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Quand Varoufakis dévoile les coulisses de l’Europe

Dans son dernier livre, l’ancien ministre des Finances grec lève le voile sur les coulisses européennes. Un témoignage décapant. En voici deux épisodes.

Par Isabelle Couet

Publié le 2 juil. 2017 à 11:06

Deux ans après avoir été poussé à la démission, Yanis Varoufakis, ancien ministre grec des Finances, réputé pour son anticonformisme a publié un livre choc révélant les dessous des négociations entre son pays et la Troïka pendant ses six mois au gouvernement. Il décrit notamment sa rencontre avec Michel Sapin et son premier Eurogroupe vécu comme une expérience kafkaïenne.

MICHEL SAPIN, l’HOMME AUX DEUX DISCOURS

En préparation de son premier Eurogroupe, le nouveau ministre des Finances grec Yanis Varoufakis fait la tournée de plusieurs capitales européennes. Il rencontre Michel Sapin à Paris pour lui expliquer son plan pour la Grèce.

Le Grec et sa petite délégation sont accueillis à Bercy par un homme jovial et chaleureux, « typiquement latin dans sa gestuelle et son langage corporel ». Tout le monde s’asseoit, y compris les traducteurs appelés en renfort car Michel Sapin est « le seul ministre de l’Eurogroupe ne parlant pas anglais », rapporte Varoufakis. Le ministre d’Alexis Tsipras est invité à exposer ses idées  : il évoque son plan de restructuration de la dette grecque et, espérant sans doute faire mouche, propose de bâtir « une nouvelle relation entre son pays et l’Union européenne inspirée du contrat social de Jean-Jacques Rousseau ».

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La réponse de Michel Sapin le comble au-delà de ses attentes : « Le succès de votre gouvernement sera aussi le nôtre. Il est important que nous changions l’Europe ensemble et que nous remplacions cette obsession de l’austérité par un agenda pro-croissance. La Grèce en a besoin, la France en a besoin, l’Europe en a besoin ». Encouragé, Yanis Varoufakis se met à détailler des mécanismes un peu complexes par lesquels la BCE et BEI pourraient efficacement soutenir l’économie européenne, en réduisant la dette et encourageant l’investissement. Son interlocuteur acquiesce et réaffirme avec emphase la promesse de François Hollande « Ensemble, nous devons redémarrer l’Europe.»

Victoire ! Yanis Varoufakis sent un vent de révolution se lever dans l’enceinte de Bercy. « C’est tout juste si Michel ne m’a pas attrapé la main pour qu’on aille prendre la Bastille en chantant la Marseillaise », raconte-t-il avec une pointe d’ironie.

Mais l’atmosphère va rapidement changer et le souffle révolutionnaire retomber. Dans le couloir qui mène à la salle de presse, le locataire de Bercy avertit son homologue que Berlin, avec qui il est en contact, n’a pas du tout apprécié que les Grecs viennent à Paris sans passer par la capitale allemande. Une faute que Michel Sapin lui conseille de réparer au plus vite. « Allez-les voir », lui dicte le Français, avec une petite tape dans le dos.

Deux pupitres côte à côte, placés devant les drapeaux français, grec et européen, les attendent dans la salle de presse. Le ministre français parle le premier et souhaite la bienvenue à son nouvel homologue, tout en reconnaissant les sacrifices énormes consentis par le peuple grec. Et tout d’un coup, plus aucune trace de jovialité et de camaraderie. Yanis Varoufakis croit entendre une voix venue d’outre-Rhin : « obligations à l’égard des créanciers », « discipline », Michel Sapin rappelle les Grecs à leurs devoirs et balaie tout espoir de changements significatifs dans l’accord qui lie Athènes à la Troïka (Commission, BCE et FMI). Pour le ministre grec, c’est un véritable « coup dans l’estomac ».

Yanis, vous devez comprendre une chose. La France n’est plus ce qu’elle était

Sitôt sorti de la salle, le locataire de Bercy remet le masque du sympathique « cousin, que l’on n’a pas vu depuis longtemps », en prenant la main de Varoufakis. Ce dernier l’interroge : « Mais qui êtes-vous, qu’avez-vous fait à mon Michel ? »  Cette fois, le Français comprend sans avoir besoin de traduction. Et lui répond « Yanis, vous devez comprendre une chose. La France n’est plus ce qu’elle était. »

Un aveu terrible qui, dans les mois qui suivent, sera étayé par de nombreuses preuves. Les dirigeants français (à l’exception d’Emmanuel Macron, le seul qui trouvera grâce aux yeux du Grec) ne veulent prendre aucun risque et certainement pas abîmer leur crédibilité en soutenant un gouvernement de Gauche radicale, alors qu’ils jouent eux-mêmes gros dans cette partie: Paris sait qu’il est dans le viseur de Berlin et de la Commission sur les questions de discipline budgétaire.

Dans l’ascenseur, Michel Sapin confie à Varoufakis qu’il n’a pas fait d’études d’économie. «Savez-vous quel était le sujet de ma thèse? L’histoire de la monnaie ancienne d’Egine». Grand sourire de l’Enarque. Enfin, au moment où la petite délégation athénienne s’apprête à sortir, le ministre s’élance vers eux pour leur livrer un précieux enseignement: comment nouer une cravate à la française.

LA MECANIQUE IMPITOYABLE DE L’EUROGROUPE

L’Eurogroupe du 11 février 2015 est le premier sommet du nouveau ministre grec. Il le sait, c’est le rendez-vous de tous les possibles et de tous les dangers. Yanis Varoufakis, à qui les Grecs ont confié la mission de renégocier l’accord avec la Troïka, l’a préparé en allant présenter son plan pour la Grèce à un certain nombre de ministres des Finances européens.

«L’Eurogoupe est une créature intéressante. Il n’a aucune base légale dans les traités européens et pourtant c’est le lieu où sont prises les décisions les plus cruciales pour l’Europe», analyse le nouveau venu. A quoi ressemble une réunion de cette instance si peu connue du grand public? Yanis Varoufakis explique que tout se passe autour d’une «immense table rectangulaire» et que les ministres des Finances, chacun accompagnés d’un conseiller, s’installent de part et d’autre de la table.

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«Mais le vrai pouvoir est assis à chaque extrémité»: d’un côté, Jeroen Dijsselbloem, le président de l’Eurogroupe, et le FMI (Christine Lagarde, Poul Thomsen). De l’autre, le letton Valdis Dombrovskis alors vice-président de la Commission européenne «dont le rôle véritable consiste à contrôler - à la demande de Wolfgang Schäuble - Pierre Moscovici, le commissaire aux affaires économiques et financières». A leurs côtés, les représentants de la BCE. Son président Mario Draghi se trouve ainsi tout proche du ministre allemand Schaüble, une zone où l’atmosphère est chargée d’électricité, à en croire l’outsider plongé dans le cœur du réacteur européen.

La Troïka a pris le pouvoir dans la gouvernance européenne

Yanis Varoufakis identifie un groupe particulier: celui qu’il baptise ironiquement la bande de « groupies ». A savoir, les ministres finlandais, slovaque, autrichien, portugais, slovène, letton, lithuanien et maltais. Autrement dit, ceux qui ne vont faire qu’appuyer Schaüble et Dijsselbloem.

«Dans les réunions normales de l’Eurogroupe, un fascinant rituel illustre la manière avec laquelle la Troïka a pris le pouvoir dans la gouvernance européenne». Ce rituel consiste à donner d’abord la parole aux personnalités non élues, Commission, FMI, BCE donc. Mais le sommet du 11 février, crucial pour le nouveau gouvernement grec, va introduire un peu de nouveauté. «Pour la première fois un pays (est) représenté par un ministre des Finances élu sur la base d’un programme consistant à s’opposer à la Troïka», relève Yanis Varoufakis. Par ailleurs, Dijsselbloem a contacté le Premier ministre grec pour l’inciter à envoyer trois personnes et non deux, comme le veut la règle. Le trublion Varoufakis est ainsi flanqué de deux autres représentants de la Grèce. Deux hommes qui ne partagent pas totalement ses idées, et encore moins son plan de marche.

Le moment tant attendu arrive: le Grec prend la parole et détaille les changements que la Grèce souhaite introduire dans l’accord précédemment signé avec la Troïka. Il demande à ce que soit distribué le texte qu’il a rédigé et qui résume ses propositions. Premier couac. Le secrétariat lui explique qu’il y a un problème. Le président de l’Eurogroupe confirme: c’est impossible. Varoufakis a du mal à comprendre. Mais la réponse ne tarde pas à venir: si un tel document circule, alors le ministre des Finances allemand Wolfgang Schaüble sera contraint légalement de le présenter au Bundestag. Et cela, personne ne peut le souhaiter, compte tenu des tensions politiques qu’un tel enjeu peut créer outre-Rhin.

Le projet de communiqué final de l’Eurogroupe - le but ultime de la réunion - est en revanche distribué. «Un seul regard (suffit) à comprendre qu’il est impossible de l’accepter puisqu’il engage explicitement la Grèce à aller au bout du deuxième programme d’ajustement et à mettre en œuvre l’intégralité du Memorandum of Understanding (MoU)», déplore Varoufakis. Il est simplement mentionné qu’une « flexibilité maximale » sera accordée mais dans le strict respect du programme. Autrement dit : 0 flexibilité.

Le ministre grec s’en émeut et tente le compromis: ajouter le mot « amendé » derrière le terme « programme ». Ses deux compatriotes acquiescent. Dijsselbloem demande une interruption de la réunion. Quand elle reprend, Schaüble allume son micro et explique pourquoi il ne peut pas accepter. Un terme ajouté au communiqué supposera d’aller devant le... Bundestag!

Entre le Grec et l’Allemand s’engage un véritable bras de fer. Lequel des deux va plier et donc soumettre son Parlement à la décision de l’autre? Varoufakis est bien décidé à ne pas céder, malgré les regards furieux et l’hostilité évidente de Dijsselbloem. Pour accentuer la pression, on lui rappelle que si le communiqué n’est pas publié le jour même, les délais de ratification par les différents parlements seront impossibles à tenir et qu’il n’y aura donc aucune extension de l’aide à la Grèce avant le 28 février, date à laquelle la BCE sera donc obligée «de débrancher la prise»… autrement dit d’arrêter les prêts aux banques grecques. Et donc de pousser la Grèce vers la sortie de l’euro.

Christine Lagarde se décide à jouer les médiatrices et fait une suggestion. «Est-ce que l’on pourrait mettre le terme ’ajusté’?» Le ministre grec accepte, à condition d’évoquer aussi la «crise humanitaire» qui secoue la Grèce. Dijsselbloem refuse catégoriquement. Cela fait dix heures que la réunion a commencé. Schaüble sort de la salle. Tout le monde s’interroge. Le tout-puissant ministre revient. La discussion reprend, mais de manière complètement désordonnée. Le clan des «groupies» demande à Varoufakis s’il a l’intention de faire sortir la Grèce de l’euro. Et finalement, sans qu’aucun communiqué final ne soit validé, tous les participants s’en vont. Reste à affronter la presse et minimiser le drame qui vient de se nouer.

Yanis Varoufakis, Adults in the Room, My Battle with Europe’s Deep Establishment, The Bodley Head, 2017

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