Stars à la barre minimise le meurtre commis par le chanteur de Noir Désir.

Stars à la barre minimise le meurtre commis par le chanteur de Noir Désir.

L'Express

L'ouvrage Stars à la barre propose à ses lecteurs de revivre les "grands procès de 12 personnalités au destin tragique et sulfureux." Oscar Pistorius, Charlize Theron, James Brown... le récit est fait par l'avocat Emmanuel Pierrat et il est disponible depuis sorti le 28 juin, aux éditions Prisma.

Publicité

Parmi les "coups de théâtre, preuves douteuses, acharnements policiers", Emmanuel Pierrat revient sur le meurtre de Marie Trintignant par Bertrand Cantat, avec un titre qui peut laisser perplexe: "Tuer passionnément".

Sophie Gourion, féministe et fondatrice du Tumblr Les mots tuent - qui recense toutes ces fois où la presse minimise les violences faites aux femmes - nous éclaire sur ce phénomène qui n'a rien d'anodin.

Pourquoi ce "tuer passionnément" est problématique?

Sophie Gourion: Parce que ça romantise le meurtre, ça l'édulcore. On est dans un cas de violences conjugales, de féminicide. Là, avec ce titre, on a juste l'impression d'être dans le cas d'un amoureux mû par une passion destructrice, comme dans une pièce de théâtre.

Or, dans le cas de Bertrand Cantat, il y avait des violences conjugales précédant le passage à l'acte, ça n'a rien d'un "pétage de plombs". Dans 38% des cas de meurtres de femmes, ce sont des actes prémédités. L'épouse de Cantat, Kristina Rady, avait part dans une lettre et dans un message vocal de violences à son égard, de jalousies, et d'isolement social. C'est un schéma qui se répète, avec les mêmes ingrédients.

LIRE AUSSI >> L'ex-femme de Bertrand Cantat l'accuse

Quant à la photo qui illustre l'article, elle valorise Cantat dans sa position d'artiste. Pour n'importe quel autre homme, on aurait sans doute choisi une photo avec des menottes, mais là, tout se mélange. La passion et le fait qu'il soit artiste semblent l'excuser.

Ce genre de romantisation est-il fréquent dans la presse?

Oui, à tel point que le travail de recherche que je faisais avant pour mon blog n'est plus nécessaire: les gens m'envoient eux-mêmes des articles pour me signaler les articles qui posent problème.

Parmi les derniers exemples d'édulcoration qui me viennent à l'esprit, il y a ce "papa de l'horreur", selon le Parisien, qui est aussi décrit, dans le chapô de l'article, comme un "monstre émouvant", alors que cet homme est à l'origine d'un triple meurtre: celui de sa femme et de ses deux enfants...

Le papa de l'horreur du Parisien

Photo de l'article sur "le papa de l'horreur" dans Le Parisien

© / Le Parisien

Il y a aussi La Libre Belgique qui parle "d'initiatiation à la masturbation" pour un grand-père ayant agressé sexuellement sa petite fille... Pour les victimes ou les proches de victimes, ce genre d'articles, c'est vraiment "la double peine".

Vous êtes en contact avec certaines d'entre elles?

Oui, j'ai eu quelques échanges avec certaines personnes faisant partie des amis ou de la famille de victimes. Une amie d'une jeune femme assassinée m'a envoyé un article titré ainsi: "Morte d'avoir été trop belle".

Elle me disait déjà souffrir beaucoup de la disparition de son amie, mais que lire ce genre d'articles rendait tout ça encore plus difficile à supporter. On ne meurt pas d'avoir été trop belle!

À votre avis, quel est l'impact de ce genre d'articles sur notre vision de la violence faite aux femmes?

Les mots sont porteurs de sens et créateurs de valeurs. Parler de "crime passionnel", cela édulcore le propos, et cela peut aussi empêcher certaines femmes de porter plainte car elles auront du mal à mettre les mots sur ce qui leur arrive.

Nommer les choses correctement, nommer la réalité telle qu'elle est, c'est quand même le devoir d'un journaliste! En mal nommant les choses, on ne comprend pas qu'il s'agit d'une violence de genre et systémique. Que c'est un scénario qui se répète à chaque fois: les femmes représentent 80% des victimes d'homicide, mais c'est un meurtre de masse qui est souvent réduit à "un coup de sang".

Je pense qu'il faut qu'il y ait un électrochoc. Non, ce ne sont "pas que des mots". Il faut se rappeler que dans 70% des homicides, c'est le refus de la séparation, une dispute ou de la jalousie qui sont des motifs d'homicides. C'est une volonté d'emprise et de contrôle de l'auteur sur sa partenaire, et c'est révélateur du sexisme à l'oeuvre dans notre société. La presse parle de crimes d'amour, mais ce sont plutôt des crimes "d'amour-propre".

L'existence de votre blog réussit-il à faire modifier certains titres problématiques?

Très peu. Sur les 250 articles que j'ai publiés depuis mars 2016, il n'y a eu que trois ou quatre médias qui ont modifié leur titre. Lors des échanges que j'ai pu avoir avec certains journalistes, on m'a dit que je n'avais pas compris, que moi-même je n'étais pas journaliste et qu'il s'agissait là de liberté d'expression, ce qui est une erreur.

D'autres médias en revanche s'engagent et ont signé une charte, pour éviter que de telles dérives ne se reproduisent. Je constate toutefois un changement s'opérer: monsieur et madame tout le monde m'envoient des exemples quotidiennement, comme s'ils avaient désormais chaussé, comme des lunettes, cette problématique. Je reçois tellement d'exemples consternants que je n'ai pas le temps de mettre mon blog à jour aussi souvent que je le voudrais.

Publicité