Interview

Gaspard Koenig : «La ligne Philippe-Le Maire, c’est cette droite pâteuse qui n’ose rien»

Pour les économistes libéraux, c’est la déprime depuis le discours de politique générale du Premier ministre Edouard Philippe. L’essayiste libéral Gaspard Koenig veut «remettre un peu d’essence dans la révolution Macron» pour plus de réformes radicales.
par Guillaume Gendron
publié le 6 juillet 2017 à 16h15

Les libéraux français ont le blues après la victoire de leur champion. Ils voyaient en Emmanuel Macron, peut-être pas le messie, mais au moins «un prophète du libéralisme»Le discours de politique générale d’Edouard Philippe a douché leurs espoirs de réformes économiques radicales, ou plutôt radicalement libérales. Sur les réseaux sociaux et les plateaux de télé, l’économiste Nicolas Bouzou ironise : «En marche dans la bonne direction, à 1,5 km/heure.»

Leur crainte : que la «révolution» macronienne laisse la place à une gestion de bon père de famille, d'autant que les économistes artisans du programme d'En marche, à l'instar de Philippe Aghion ou Philippe Martin, ont largement disparu du paysage. Et s'ils sont de retour dans le jeu macronien, ils broient du noir, comme Jean Pisani-Ferry, qui, dans un rare tweet, a tenu à minimiser l'ampleur de sa mission de supervision du «grand plan d'investissement» de 50 milliards que lui a confié Edouard Philippe. «No hype» («rien de fou»), a-t-il ainsi nuancé…

Gaspard Koenig à Paris en mai 2016. L'essayiste «libéral en tout» Gaspard Koenig (photo Mathieu Zazzo), fondateur du think tank Génération libre, revient sur les premières mesures annoncées par le gouvernement.

A écouter les interventions médiatiques de la frange libérale ces derniers jours, on a l’impression que vous vivez le discours d’Edouard Philippe comme une trahison…

Le mot est trop fort, mais c'est vrai que c'est assez stupéfiant. On a plus ou moins soutenu Macron, en pensant que le renouveau libéral pourrait passer par lui. D'ailleurs, même si j'étais contre le principe de rassembler le Congrès, dans son discours de lundi, Macron avait tout bon sur les grands principes : la liberté et l'autonomie de l'individu, l'expérimentation par le bas, l'inclusion plutôt que la charité publique… Tout cela est très bon dans l'esprit, à l'image de sa campagne. En revanche, quand on écoute le discours d'Edouard Philippe ou les premières interventions de Bruno Le Maire, on retombe dans les petites réformes classiques, incroyablement jacobines. De petites choses très incrémentales, que Hollande ou Sarkozy auraient tout à fait pu proposer. Je note d'ailleurs que le cabinet actuel à Bercy est quasiment le même que sous Sarkozy [Koenig fut la plume de Christine Lagarde entre 2007 et 2008 au ministère de l'Economie, ndlr]… Bref, on en revient à «on va augmenter le nombre de places de prison, on va réduire les délais de traitement pour les demandes d'asile, etc.» Rien de tout ça n'est absurde, mais dans le détail c'est très faible, il n'y a aucune ambition structurelle, on est loin du «projet» et de la «révolution» !

Quelles sont justement les promesses que vous craignez de voir disparaître, ou du moins, d’être atténuées ?

Les grandes réformes structurelles – réforme de l’ISF et baisse de la fiscalité du capital, refonte du CICE – sont repoussées. Sur l’école, Macron était allé assez loin dans son ambition d’autonomiser les établissements pendant la campagne, avec le choix des professeurs et des programmes. On n'en entend plus beaucoup parler. Même chose avec sa réforme de l’assurance chômage, cette idée de filet de sécurité universel, qui n’est certes pas encore le revenu universel, mais c’était un premier pas. Là encore, il y a un flou dans l’application de cette promesse et son calendrier. Quant à la simplification administrative promise, ça ne peut pas se borner au droit à l’erreur. A l’inverse, on voit le retour en force d’un certain jacobinisme, au détriment des collectivités locales. Sur le reste, on retombe dans de vieux travers, comme ce fonds pour l’innovation de 10 milliards d’euros pour les nouvelles technologies. La logique de l’Etat stratège qui foire à chaque fois, la bureaucratisation de l’innovation…

On peut s’étonner de votre déception, car vous critiquiez déjà la tentation du «raisonnable» dans le programme de Macron pendant la campagne…

Il y avait l’esprit – le renouveau, la révolution libérale – et la lettre, soit le programme, plus timide. L’espoir, c’était que l’esprit transcende la lettre, et le souci, c’est que visiblement, la lettre semble être appliquée… à la lettre. D’autant que Macron, notamment sur l’international, nous a fait d’heureuses surprises par son culot. On était en droit d’attendre la même chose pour les réformes intérieures, surtout depuis qu’il a une majorité écrasante aux ordres et un pays légèrement plus confiant. Et ce sont des idées auxquelles il croit. Je sais que pas mal de gens dans son entourage ont été déçus par le discours d’Edouard Philippe. La crainte, c’est que les économistes de sa campagne soit remplacés par les énarques et le manque d’ambition gestionnaire qui va avec.

Comment expliquez-vous cette évolution ?

Nous avons affaire à un gouvernement de droite classique. La ligne Philippe-Le Maire, c'est cette droite pâteuse qui n'a jamais rien fait, qui bloque tout et n'ose rien ; le retour du chiraquisme allié aux technos de Bercy. L'obsession du «ça va dépasser, attention au déficit budgétaire». L'autre souci, c'est aussi la faiblesse du nouveau parlement.

C’est-à-dire ?

J'espérais une coalition parlementaire – et Macron aussi d'ailleurs, il fut un temps – avec des députés aguerris pour redonner une voix au Parlement, car c'est de là que doivent partir les initiatives législatives. J'ai toujours pensé que les grandes coalitions, contrairement à ce qu'on en retient généralement, pouvaient être de grandes forces réformatrices, comme sous la IIIème République. On se retrouve dans une situation inverse, où, mis à part la France insoumise qui joue pleinement son rôle d'opposition – et heureusement, on aura besoin de Mélenchon sur les libertés individuelles et l'entrée dans le droit commun de l'état d'urgence – on risque d'être privé de débat. A moins que les députés LREM ne se rappellent qu'ils ont été élus sur un programme qui comportait une certaine radicalité…

Sur la réforme du code du travail, le gouvernement n’a pas l’air de vouloir faire de concessions…

C’est probablement le seul point où ils sont sérieux. Si on s’agite en ce moment, c’est pour remettre un peu d’essence dans la «révolution» de Macron. J’aimerai retrouver le Macron de Whirlpool. Son speech devant les ouvriers sur le parking de l’usine, c’est ce qui m’avait fait basculer définitivement en sa faveur : il était resté très humain mais ferme sur ses principes. Or, là, on voit l’inverse avec la gestion du dossier GM&S. C’est le retour des vieilles ficelles : on appelle le patron d’une entreprise où l’Etat a des parts et on lui dit de mettre un million d’euros de plus de commandes. Ca n’a aucun sens économiquement. Ce que Macron a su assumer en campagne devant des ouvriers, il devrait pouvoir le faire au pouvoir. J’ai bien conscience que Macron n’est pas libertarien mais tout cela est bien timide par rapport aux ambitions affichées, surtout après avoir réussi le plus dur…

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