Le souffle de la crise financière débutée en 2007 n’est pas encore retombé. Les économies se relèvent progressivement, et les banques, elles, ont été massivement sanctionnées depuis dix ans. Au total, ce sont 234 milliards de dollars (environ 199 milliards d’euros) d’amende qui ont été infligés aux établissements bancaires depuis le début de la crise. Depuis le début de 2017, seuls 9,3 milliards de dollars ont été enregistrés, très loin du rythme de ces neuf dernières années (environ 25 milliards sur une année pleine).
Alors que plus de 97 % des pénalités proviennent de régulateurs américains, l’élection de Donald Trump à la tête des Etats-Unis laisse craindre un ralentissement dans la lutte contre la fraude bancaire. En effet, après une nette inflexion due à la politique américaine décidée par Barack Obama à partir de 2012, le montant total des amendes a décru jusqu’à son niveau le plus faible depuis sept ans.
Symbole du mélange des genres qu’affectionne Donald Trump, le nouveau président a nommé dès son arrivée à la Maison Blanche l’avocat d’affaires new-yorkais Jay Clayton, qui a conseillé la banque d’affaires Goldman Sachs pendant la crise, à la tête de la Securities and Exchange Commission (SEC), l’organisme fédéral de réglementation et de contrôle des marchés financiers.
Un « effet Trump »… à la baisse ?
Une étude d’une chercheuse de l’université de Georgetown, publiée en février et actualisée en novembre, montre que le nombre de sanctions infligées par le régulateur est tombé au plus bas depuis 2013. Non seulement le nombre de dossiers instruits et de décisions rendues est en très net recul (ce qui peut s’expliquer par les changements dans les effectifs de la SEC et le temps d’adaptation des nouveaux arrivés), mais aussi le montant des amendes a fondu.
« Les grandes entreprises font moins l’objet de poursuites et, lorsqu’elles le sont, les amendes sont plus faibles », écrit l’auteure de l’étude, la professeure de droit Urska Velikonja, soulignant qu’en ce qui concerne les seules entreprises financières « il n’y a pratiquement pas de poursuites ».
Le 15 novembre, c’est le directeur du CFPB (Consumer Financial Protection Bureau), une instance de protection des consommateurs dans le secteur bancaire et financier aux Etats-Unis — très critiquée par les républicains, traditionnellement plus proches du monde des affaires — qui a annoncé sa démission, après que le Congrès eut bloqué une de ses réformes visant à donner la possibilité aux consommateurs de poursuivre les banques en nom collectif.
Ce n’est pas l’Union européenne qui prendra la tête de cette bataille contre les mauvaises pratiques de la finance : depuis un an, la Commission européenne n’a plus infligé aucune amende à l’encontre d’un établissement financier. Son impuissance s’explique par son cantonnement aux domaines bien définis du droit communautaire, qui ne comprend pas la supervision prudentielle (les mécanismes mis en place pour maintenir la stabilité du système), mais aussi par l’absence de poste dévolu à cette tâche, comme un procureur financier européen, par exemple.
La France, gendarme mou des marchés financiers
Dix ans après le début de la crise financière, les projets de dérégulation dont Donald Trump ne se cache pas pourraient « accroître le risque de concurrence réglementaire » et affaiblir les progrès réalisés, s’est inquiétée l’Autorité des marchés financiers (AMF), au début de juillet.
Pourtant, la France reste à la traîne en matière d’encadrement et de répression de la fraude bancaire. La dernière grosse amende infligée dans l’Hexagone a obligé, le 14 novembre, la banque britannique HSBC à acquitter 300 millions d’euros pour échapper à un procès pour « blanchiment de fraude fiscale », une procédure inédite et un montant record en France.
Une sanction qui semble ridicule si on la compare à celles prononcées dans d’autres juridictions, en particulier aux Etats-Unis, où BNP Paribas a payé, il y a deux ans, la plus importante amende financière jamais infligée à une banque étrangère (8,9 milliards de dollars) pour avoir violé des embargos contre le Soudan, l’Iran et Cuba.
La Deutsche Bank aurait pu lui ravir la place ; les autorités américaines exigeaient en fin d’année 2016, 14 milliards de dollars pour clore leur enquête sur le rôle de la banque allemande dans la crise des « subprimes ». Elle s’en est finalement tirée pour 7,2 milliards. Dans le même dossier, Crédit suisse a, de son côté, dû s’acquitter de 5,3 milliards de dollars.
Répression et négociation
Si le poids des « subprimes » est à l’aune de la crise qu’elles ont provoquée, un autre motif de sanction est en train de prendre de l’ampleur : la lutte contre l’évasion fiscale.
Une lutte qui s’intensifie : elle concerne non seulement l’évasion fiscale avérée, mais aussi la faiblesse des moyens que consacrent les établissements financiers à son encadrement et à sa prévention. En juin, BNP Paribas a ainsi dû s’acquitter de 10 millions d’euros en raison de « la faiblesse persistante des moyens humains consacrés au traitement (…) des déclarations de soupçons », et de « la faible efficacité (…) des outils de détection des opérations atypiques », selon l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).
Preuve que la répression est efficace, Crédit suisse a lancé une vaste campagne de publicité axée sur sa « tolérance zéro » à l’égard de l’évasion fiscale. Sous forte pression, de nombreuses banques helvètes se sont efforcées de régler un à un les dossiers fiscaux, notamment grâce à un programme de régularisation mis en place entre Berne et Washington.
Parallèlement, dans les couloirs de Washington, la contre-attaque s’organise et les lobbyistes fourbissent leurs armes. Les grandes banques américaines ont ainsi proposé récemment, par l’entremise de la fédération qui les réunit, un assouplissement des règles en matière d’enquête et de déclaration d’activités délictueuses (qui visent notamment à prévenir le blanchiment d’argent pour le compte de trafiquants de drogue et de terroristes).
The Clearing House souhaite que les banques puissent se concentrer sur les transactions ayant trait à des préoccupations ciblées par les autorités et ne soient pas obligées de soumettre systématiquement un rapport relatif à des activités suspectes (suspicious activity report) en cas de doute.
UBS dans l’attente d’un procès
Sur le Vieux Continent, une révolution était promise : celle de l’échange automatique d’informations, prévue pour le début de 2018. Certes, le dispositif fut délicat à négocier, mais il devait permettre à l’Union européenne de démanteler le secret bancaire suisse, la confédération étant désormais tenue de livrer des données sur les comptes de non-résidents. En juin, la Suisse a suspendu la transmission au fisc français d’informations sur les milliers de contribuables français qui ont des comptes bancaires à UBS, au motif que ces informations pourraient être utilisées par la justice française.
La coopération entre les deux pays a repris en juillet, mais la date d’un procès n’est toujours pas connue. Si HSBC a réussi à bénéficier d’une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), qui permet à une entreprise poursuivie pour corruption et/ou blanchiment de fraude fiscale de négocier une amende, sans aller en procès ni plaider coupable, ce n’est pas le cas d’UBS.
Accusée de faits similaires, la banque suisse avait aussi engagé des discussions avec le parquet financier, mais celles-ci n’ont pas abouti, les parties ne parvenant pas à s’accorder sur le montant de l’amende envisagée. La banque suisse et sa filiale française ont finalement été renvoyées en mars devant le tribunal correctionnel. Elles encourent une amende équivalente à la moitié de la valeur des fonds sur lesquels ont porté les opérations présumées frauduleuses, estimées à 10 milliards d’euros.
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