Menu
Libération
Reportage

Au Caire, «les prix sont devenus fous, nous on essaye juste de survivre»

La réduction des subventions aux carburants décrétée la semaine dernière par les autorités égyptiennes a encore fait grimper les prix des marchandises. L'inflation frise les 30%.
par Eric de LAVARENE, Correspondant au Caire
publié le 7 juillet 2017 à 13h48

«Je viens d'augmenter le kilo de volaille de 2 livres [10 centimes d'euros, ndlr]. Je pense que je vais encore devoir augmenter ces prochains jours. C'est la deuxième fois en un an que les tarifs grimpent», raconte Ahmed, 45 ans. L'homme est boucher, installé sur le marché Abdeen, au centre du Caire, un entrelacs de ruelles défoncées parcourues par les appels de vendeurs qui annoncent depuis mardi l'arrivée de marchandises désormais un peu plus chère. «Tout ce que nous vendons ici est acheminé par camion, camionnette ou voiture. Or le prix de l'essence a doublé la semaine dernière», explique Ahmed, qui termine de découper un poulet devant un poster qui le représente drapé de blanc au pèlerinage de La Mecque. L'homme ajoute : «Le carburant, c'est comme une toile d'araignée en Egypte. Son tarif a une incidence sur tout le reste.» Il affirme qu'en soixante ans de travail dans la même échoppe, il n'a jamais connu ça, que «c'est la première fois que le pays subit une inflation aussi violente».

La semaine dernière, le gouvernement a annoncé une hausse de près de 50% des prix de l'essence, après une nouvelle coupe de ses subventions aux carburants. Une décision attendue, qui fait partie des changements promis par les autorités égyptiennes au Fonds monétaire international, en échange d'un prêt de 12 milliards de dollars (10 milliards d'euros) destiné à relancer une économie qui s'est effondrée en quelques années. Les fonds accordés aux subventions énergétiques et alimentaires, pour aider les plus pauvres, constituent près du tiers du budget de l'Etat. «Or ces subventions bénéficient aussi aux plus riches et aux entreprises. Elles sont en fait profondément inégalitaires», constate un diplomate en poste au Caire.

Sac de tomates

Ce programme de réformes a engendré depuis l'année dernière une inflation qui frise les 30%. Il est vécu avec douleur par la population, dont le revenu moyen, environ 180 euros, ne permet plus de subvenir aux besoins des familles. «On nous piétine», s'insurge Magda, emmitouflée dans une longue tunique noire malgré les 42°C habituels en cette période de l'année. Cette mère de quatre enfants déplore de ne plus pouvoir acheter de viande aussi régulièrement qu'avant. «Je ne suis plus capable d'offrir à mes enfants la nourriture de base, ni leur permettre de sortir de temps en temps», dit-elle en payant un sac de tomates, avant d'ajouter : «Aujourd'hui, c'est tout ce que nous allons manger.»

Les Egyptiens s'adaptent à ce nouveau coût de la vie en achetant moins. «La population n'a pas le choix. Mais elle est en colère, malgré une résilience importante. Pour le moment, on n'ose pas descendre dans la rue. Parce qu'on pense à tort que les problèmes économiques sont liés à la révolution de 2011. Sans parler du gouvernement qui réprime toute voix dissonante. Mais nos problèmes économiques sont bien antérieurs à la révolution : notre économie repose sur des secteurs comme le tourisme, les revenus de canal de Suez ou l'argent envoyé par la diaspora. Elle ne produit rien», explique Sharif Delawar, chercheur à l'Université américaine du Caire.

Tapis roulant

Selon l'Institut national des statistiques Capmas, 12% de la population active en Egypte est sans emploi. Mais le chômage frappe surtout de plein fouet les jeunes Egyptiens : 79% des chômeurs ont entre 15 et 29 ans. Or cette tranche d'âge représente 60% de la population du pays. «Sans réformes structurelles, c'est l'avenir même de notre nation qui sera hypothéqué. Le gouvernement doit à tout prix réussir, car les Egyptiens ne seront pas prêts à payer le prix de son éventuelle inefficacité», constate de son côté l'économiste Rachad Abdo, directeur du Fonds égyptien pour les études politiques et économiques. Depuis 1977, l'Egypte en est à son quatrième plan de relance économique avec le FMI.

Dans l'une des boulangeries d'Abdeen, le four tourne au ralenti. Ihab réceptionne les petits pains odorants au bout d'un tapis roulant en fin de vie. Il est couvert de farine, les mains noires et la chemise déchirée. Il fume une cigarette dont la cendre s'envole le long du trottoir. «Parfois, des gens nous demandent le prix du pain, réfléchissent un moment puis repartent sans rien acheter. On vit au jour le jour. On ne sait plus à quoi s'en tenir. Les prix sont devenus fous, et nous, on essaie juste de survivre», confie-t-il, entre deux bouffées. Au loin, une charrette avec de gros sacs de farine s'engage dans la ruelle encombrée. Les sabots de l'âne qui la tire claquent péniblement sur le bitume à moitié fondu par la chaleur de midi. Dans quelques jours, le prix de cet aliment de base pour la fabrication du pain pourrait à son tour augmenter.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique