent en panne sont réparés en France. L’activité de réparation a périclité au cours des quinze dernières années : des enseignes comme Carrefour et les Galeries Lafayette-BHV ont fermé leurs ateliers de réparation.

Seuls 44 % des appareils électriques et électroniques qui tombent en panne sont réparés en France

Une note du think tank La Fabrique écologique insiste sur cette difficulté, voire cette impossibilité, de faire réparer les appareils. Elle est liée en particulier, explique Thierry Libaert, membre du Comité économique et social européen (Cése) et auteur de la note, à la non disponibilité de pièces détachées. Un problème lui-même lié à la mondialisation : beaucoup de ces pièces sont en effet fabriquées par des sous-traitants asiatiques avec lesquels les marques n’entretiennent pas de relations durables.

Face à ce constat, que fait le législateur ? Laetitia Vasseur souligne les avancées inscrites dans la loi sur la consommation de mars 2014, dite « loi Hamon », du nom de Benoît Hamon, ministre de la Consommation à l’époque. En particulier à travers l’extension de la garantie légale. Jusque-là, en effet, la garantie offerte au consommateur durant deux ans par les distributeurs n’était en réalité que de six mois : au-delà de cette période, il incombait en effet au client de prouver que le produit était bien défectueux. Cette garantie a été portée à deux ans effectifs. La loi Hamon oblige également les distributeurs à informer les clients de la disponibilité des pièces détachées. Mais, comme l’a montré l’UFC Que choisir, 60 % des enseignes ne respectent pas cette disposition, notamment parce qu’un décret d’application limite l’obligation d’informer aux entreprises qui fabriquent elles-mêmes ces pièces détachées ! « Cela revient à demander des comptes à ceux qui sont de bonne volonté et non aux autres », s’agace Thierry Libaert.

Enfin, depuis la loi de transition énergétique d’août 2015, l’obsolescence programmée est désormais un délit puni d’une amende de 300 000 euros et d’une peine de deux ans de prison. Une législation qui vise aussi bien les fabricants que les importateurs. Ouvrira-t-elle la voie à des actions en justice, comme dans l’affaire Apple aux Etats-Unis ? Cela reste à voir.

Afficher la durée de vie

HOP souhaiterait aussi étendre la garantie minimale contractuelle à cinq ans sur tous les produits, comme c’est déjà le cas du gros électroménager1. Pour Thierry Libaert, « une telle mesure serait cependant difficile à mettre en oeuvre car, d’une part, il faudrait la faire adopter au niveau européen et, d’autre part, les industriels pourraient la répercuter immédiatement sur les prix ». Même si certains pays comme le Royaume-Uni ou l’Irlande ont mis en oeuvre de telles règles, un rapport commandé par le gouvernement recommanderait le statu quo2. On pourrait cependant déjà afficher au minimum une durée de vie des biens.

Zoom iPhone : procès contre Apple

En janvier 2016, une plainte a été déposée par une centaine de citoyens américains contre Apple devant un tribunal de New York. Les participants à cette action de groupe (class action) réclament à la multinationale, 5 millions de dollars de dommages et intérêts pour publicité mensongère sur son nouveau système d’exploitation iOS 9.

Censé être compatible avec l’iPhone 4S, il en ralentit en réalité l’usage au point de le rendre quasiment inutilisable. Il ne sera cependant pas aisé pour les consommateurs de prouver que Apple a sciemment décidé de ralentir l’iPhone 4S pour les amener à changer d’appareil.

La Fabrique écologique propose aussi d’introduire un critère de durabilité dans le calcul de l’écocontribution que paient les entreprises pour le traitement et le recyclage des déchets induits par leurs produits. Des critères de durabilité pourrait aussi être introduits dans les politiques d’achats publics. Enfin, le statut de lanceur d’alerte devrait être accordé aux salariés qui révéleraient des pratiques organisées d’obsolescence programmée dans leur entreprise.

SEB garantit désormais que ses produits sont réparables durant dix ans

Le renforcement des politiques publiques est d’autant plus attendu que, sur le terrain, les initiatives se multiplient. SEB, entreprise d’électroménager très impliquée dans l’écoconception, garantit désormais que ses produits sont réparables durant dix ans et les pièces détachées disponibles durant toute cette période. Malongo fabrique des machines à café garanties cinq ans dont les pièces sont facilement remplaçables. Fairphone, au Danemark, propose des téléphones non seulement écoconçus, mais aussi plus durables puisqu’ils prévoient des modules remplaçables.

Il ne s’agit cependant pas seulement de faire évoluer l’offre, il faut aussi soutenir les métiers de la réparation pour allonger la durée de vie des produits. L’Ademe propose d’accélérer la croissance de ce secteur par des exonérations de TVA. Mais la disponibilité de pièces détachées demeure un frein. L’impression 3D de pièces plastiques ou métalliques devrait permettre « de fabriquer certaines pièces à la demande et à bas coûts », explique Erwann Fangeat. Pour l’Ademe, il faut déjà s’appliquer à construire des filières de pièces détachées de seconde main, via les systèmes de collecte et de recyclage, comme le réseau Envie qui regroupe des entreprises de l’économie sociale et solidaire.

On peut faire autrement !

Les acteurs du reconditionnement comme Leboncoin, Back Market, reBuy ou Recommerce (pour les smartphones) donnent aussi une seconde vie aux produits. Sans oublier l’essor des ateliers de réparation associatifs tels les FabLab ou les Repair Café (plus d’une centaine en France) et des Ressourceries comme Emmaüs Défi qui permettent de sauver des objets de la décharge.

« Si un fabricant vous loue un four ou une imprimante au lieu de vous le vendre, son intérêt sera qu’il marche le plus longtemps possible ! »

Plus globalement, il faudrait substituer au maximum l’usage à la possession. La location ou l’usage partagé des automobiles commencent certes à se développer, mais ces pratiques pourraient être étendues à d’autres biens, comme l’électroménager ou l’informatique. « Si un fabricant vous loue un four ou une imprimante au lieu de vous le vendre, rappelle Laetitia Vasseur, son intérêt sera qu’il marche le plus longtemps possible ! » Ces pratiques sont déjà usuelles dans le business to business (B to B), le commerce entre entreprises - avec Xerox louant ses photocopieurs par exemple ou Michelin ses pneus pour les flottes de camions -, mais elles restent très peu fréquentes dans le business to consumer (B to C), vers les ménages.

Il est en tout cas urgent de changer de modèle : l’Europe génère actuellement chaque année 10 millions de tonnes de déchets électriques et électroniques. De plus, l’obsolescence programmée a également un coût social élevé, rappelle Thierry Libaert : « Ce sont les personnes défavorisées qui sont le plus pénalisées car les produits d’entrée de gamme sont souvent les plus fragiles. »

Cet article a été initialement publié le 15 février 2017.

  • 1. HOP a lancé une pétition sur le sujet : www.halteobsolescence.org/etendre-la-garantie-une-bonne-idee.
  • 2. Lire "Prolonger la garantie des produits : un rapport pour rien ?", par Claire Alet, 5 octobre 2016 sur www.alterecoplus.fr/prolonger-garantie-produits-un-rapport-rien/00012303

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Commentaires (1)
THIERRY 15/02/2017
Vision un peu angélique. Dans le domaine du numérique l'obsolescence est bien organisée et s'aggrave. Les derniers smartphones ont des batteries inamovibles et des chargeurs incompatibles avec la génération précédente. Voir le dernier article du Monde comparant cinq marques toutes avec la même stratégie. ..Et ce sur du matériel utilisant des matériaux rares !
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