Les algues vertes prolifèrent toujours en Bretagne

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Les algues vertes prolifèrent toujours en Bretagne

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L'une des plages d'Hillion (Côtes-d'Armor), fermée temporairement à cause des algues vertes
L'une des plages d'Hillion (Côtes-d'Armor), fermée temporairement à cause des algues vertes
© Radio France - Catherine Duthu

Reportage. Malgré l'engagement des agriculteurs et des collectivités, le mal persiste. Pire et plus tôt encore que précédemment, en particulier dans la baie de Saint-Brieuc. Des plages ont déjà dû être fermées et un nouveau plan de lutte a été lancé ce mardi. Reportage.

Elles sont plus précoces et plus nombreuses que les années précédentes. Dans la baie de Saint-Brieuc (200.000 habitants), 6.000 tonnes d’algues vertes ont déjà été ramassées depuis fin avril, soit presque autant que les deux dernières années réunies. Les algues vertes prolifèrent cette année, notamment à cause de conditions météorologiques favorables (hiver doux, ensoleillement) mais aussi à cause des nitrates (rejets agricoles d'azote) qui les nourrissent. Des plages ont même dû être fermées ces derniers jours.

La facture est lourde pour l'agglomération de Saint-Brieuc - Armor : 100 euros pour ramasser et traiter chaque tonne d'algues vertes, avec un moindre accompagnement de l’Etat pour traiter cette matière organique. Et les algues vertes ne cessent de proliférer, malgré l'engagement des agriculteurs. Ainsi, sur le millier d’exploitants, environ, de la baie de Saint-Brieuc, 8 agriculteurs sur 10 ont déjà adhéré à un précédent plan entre 2011 et 2016, pour limiter les rejets d'azote ou de nitrates (nitrates = usages agricoles de l'azote) qui provoquent ce phénomène.

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Un premier Plan de lutte contre les algues vertes ou PLAV avait été lancé après la mort en 2009 d'un cheval intoxiqué par des algues en décomposition. Et un nouveau PLAV (2017-2021), de 55,5 millions d'euros, a été lancé ce mardi.

Les algues vertes sur la plage de l'Hotellerie à Hillion
Les algues vertes sur la plage de l'Hotellerie à Hillion
© Radio France - Catherine Duthu

La plage de l’Hôtellerie, à Hillion, dans la baie de Saint-Brieuc, classée réserve naturelle, fait partie des 4 plages, sur les 6 de la commune, fermées en raison des algues vertes. Échouées plus tôt que d’habitude, elles se développent particulièrement avec le beau temps, notamment. En pourrissant, elles dégagent ensuite du sulfure d'hydrogène, un gaz malodorant et très toxique. Si Alain, un père de famille accompagné de ses deux filles, est étonné de la situation, Mickaël Cosson, le maire d’Hillion, explique pourquoi il a pris ces arrêtés de fermeture temporaire, en raison des risques sanitaires et de difficultés de ramassage des algues vertes.

4 plages sur 6 fermées à Hillion, dans la baie de Saint-Brieuc : pourquoi ?

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Elus et techniciens s'attellent, dans le pays de Saint-Brieuc, à améliorer le plan de lutte contre les algues vertes
Elus et techniciens s'attellent, dans le pays de Saint-Brieuc, à améliorer le plan de lutte contre les algues vertes
© Radio France - Catherine Duthu

"Ici, c'était il y a 30, 40 ans la deuxième plage de Saint-Brieuc, et maintenant, il y a une soupe d'algues vertes qui ne peuvent pas être ramassées !"

A quelques kilomètres de la mairie d’Hillion, lui préfère jouer les Cassandre et assume un ton alarmiste. André Ollivro, militant écologiste de l’association « Halte aux marées vertes », se voit comme une vigie, depuis son bungalow blanc, qui surplombe la plage de la Grandville, elle aussi fermée temporairement cette année par le maire d’Hillion, à cause de ces algues vertes.

André Ollivro, militant écologiste
André Ollivro, militant écologiste
© Radio France - Catherine Duthu

André Ollivro alerte contre les méfaits de l’agriculture intensive, l’élevage hors-sol de porcs et de volaille, les apports excessifs en azote, ce nutriment qui fait se démultiplier les algues vertes. On appelle « nitrates » les usages agricoles de l’azote. André Ollivro déplore que sur les 100 millions d’euros qui devaient être débloqués dans le cadre d’un 1er plan de lutte contre les algues vertes sur 8 baies bretonnes, moins d’un tiers des crédits aient été utilisés. André Ollivro déplace son combat pour l’environnement également sur le terrain judiciaire. L’Etat a été condamné, en 2013, par le tribunal administratif de Rennes à verser quelque 7 millions d'euros au département des Côtes-d'Armor pour l'indemniser des sommes engagées jusqu'en 2009 dans la lutte contre les algues vertes. Le tribunal a parlé de « faute » pour le retard de l'État dans la transposition en droit français de directives européennes sur la qualité de l'eau, ainsi que de « carence » dans l'application aux élevages de la réglementation sur les installations. Ces manquements ont entraîné « des apports excessifs de nitrates d'origine agricole dans les cours d'eau », à l'origine du phénomène des algues vertes. Les juges administratifs pointent « un lien direct et certain de cause à effet entre ces carences fautives de l'État et le dommage que constitue la pollution par les masses d'algues vertes ». Et André Ollivro milite désormais pour que les victimes éventuelles des algues vertes soient reconnues par la justice. L’écologiste a d’ailleurs co-écrit, avec Yves-Marie Le Lay, « Les Marées vertes TUENT aussi ! » (Le Temps Editeur).

André Ollivro estime que le 1er plan de lutte contre les algues vertes est un échef, il demande un "plan Marshall européen" pour aider à la conversion agricole

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"Il faut de la concertation, du courage et de la ténacité, parce que les résultats ne sont pas là tout de suite."

Le problème est encore plus complexe que cela, explique, de son côté, Wilfrid Messiez. Ingénieur agronome de formation, il a suivi, entre 2011 et 2015, le 1er plan de lutte contre les algues vertes dans la baie de Saint-Brieuc. Ses maîtres-mots : pédagogie et concertation, entre l’Etat, les collectivités territoriales, les agriculteurs et associations environnementales. Chacun a son rôle à jouer. Et Saint-Brieuc - Armor agglomération tente d’assurer un débouché aux agriculteurs qui adoptent de bonnes pratiques, en valorisant leurs produits dans les services de restauration des collectivités territoriales et les mairies.

Wilfrid Messiez, ingénieur au pays de Saint-Brieuc, se félicite de la concertation mise en place entre les collectivités et les agriculteurs dans le 1er plan de lutte contre les algues vertes

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Autres solutions valables pour agir sur le prélèvement de l’azote par les plantes : mieux recouvrir les sols, développer les exploitations herbagères ou biologiques. Détails avec Wilfrid Messiez, du pays de Saint-Brieuc. Cette bonne pratique s’est développée pendant le 1er plan de lutte contre les algues vertes, tout comme la préservation des zones humides, ces zones qui limitent, naturellement, les fuites d’azote.

D'autres bonnes pratiques agricoles se développent selon Wilfrid Messiez du pays de Saint-Brieuc

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Le pays de Saint-Brieuc estime que les flux d’azote rejetés vers la baie ont baissé d’un tiers depuis 17 ans, avec 2.400 tonnes d'azote rejetées dans la baie au début des années 2000, contre un peu moins de 1.500 aujourd’hui.

"Les agriculteurs ont besoin d'être soutenus, mais aussi ceux qui achètent leurs produits."

Yoann Gouery, ancien restaurateur bio de la baie de Saint-Brieuc, participe à sa manière à la lutte contre les algues vertes. Il a créé « L’Orgé », une sorte de café, mais décaféiné, produit à base de malt d’orge torréfié. Sept tonnes de matière brute sont ainsi transformées, moulues et ensuite distribuées dans 160 points de vente du grand Ouest, de Fécamp à la Rochelle. Mais Yoann Gouery déplore le manque d’aide apportées aux agriculteurs et aux transformateurs qui contribuent, pourtant, à diminuer les rejets d’azote dans le bassin versant, les cours d’eau et la baie de Saint-Brieuc.

"L'agriculture raisonnée, j'entends biologique, ce n'est pas un mot en l'air."

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Répondre aux besoins spécifiques de chacune des 8 baies bretonnes concernées par le plan de lutte contre les algues vertes, développer de nouvelles incitations financières, c’est ce qu’attendent, désormais, les acteurs locaux, avant la réunion, cet après-midi, à la préfecture de Rennes.

Les Pieds sur terre
28 min

Découvrez aussi l'enquête il y a un an d'Inès Léraud : algues vertes, le grand déni (Secrets d'Info, France Inter)

Enfin, revoici le reportage de mars 2012 de Véronique Rebeyrotte :

Il y a plus de 5 ans déjà, nous faisions un point sur la situation sur la plage Saint-Maurice, commune de Morieux, dans les Côtes-d'Armor. 36 sangliers avaient été retrouvés morts à proximité.

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