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Philippe Labro : «L'immodestie est un mal très français !»

JOEL SAGET/AFP

INTERVIEW - À presque 81 ans, le journaliste raconte un échec total, dans les années 70. Une expérience qui lui a appris la notion d'humilité. Quentin Périnel, journaliste et chroniqueur au Figaro, recueille «le plus bel échec» d'une personnalité.

Place du Trocadéro. En retard à mon rendez-vous, je monte quatre à quatre les marches en marbre d'un immeuble cossu de l'avenue Paul Doumer, où m'attend Philippe Labro. Une sonnerie retentit. Sur mon iPhone, une alerte du Figaro m'indique que Simone Veil est décédée. Naturellement, c'est donc un Philippe Labro un peu troublé qui m'ouvre la porte. «Ah, mon jeune ami, vous avez vu la nouvelle, c'est terrible, commence-t-il en m'installant dans un fauteuil. Je crains que nous ne soyons quelque peu perturbés par la sonnerie de mon téléphone.» Effectivement, à peine assis, le patron du Point l'appelle pour savoir s'il peut écrire une chronique sur le sujet.

À presque 81 ans, le journaliste, chroniqueur, écrivain, réalisateur - et j'en passe! - qui a publié il y a quelques semaines Ma mère, cette inconnue* aux éditions Gallimard a une grande expérience de la vie, qu'il continuera de savourer jusqu'à la fin. «Je ne partirai jamais à la retraite», me confie-t-il avec un regard à la fois malicieux et bienveillant. Après quelques mots sur Simone Veil, nous commençons à aborder la vraie raison de ma présence dans son bureau du XVIe arrondissement. «J'ai toujours considéré que l'échec était une chose formidable», assène l'auteur en terminant son café.

LE FIGARO. - L'échec a-t-il une place particulière dans votre vie?

PHILIPPE LABRO. - Comme n'importe quel être humain, oui! J'ai échoué de nombreuses fois, dans différents contextes. Mais j'ai très vite intégré le principe très simple selon lequel tout échec est enrichissant! Marguerite Yourcenar disait d'ailleurs cette phrase très sage: «Quoi qu'il arrive, j'apprends. Je gagne à tout coup.» Elle avait mille fois raison. J'ai connu beaucoup d'échecs, donc, mais le plus cuisant remonte à 1974 et au film Le hasard et la violence, un film tourné sur la Côte d'Azur avec Yves Montand, Katharine Ross, Riccardo Cucciola... Et beaucoup de beau monde!

L'affiche du film, réalisé en 1974.

On peut donc échouer avec un casting pareil?

Évidemment! Avoir des têtes d'affiche et des stars ne change rien à l'affaire... On ne peut pas compter que là-dessus! Si le scénario et l'écriture sont mauvais, le film sera forcément mauvais.

Que s'est-il passé?

De nombreux facteurs ont engendré cet échec. Le premier est d'ordre psychologique. À l'époque, j'étais en plein deuil de Jean-Pierre Melville, mon mentor dans le cinéma... Le timing n'était donc pas excellent, j'étais ombragé, surplombé par ce moment difficile. Mais surtout, j'ai eu la prétention de penser que j'étais un auteur avec un grand A et que je pouvais construire de toutes pièces un film à moi tout seul! Quelle immodestie de ma part! Résultat, Le hasard et la violence fut un échec total, artistique, commercial... Un désastre!

Cet échec vous a donc appris l'humilité?

Entre autres. C'est une ambition personnelle qui a mal tourné! Je voulais sortir du genre polar que j'affectionnais alors pour essayer d'imposer ma vision de l'amour, avec une tonalité portée vers l'absurde. C'était hasardeux. Lorsqu'on écrit un film, il faut se mettre au service des spectateurs, et non pas se laisser aller à des divagations personnelles et prétentieuses! Je n'ose pas vous parler des résultats au box-office. Quant aux critiques, elles ont évidemment été dévastatrices! Cela m'a atteint, évidemment, mais cela m'a surtout donné une bonne leçon d'humilité. C'est un marqueur d'intelligence, selon moi: lorsqu'on fait une erreur, on ne la refait pas une deuxième fois...

Vous avez publié Tomber sept fois, se relever huit, en 2003 chez Gallimard. Ce titre a des allures de maxime sur l'échec...

Vous avez raison, mais le sujet du livre est bien différent. Ce récit, qui raconte l'histoire de ma dépression, a fait couler beaucoup d'encre... À l'époque, le «burn-out» n'était pas encore généralisé et au cœur de l'actualité comme il l'est aujourd'hui... Les hommes, particulièrement, ont beaucoup de mal à parler de cela et à se confier.

LIRE AUSSI: Alexandre Mulliez: «Comment j'ai fait un burn-out à 25 ans»

Vous connaissez très bien les États-Unis. Pourquoi leur vision de l'échec est-elle si différente, si positive?

Vous savez, je pense que cette théorie est vraie, mais un peu exagérée! Les Américains pardonnent certes plus facilement les petits échecs, mais les échecs vertigineux sont beaucoup plus mal vécus. Ils ont inventé le mythe du «loser», qui est un terme très fort. Il y a les perdants et les «losers». Les Américains sont plus sévères vis-à-vis des seconds. Quant aux Français, ils sont fins, cultivés, intelligents... mais tellement immodestes! C'est cette immodestie qui fait que nous avons du mal à accepter l'échec.

Dans la littérature française, l'échec est une matière très fréquemment utilisée...

Absolument! Pour une nation littéraire comme la nôtre, l'échec est un délicieux terreau! Cette citation d'André Gide selon lequel «on ne fait pas de bonne littérature avec des bons sentiments» résume tout. On trouve des échecs dans Flaubert, Stendhal, Balzac, Maupassant... Et aussi dans Michel Houellebecq. Ce dernier est un formidable analyste de l'échec social!

*«Ma mère, cette inconnue», de Philippe Labro, aux éditions Gallimard. 17 euros.

Philippe Labro : «L'immodestie est un mal très français !»

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51 commentaires
  • A.Kronos

    le

    Modestie peut être. Mais pas arrogance et morgue que je constate dans beaucoup d'autres pays.
    Mais si vous voulez connaître la véritable humilité allez alors en Asie. Et l'arrogance extrême aux USA. Nous sommes entre les deux. A la fois coq gaulois, rustre et bagarreur, fiers de nos teaditions, mais aussi pays du siècle des lumières, brillant par sa culture et surtout sa capacité à comprendre et vivre dans la culture de l'autre.

  • BMMJL

    le

    Une photo inquiétante pas vraiment empreinte de modestie. Est-ce qu'il empoigne le rebord d'un bureau avec l'autre main.

  • Stigh

    le

    "L'immodestie" française? Un poncif éculé quand on connait la culture anglo-saxonne actuelle où l'arrogance et le sarcasme sont constants.