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Ces femmes précaires qui renoncent à se faire soigner

(Photo d'illustration)

(Photo d'illustration) - Philippe Huguen-AFP

Le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes dévoile ce vendredi un premier rapport préoccupant sur l'accès aux soins des femmes précaires, grandes oubliées des politiques publiques.

C'est le premier rapport du genre et il est alarmant. Le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes publie ce vendredi une étude, que BFMTV.com a pu consulter, sur la santé et l'accès aux soins des femmes en situation de précarité, dont la spécificité est de cumuler plusieurs difficultés.

"La France et les pays de niveau socio-économique équivalent ont connu une importante amélioration de l'état de santé de leur population, comme en attestent des indicateurs de santé publique: allongement de l'espérance de vie, net recul de la mortalité infantile, etc. Pourtant, les progrès accomplis ne profitent pas à toutes et tous et les inégalités sociales de santé perdurent", annonce le rapport en préambule.

Elles renoncent à se faire soigner

C'est particulièrement vrai pour les femmes, qui constituent la majorité des personnes précaires. Le Haut Conseil rappelle qu'elles représentent 70% des travailleurs pauvres et 62% des emplois non qualifiés. Si l'espérance de vie des femmes reste supérieure (85,4 ans en 2016) à celle des hommes (79,4 ans), ces précaires conjuguent cependant différents facteurs qui les rendent particulièrement vulnérables: isolées, seules à s'occuper des enfants, des horaires de travail contraignants, des postes peu qualifiés et de faibles moyens financiers. Elles représentent ainsi six personnes sur dix ayant reporté ou renoncé à des soins au cours de l'année précédente.

"Depuis 15 ans, chez les femmes, les accidents de travail sont en forte augmentation, les maladies professionnelles reconnues connaissent une hausse de 155%", insiste le rapport.

"Plusieurs millions de femmes"

Elles sont par ailleurs plus exposées que les hommes aux troubles psychologiques. Elles ont un moindre suivi gynécologique, ont moins recours aux dépistages du cancer du sein et du col de l'utérus. Autre exemple: la mortalité prématurée liée aux maladies cérébro-cardiovasculaires chez les ouvrières est trois fois supérieure à celle des cadres.

Il est difficile d'évaluer le nombre de ces femmes précaires, mais Margaux Collet, co-rapporteure jointe par BFMTV.com, estime que "plusieurs millions de femmes" sont concernées par ces difficultés d'accès aux soins. Leurs points communs: elles sont en situation d'insécurité.

"Ces femmes, déjà victimes d'inégalités sociales et économiques, n'ont pas un égal accès aux soins. Ce qui s'explique par des difficultés financières, mais aussi des questions de temps: elles ont des horaires de travail fractionnés et passent des heures dans les transports. Elles gèrent seules les enfants et les tâches domestiques -ce qu'on appelle la charge mentale- et sont moins informées quant à leurs droits aux soins. Leur santé passe en dernier. Et souvent il est trop tard: c'est déjà grave et urgent."

"Les politiques publiques sont pensées au masculin"

Le Haut Conseil à l'égalité formule ainsi 21 recommandations. La première d'entre elles: intégrer la question du genre dans la lutte contre les inégalités sociales. "Les politiques publiques sont pensées au masculin neutre", regrette Margaux Collet. "Elles correspondent aux situations et au quotidien des hommes. Tout comme les critères de prise en compte de la pénibilité au travail, les femmes sont complètement invisibles sur ce sujet. Elles sont hors radar."

La responsable des études du Haut Conseil évoque la non prise en compte de certaines particularités des postes exercées par ces femmes: des tâches répétitives sans autonomie et souvent exposées à des violences internes à l'entreprise, ou externes. Les femmes de ménage sont en contact avec des produits toxiques à longueur de journée et souvent peu protégées. Autre situation particulière: les hôtesses de caisse. "Et pourtant, porter ou pousser un pack d'eau de 9 kilos toutes les 10 minutes, sept heures par jour, c'est un critère de pénibilité", ajoute Margaux Collet. C'est aussi la première cause de troubles musculo-squelettiques.

"Si l'on souhaite l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, il y a là une occasion avec la réforme du code du travail", insiste-t-elle, lançant un appel au gouvernement.

"Elles sont les grandes invisibles"

Parmi les autres recommandations, allonger les temps de consultation dans les centres de soins et mieux former les soignants afin qu'ils puissent prendre en charge ces femmes "de manière globale". "L'approche doit être pluri-professionnelle, pour évoquer les questions de logement, l'exposition éventuelle à des risques, dépister les violences, sensibiliser à l'accès aux soins", conseille la co-rapporteure, qui propose que des travailleurs sociaux accompagnent les médecins.

"Chez les femmes précaires, le sexisme de la société, les violences et les inégalités sociales se conjuguent. C'est difficile à saisir et à prendre en compte, mais si l'on passe à côté, les injustices dont elles sont déjà victimes se renforcent. Car ces femmes, on les entend peu et elles ont peu de moyens pour se faire entendre. Si on les voit tôt le matin dans le métro, elles sont les grandes invisibles des politiques publiques."
Céline Hussonnois-Alaya