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Fred Vargas : « L’être humain ne réagit que quand il a de l’eau dans les narines  »

Fred Vargas fait reprendre du service au commissaire Adamsberg avec « Quand sort la recluse », une enquête dans les méandres de l’esprit humain et la complexité du règne animal.

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Publié le 09 juillet 2017 à 19h22, modifié le 13 juillet 2017 à 16h03

Temps de Lecture 5 min.

Fred Vargas

Dans quelle époque vivons-nous ?

Dans une époque épouvantable pour les générations qui viennent. Et déjà pour nous. On va connaître au moins 3 °C de réchauffement climatique. Je ne vais pas énumérer tout ce qu’on sait sur les conséquences sur la flore, la faune, l’eau, l’air, la terre. ­L’humanité est en train de se saccager elle-même. Les politiques font un colloque, ils sont contents, ils signent, et rien ne se passe. C’est un sujet gravissime auquel je pense chaque jour. L’être ­humain ne réagit que quand il a de l’eau dans les narines, et il va y avoir beaucoup de morts. Par sécheresse. Par concassage de toute la chaîne écologique. Et par guerres. Pour l’eau, pour la nourriture.

Est-ce sans espoir ?

Si on arrêtait aujourd’hui toutes les usines polluantes, les voitures, etc., on aurait malgré tout un réchauffement de 2 °C. Pour encourager les plus jeunes, je leur dis qu’on va connaître le premier tournant vers le mieux. On va être obligés de revenir à des modes de vie plus raisonnables. Toutefois, quand on voit que la première puissance mondiale a mis à sa tête Donald Trump, il est possible que l’humanité aille à sa perte et qu’on perde la moitié des humains sur Terre, qu’on ait un phénomène semblable à la peste, qui a tué un bon tiers de l’humanité. Qui peut souhaiter ça ? Par exemple, que va-t-il se passer quand l’eau douce va se répandre dans l’océan, bouleversant toute la faune ? On ne peut pas rester assis sur une chaise et pleurer. Au niveau individuel, il faut agir. Notamment acheter bio. Si tout le monde le fait, on changera le système agricole, on se débarrassera des pesticides. On n’est pas impuissants.

Sommes-nous dans une époque d’indifférence ? ­Par exemple par rapport aux migrants ?

Non, on est dans une époque de cruauté. On ne veut pas comprendre que nous sommes tous des migrants, des étrangers, les étrangers des autres peuples du monde. Alors que la France est historiquement un pays où il y a eu le plus de mélange de peuples, on est cruels avec les migrants. On a poursuivi en justice Cédric Herrou, un agriculteur qui les aidait. Est-ce que cela signifie qu’on n’a plus le droit de secourir des personnes en danger ? Je croyais que la loi poursuivait plutôt la non-assistance à personne en danger.

J’en viens à vous. Votre sœur jumelle est peintre, et signe Jo Vargas. Vous avez écrit une très belle préface pour un livre sur elle aux éditions de la Différence. Le même pseudo, n’était-ce pas redoubler la gémellité ?

Ça s’est fait un soir au dîner pour mon premier roman Les Jeux de l’amour et de la mort (1986). Ma sœur peignait déjà depuis ­plusieurs années. Elle m’a proposé son pseudo. En effet, on prend le même nom en faux, alors qu’on a le même en vrai, qu’on est jumelles…

J’ai eu le Prix du premier roman policier pour ce livre, qui n’est pourtant pas bon, et j’ai été conviée au Festival du film noir ­de Cognac, où l’invité principal était Robert Mitchum. C’était mon dieu. Bien sûr, personne ne s’intéressait à moi. J’étais très timide, je le suis encore, je dis toujours « personne n’a peur de Fred Vargas ». Donc quand j’ai reçu le prix et que j’ai dû parler… Andréa Ferréol et Léo Malet me tenaient chacun par un bras, et j’ai seulement dit : « S’il faut écrire un roman policier pour voir Robert Mitchum, alors je vais en écrire dix. » Mitchum a traversé la salle et m’a prise dans ses bras. Evidemment, tous les photographes se sont précipités.

Et vous avez continué à écrire des romans policiers…

Je me suis dit qu’on s’amusait bien dans les festivals, alors que ­l’archéozoologie est une discipline très austère. Et j’ai toujours aimé l’école buissonnière. Alors, j’en ai écrit un deuxième, dont ­personne n’a voulu, puis un troisième. Et j’ai continué à écrire. ­Pendant ­les vacances, jusqu’en 2005. J’ai quitté le CNRS au ­moment de ­l’affaire Battisti et après avoir terminé ma recherche sur l’épidémiologie de la peste.

Le succès est venu et ne s’est jamais démenti. ­Comment l’avez-vous vécu ?

Je réponds toujours : « Mieux vaut se prendre une bise qu’une baffe. » Le succès m’a surprise, amusée, dès qu’on a vendu 50 000 exemplaires de L’Homme à l’envers (1999). Maintenant c’est dix fois plus. Je n’y pense pas, ça ne m’a pas changée. J’ai toujours un niveau de confiance en moi proche du zéro. Mais ma sœur aime ce succès. Et comme nous sommes jumelles, notre identité existe à deux. Donc puisque ma sœur aime mon succès, je n’ai pas besoin de l’aimer.

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Vous parlez de votre timidité. Pourtant, vous vous êtes engagée dans la défense de Cesare Battisti, qui a toujours nié les meurtres pour lesquels il a été condamné en Italie. Vous avez été beaucoup attaquée, comme si la défense d’un homme par une femme était suspecte, motivée par des raisons sentimentales…

En effet, on ne dit jamais ça quand un homme défend une femme injustement accusée ou menacée. Quand je suis révoltée par une injustice, je n’ai plus de timidité. Mon côté combattant, guerrier, prend le dessus. J’ai fait l’enquête, examiné des milliers de pages d’archives italiennes. J’ai trouvé des preuves, en particulier les faux mandats.

Un mot sur votre dernier roman, « Quand sort la recluse ». Il y a toujours des animaux dans vos livres, mais c’est ­la première fois qu’on voit des araignées, que beaucoup ­craignent. Là, ce sont les recluses. La résolution du meurtre passe par tout un jeu sur le mot « recluse ». Sur la réclusion. Et par un conte. On n’en dira pas plus…

Je suis obsédée par les mots, leur étymologie. Le nom des gens aussi. Les contes m’intéressent car c’est là que réside l’inconscient collectif. Je n’aime pas la violence, le noir, je ne veux pas écrire des romans qui font mal, ou peur. Ce qui me passionne, c’est le processus de ­résolution qui mène à la fin du livre. Avec la rigueur obligée qui tient sans doute à mon expérience de scientifique. Finir est toujours ­difficile. Je voudrais donc terminer par deux maximes de Delacroix que m’a données ma sœur : « Finir demande un cœur d’acier » et « Le talent, c’est 90 % de besogne» Attention ! Cela ne veut pas dire que je me compare à Delacroix ! Mais ces phrases m’aident beaucoup.

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