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Sports

Mes années au centre de formation du Real étaient un enfer

Fast food, orgie de foot et zéro études. Ce qui ressemble au rêve de tout gosse s'est avéré être la pire chose qui me soit arrivée dans la vie.

Tous les matins, à 8 heures, mes coéquipiers et moi avions la même routine. Nous débarquions en force dans la salle de bain des vestiaires, armés de pots de cire et de gel, dans un désordre apparent, qui répondait pourtant à un équilibre et une hiérarchie implicite. Les plus jeunes tentaient de prendre la place des anciens, postés devant les rares miroirs de la pièce, car notre obsession pour notre apparence était plus forte que notre sens du respect.

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Je n'oublierai jamais ces effluves de kératine qui accompagnaient notre entrée dans le vestiaire de La Fabrica, le surnom que tout le monde donne au centre de formation du Real Madrid, tout comme je n'oublierai jamais les morceaux de reggaeton que mes compères de l'époque écoutaient à fond sur leurs radios portables. Nous étions une bande de gamins pleins de rêves, qui faisions tout pour imiter nos idoles et leurs habitus de métrosexuels assumés. Inconsciemment, nous pensions qu'en adoptant leurs codes et leurs comportements, nous aurions plus de chances d'avoir des carrières similaires aux leurs. Déjà à l'époque, la plupart d'entre nous gagnions plus d'argent que nos parents, mais nous savions que nous avions l'occasion d'en gagner beaucoup plus encore si tout se passait bien. Entrer au centre de formation du Real était un immense honneur, mais c'est rapidement devenu un poids et aussi une des expériences les plus difficiles de ma vie.

Avant de rejoindre cet internat pour potentielles futures stars du ballon rond, je vivais une existence tranquille avec mes parents à Tenerife, où je jouais pour un petit club du coin, le U.D Orotava. Un jour, un scout du Milan AC m'a repéré et proposé de participer à quelques tournois avec les jeunes du club. Le Milan a une équipe basée à Avila, en Espagne. C'est dans cette équipe que je me suis distingué, jusqu'à me faire repérer par des scouts du Real. Ils nous ont convoqué à un rendez-vous, moi et mes parents. Je me souviens que nous étions assis autour d'une table, c'était la première fois que je venais au centre d'entraînement. Ils m'ont proposé un contrat. Toutes mes dépenses étaient couvertes par le club sur la durée de la saison 2008-2009, y compris mon vol depuis Tenerife, mes frais d'inscription à l'école, mon loyer, sans compter les 200 euros d'argent de poche mensuels qu'ils ajoutaient. J'ai signé illico. J'avais 15 ans, et je m'apprêtais à rentrer dans un des meilleurs centres de formation d'Espagne et du monde. C'est le moment de ma vie où l'avenir m'a paru le plus radieux.

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La suite l'était pourtant beaucoup moins. Quand je me suis retrouvé dans ce dortoir, à des centaines de kilomètres de mes parents, je jalousais les autres jeunes du centre de formation qui avaient des appartements dans Madrid avec leurs familles. Ça ne signifiait pas qu'ils étaient Madrilènes, en fait le club voulait tellement les faire venir qu'il avait payé pour loger leurs parents. Ces gamins avaient tout, ils avaient aussi déjà été repérés par des grandes marques de sport qui leur avaient fait signer des contrats. Je les enviais quand je les voyais feuilleter le catalogue de la marque qui les sponsorisait et qu'ils choisissaient tout ce qui leur plaisait. Je me souviens d'une histoire que nous racontaient les anciens du centre de formation, un de leurs anciens coéquipiers de La Fabrica avait même pris une Audi alors qu'il n'avait même pas le permis de conduire.

En dehors de ces étrangetés, la vie au centre de formation se cantonnait à une routine immuable. Lever à huit heures tous les matins pour un petit déjeuner collectif, fait de biscuits, de sandwiches, de jus d'orange, de pâtisseries et de fruits. Une heure plus tard, nous partions pour l'école, où nous étudions jusqu'à 17 heures avec une pause déjeuner à deux heures. Puis nous retournions au dortoir prendre le goûter avant de nous entraîner jusqu'à 22 heures.

A bien y repenser, je ne pense pas que nous étions bien nourris, du moins pour nous préparer à la vie de sportif de haut niveau, d'autant que personne ne se préoccupait de notre alimentation. Nous étions constamment partagés entre la peur de manger trop lourd et de finir par vomir sur le terrain ou de ne pas assez nous nourrir et manquer de forces pendant l'entraînement.

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La cantine officieuse de La Fabrica s'appelait Giardino, un petit restaurant situé non loin de notre dortoir. Quand nous n'étions pas là-bas, nous zonions devant l'internat tous les soirs, en attendant l'arrivée du livreur qui venait nous fournir en gaufres au chocolat et autres hotdogs dégoulinant de sauce barbecue. On savait que ce n'était pas du tout diététique, mais on s'en foutait. On avait 15 ans après tout. Ce régime plutôt riche et déséquilibré a eu des conséquences sur mon niveau de jeu. Quand je ne mangeais pas assez, j'étais plus exposé aux blessures et aux maladies, je récupérais moins bien. Résultat, j'ai eu jusqu'à cinq blessures par saison, souvent des tendinites et des entorses. Je dois reconnaître que le staff médical était très bon, mais je pense aussi qu'ils étaient plus concentrés sur leur objectif de nous faire revenir sur les terrains le plus vite possible plutôt que de s'interroger sur les causes profondes de ces blessures à répétition.

Les séances d'entraînement étaient très exigeantes. Une passe manquée, un déplacement dans le mauvais timing, ou un exercice mal réalisé valait souvent une humiliation publique au mauvais élève. A La Fabrica, on n'affrontait pas seulement les équipes adverses, on affrontait aussi et surtout nos coéquipiers.

Il y avait 15 chambres dans le dortoir, qui accueillaient chacune trois joueurs. Toute cette testostérone, ces sexualités naissantes et ces egos gonflés à bloc rendaient l'ambiance électrique. Les gamins peuvent être horribles, ils savent pertinemment comment blesser les autres quand il le faut. Je ne vous expliquerai pas en détail ce qu'il se passait quand on découvrait qu'un d'entre nous avait mouillé ses draps, mais vous imaginez à peu près.

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Deux amis qui occupaient la chambre voisine à la mienne s'amusaient à fermer leur porte et à se battre comme des chiffonniers. Parfois, ils nous invitaient pour qu'on fasse les arbitres et qu'on interrompe le combat s'il devenait trop violent. C'est d'ailleurs arrivé plusieurs fois pendant mon passage à l'académie, mais ça n'a jamais affaibli leur amitié.

De mon côté, je ne me battais pas, mais j'avais mes activités perso. J'évacuais la pression en chantant dans le bus qui nous emmenait à l'entraînement. C'était aussi un moyen de me motiver et de me dire que j'avais une volonté de fer.

Mais je n'étais pas très heureux, à tel point que mon frère m'a demandé pourquoi je restais au centre de formation si c'était une telle galère pour moi. La vérité, c'est qu'à mon départ de Tenerife, toute l'île me soutenait et m'enviait. Je ne voulais pas décevoir ma famille, et surtout pas mon père, ce qui aurait été le cas si j'avais avoué que je ne me sentais pas bien à La Fabrica. Le petit garçon que j'étais n'avait jamais appris à comprendre ses sentiments et à les exprimer. Je pensais que cette opportunité d'aller au centre de formation était ce dont je rêvais. Se plaindre aurait donc été déplacé.

Rétrospectivement, je pense que ce qui m'ennuyait le plus au centre de formation, c'était l'éducation qu'on a reçue, ou plutôt qu'on n'a pas reçue. Tous les jours après l'école, nous allions directement sur les terrains d'entraînement jusqu'au repas du soir. Nous ne pouvions faire nos devoirs qu'entre ce moment et le coucher, mais c'était compliqué car nous étions morts de fatigue et pas forcément des plus motivés quand tu as 15 ans et une potentielle carrière pro devant toi. Et le week-end, c'était jour de match. En mai 2016, alors que je regardais la demi-finale de Ligue des Champions entre le Real Madrid et Manchester City, j'ai vu l'un de mes anciens coéquipiers dans le onze de départ. Ses gestes et ses expressions étaient restées les mêmes. Ca m'a fait très plaisir qu'un mec aussi doué et investi atteigne ce niveau, mais ce qu'on ne voyait pas sur le terrain ce soir-là, c'est qu'il avait redoublé deux fois de suite à l'école quand nous étions au centre de formation.

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Les meilleurs joueurs de ma promotion étaient souvent les moins motivés ou les moins investis à l'école. Ces garçons n'en souffraient pas parce qu'ils faisaient ce qu'ils aiment et ce qu'ils voulaient faire pour le restant de leurs jours, jouer au foot. C'était exactement le cas de mon ancien camarade de cours et d'entraînement. Je le revois encore assis au fond de la classe, la tête à tout autre chose qu'aux explications du prof. On le charriait parce qu'il avait de la barbe, mais ce qu'on ne comprenait pas à l'époque, c'est qu'il était plus poilu que les autres parce qu'il avait deux ans de plus que nous.

Des années plus tard, j'ai étudié aux Etats-Unis. Là, j'ai réalisé à quel point les étudiants qui ambitionnaient de devenir des sportifs professionnels étaient mieux traités. Si nos notes n'étaient pas assez bonnes, nous ne pouvions pas jouer. Cette approche crée une incitation au travail, un cercle vertueux et constructif.

Lors de ces années passées à La Fabrica, de grands joueurs ont été formés : Lucas Vazquéz , Álvaro Morata, Denis Cheryshev, Dani Carvajal, Jesé Rodríguez, Diego Llorente and Enrique Castaño. Tous ne jouent pas dans les meilleurs clubs du monde mais ils sont au moins en deuxième ou troisième division de grands pays de foot. Ce que je me dis, c'est que c'est totalement incohérent d'exiger d'eux d'avoir une carrière dans les plus grandes équipes mondiales mais de se foutre complètement de leurs résultats sportifs. Ceux qui s'adaptent réussissent et brillent. Mais pour une star, combien d'échecs qu'on cache sous le tapis.

Bien sûr, je ne peux parler que pour moi et mon expérience personnelle. A la fin de la saison, on m'a dit que je n'étais pas assez performant pour rester au centre. Je me suis senti libéré. Deux jours après avoir appris la nouvelle, j'ai fait mes affaires, tout mis dans la voiture de mon oncle, et quitté la capitale sans regrets.

A mon retour, tout le monde m'a accueilli à bras ouverts, ce qui m'a démontré que la pression que je me mettais quant à la potentielle déception de mes proches était inutile. Quand on me demandait si je supportais toujours le Real Madrid, j'assurais à mes proches que oui, que j'aimais ce club. Mais je me suis vite rendu compte que ce passage à La Fabrica avait radicalement changé ma vision du foot. J'ai compris que le vrai foot, celui que j'aimais tant, se joue dans les rues, sur les terrains de quartier, entourés de ses amis.

Heureusement, ce passage au Real m'a permis de suivre une scolarité aux Etats-Unis dans une fac. Après mon diplôme, je suis revenu en Europe faire un Master en Droits de l'Homme aux Pays-Bas, et là je finis un autre diplôme de Droit à l'UCL.

Comme je vous l'ai répété, ces moments passés à La Fabrica ont été parmi les plus difficiles de ma vie. Cela s'explique sans peine, c'est aussi là que j'ai appris le plus de choses sur la vie, des leçons qui m'ont permis de bien m'en tirer par la suite. Une question demeure aujourd'hui néanmoins. Elle ne concerne pas seulement moi, mais tous les jeunes footballeurs : est-ce une bonne chose de mettre des enfants de 15 ans dans de telles conditions ? Est-ce profitable, alors qu'on est en pleine puberté et en pleine construction pour sa vie à venir, de réaliser que tu n'es qu'un produit interchangeable sur un marché hyper concurrentiel et volatile ? Je vous laisse vous faire un avis.