Partager
Politique

Pourquoi Macron doit absolument abandonner Jupiter

Plus que jamais devant le Congrès, Emmanuel Macron est salué comme le président Jupiter. Or, nous en sommes au moment où ce concept, mal compris par la majorité de la classe politico-médiatique, est en passe de se retourner contre le président. Jupiter, attention danger!

1 réaction
Emmanuel Macron, le 2 juillet à Bamako.

Mauvais signe pour Jupiter que l’on puisse se moquer de son incarnation. La détourner. En faire un objet de dérision.

(c) AFP

Et souviens-toi, si tu ne viens pas à Jupiter, Jupiter ira à toi! Pauvre citoyen, Prométhée de l’information, condamné à  supporter le journalisme du "pia-pia-pia" qui, à longueur de journée, lui dévore les entrailles en mode Jupiter. Jupiter est permanent. Jupiter est continuité. Jupiter est tout. Jupiter est partout. Jupiter à la télé. Jupiter à la radio. Jupiter dans les journaux. Jupiter sur les réseaux sociaux… A la fin des fins, Macron-Jupiter, comment dire? Ras-le-bol.

Macron monte des escaliers quatre à quatre? Démarche athlétique, digne de Jupiter. Macron serre la main à Trump de manière virile? Poignée de main jupitérienne. Macron reçoit Poutine à Versailles? Jupiter est jupitérien. Il n’est plus rien touchant à la personne et à l’action du nouveau président qui ne soit étalonné en fonction de la conception que se font les adeptes du commentaire politique de l’instant préposés à la couverture des activités de Jupiter président. Pourvu que, tel Louis XIV, il ne plaise pas à Emmanuel Macron de déjeuner en public. Jupiter a-t-il bien tenu sa fourchette? La mastication présidentielle entre-t-elle dans l’ordre du divin?  Le vin servi au premier d’entre les Français est-il un nectar digne de l’Olympe?

Et cela va jusqu’à la une de Libération: "Manupiter à Versailles". Tiens donc! Une caricature? Mais quel est donc ce Jupiter dont on ose se moquer. De quel droit cette rupture? Mauvais signe pour Jupiter que l’on puisse se moquer de son incarnation. La détourner. En faire un objet de dérision. Si Jupiter n’inspire plus ni respect, ni crainte, ce n’est plus Jupiter. Son ontologie est réduite à néant. Faut-il ici rappeler que c’est pour cette raison que Jupiter est supposé briser les miroirs renvoyant de lui une image qu’il n’aime pas?

Un objet de raillerie et de ridicule

C’est qu’Emmanuel Macron a désormais un problème. Le concept "Jupiter", mal vulgarisé par la classe politico-médiatique, est en passe de devenir un objet de raillerie et de ridicule. Pire encore, au "pia-pia-pia" de l’information en temps réel est venu s’ajouter la bourde d’un ministre, Bruno Le Maire qui, en jouant les Lauzun de l’époque, a porté un coup fatal à Jupiter, le concept. "Emmanuel Macron is Jupiter, I am Hermès, the messenger" a proclamé le ministre de l’Economie aux Etats-Unis. Tragique erreur. Celle qu’il ne fallait surtout pas commettre. Bruno Le Maire a définitivement ringardisé le concept. Il l’a tué. Ce ne peut plus être désormais qu’un motif de moquerie.

Jupiter n’est rien de ce qu’en disent les uns et les autres. A l’origine, il y a trente ans, c’est une invention de Jacques Pilhan, Gérard Colé et leurs camarades, destinée à conceptualiser la stratégie politique de François Mitterrand à la veille des élections législatives de 1986 et en vue de la présidentielle 1988. En son incarnation, Jupiter est une verticalité supposée coller à l’exigence d’horizontalité de l’époque. Il lance la foudre, symboliquement parlant, certes, parce qu’il est avant tout le protecteur, le bouclier dont la Nation France a besoin.

Le 14 juillet 1986, en plein début de cohabitation, Jupiter frappera le Premier ministre Jacques Chirac en refusant de signer les ordonnances privatisant les joyaux de l’industrie française, le tout au nom de la protection de la France et des Français. Acte fondateur qui propulsera Tonton-Jupiter vers sa triomphale réélection. Mais à l’époque, Jupiter ne se disait pas Jupiter. Le concept demeurait secret, partagé par quelques initiés. Et les ministres n’auraient osé se désigner eux-mêmes Hermès. Le second rideau, qui ouvre sur les coulisses, ne se levait jamais. Pour que Jupiter, le concept, ne soit pas dévoyé par le commun, les incultes et les ennemis, il se devait de demeurer invisible.

Au terme de son premier mois d’exercice du pouvoir, voici Emmanuel Macron pris au piège du dévoiement de Jupiter. Ce qu’il avait pensé avec justesse, au regard de la demande des Français, éprouvés par l’hyperprésidence médiatique Sarkozy et usés par la présidence normale Hollande, soit un retour aux fondamentaux posés sous l’ère Mitterrand, elle-même adaptation de la présidence gaullienne, se retourne contre lui. La faute du "Pia-pia-pia". La faute de Bruno Le Maire.

Un objet télévisuel comme les autres

Emmanuel Macron est désormais le Jupiter auquel la sphère médiatique renvoie une image qui n’est pas celle qu'il entendait donner. Signe des temps, sa volonté de s’exprimer devant le congrès a réactivé le mot "hyperprésidence". Ce n’est pas à prendre à la légère. Le risque est grand pour lui de se voir ramener à ce qu’il entendait ne pas incarner: la présidence de l’anecdote et du coup d’éclat permanent, où la communication n’est pas pensée pour le politique mais pour la communication elle-même, soit une présidence dont le but quotidien est de passer à la télé pour passer à la télé. Le bruit médiatique orchestré autour du making-of de la photo officielle a mis en évidence le danger. Là où il n’y a plus de mystère, il n’y a plus de Jupiter possible, à plus forte raison quand Jupiter n’est plus craint, ni respecté, mais déjà caricaturé.

Si, à l’instar de ses deux prédécesseurs, Emmanuel Macron devient un objet télévisuel comme un autre, même malgré lui, victime de tous ceux qui retournent contre lui le concept Jupiter, par inculture ou par malice politique, alors ce sera la mort politique par dérision, celle qui n’offre aucun espoir de résurrection.

Emmanuel Macron, Jupiter dévoyé contre son gré, est ainsi éloigné, peu à peu, de la route qu’il entendait s’assigner pour lui-même en octobre dernier, quand il déclarait à Challenges: "Qu'est-ce que l'autorité démocratique aujourd'hui? Une capacité à éclairer, une capacité à savoir, une capacité à énoncer un sens et une direction ancrés dans l'Histoire du peuple français. C'est une autorité qui est reconnue parce qu'elle n'a pas besoin d'être démontrée, et qui s'exerce autant en creux qu'en plein". Et de réclamer alors le retour à une présidence jupitérienne de temps long, "gaullo-mitterrandienne", "fondée sur un discours du sens, sur un univers de symboles, sur une volonté permanente de projection dans l'avenir, le tout ancré dans l'Histoire du pays".

Cet objectif reste une nécessité. Mais désormais, pour y parvenir, il faut que Jupiter, le mot, disparaisse du champ public pour que le concept perdure. Conclusion: pour demeurer Jupitérien, Jupiter doit cesser d’être Jupiter. Le mot doit disparaître du vocabulaire présidentiel et de celui de son entourage. En on et en off. Il faut que Jupiter meure pour que Jupiter vive.

1 réaction 1 réaction

Centre de préférence
de vos alertes infos

Vos préférences ont bien été enregistrées.

Si vous souhaitez modifier vos centres d'intérêt, vous pouvez à tout moment cliquer sur le lien Notifications, présent en pied de toutes les pages du site.

Vous vous êtes inscrit pour recevoir l’actualité en direct, qu’est-ce qui vous intéresse?

Je souhaite TOUT savoir de l’actualité et je veux recevoir chaque alerte

Je souhaite recevoir uniquement les alertes infos parmi les thématiques suivantes :

Entreprise
Politique
Économie
Automobile
Monde
Je ne souhaite plus recevoir de notifications