Vos heures passées sur internet sont rentables... surtout pour les entreprises
Sur internet, les consommateurs ne créent pas seulement des richesses via leur données personnelles. Leur activité même crée une valeur captée par une foule d'entreprises du secteur du numérique mais pas seulement. Chaque jour lorsque nous commandons, commentons, jouons, apprenons, en réalité nous travaillons. La plupart du temps souvent à notre insu.
"Je n’ai pas compris, pour recommencer, appuyez sur la touche étoile". A l’autre bout du fil : personne. Seulement un serveur vocal d’une efficacité douteuse. Après quatre ou cinq étapes, peut-être serez-vous enfin mis en relation avec un être humain. Le moins souvent possible car c’est désormais au client de rechercher une information sur son compte bancaire, acheter un billet, trouver l’adresse d’un distributeur, obtenir le jour de livraison d’une commande. Les entreprises mettaient depuis longtemps leur clients au boulot via les services vocaux téléphoniques mais la démocratisation d’internet a fait entrer le phénomène dans une nouvelle dimension.
Dans un monde qui promet l’indépendance, la liberté, le consommateur ne serait-il pas mis au travail à son insu ? Cet internet où tout est gratuit, où chacun peut s’exprimer, recommander, échanger, apprendre, jouer rapporte beaucoup à des entreprises qui mettent avec ingéniosité les internautes à contribution. Ils y effectuent, une foule de tâches dévoluent autrefois aux salariés des entreprises ou à des prestataires qu’elles rémunéraient. Et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg car des business model entièrement nouveaux se créent à partir de notre activité sur le web. Les Français y passent en moyenne plus de 18h par semaine.
VOS INDICES
sourceServices gratuits
Première besogne qu’a pris en charge le consommateur : celle réalisée autrefois par les services commerciaux. Acheter ses billets de train en ligne est plus rapide et bien pratique puisque les contraintes d’horaires d’ouverture disparaissent mais il s’agit bien d’un travail au sens économique du terme. Le poinçonneur des Lilas a disparu, ce sera bientôt peut-être le tour des guichetiers. Depuis 2012, la part des billets SNCF pris en ligne dépasse celle de ceux achetés aux comptoirs de vente, et cette tendance ne semble pas s’inverser. De même aujourd'hui les services d'assistance au client sont largement remplacés par les forums d'internautes qui permettent de comprendre comment relancer sa box en évitant l'interminable attente au call center et en supprimant des frais que supportaient les opérateurs téléphoniques. Une société comme Orange bénéficie ainsi largement des trésors de pédagogie de ses propres clients.
En remontant la chaîne, le consommateur ne remplace pas seulement, les vendeurs mais aussi les marketeurs. Pourquoi payer une coûteuse agence de publicité ou de promotion des ventes quand la viralité d’internet permet de recruter à faible coûts de nouveaux clients grâce aux anciens. Sur les applications tel qu’Uber, un simple parrainage permet d’obtenir des réductions (5€ par parrainage chez Uber). Un travail de prospection précieux et rentable qui s’installe massivement sur les plates-formes en ligne.
L’internaute est de plus en plus au cœur du réacteur en participant même à la construction du produit. Agréablement surpris par le dernier Tarantino ? Un de vos réflexes de consommateurs connectés consiste à rédiger un avis, laisser un commentaire. Sur le site internet de cinéma, Allociné, l’avis des internautes est juxtaposé aux critiques de la presse et la note attribuée à chaque film participe à l’attractivité du site. Certaines plates-formes reposent entièrement sur ces nouvelles pratiques de notations ou de commentaires, comme le site TripAdvisor (en français conseiller de voyage).
Nous améliorons aussi parfois les produits en jouant. Dans cette catégorie, l’exemple le plus étonnant (ou inquiétant) est le site Verigames, opéré par la Darpa, l’agence de recherche du ministère américain de la défense. Les jeux de ce site analysent les performances des joueurs et servent à détecter de potentielles failles de sécurité dans des logiciels informatiques. "Un moyen de lier l’utile à l’agréable", explique le magazine Wired. Certaines entreprises font aussi travailler les internautes en apprenant. C’est le cas de Duolingo, une application d’apprentissage de langues étrangères (français, anglais, espagnol et bien d’autres ...). Sur un principe de "crowdsourcing", les traductions fournies par les élèves au cours de leurs exercices sont collectées, recoupées pour être revendues à des entreprises partenaires.
Une autoproduction et coproduction
Pour définir le phénomène, Marie-Anne Dujarier, sociologue et membre du CNRS, parle "d’autoproduction dirigée". Les entreprises nous simplifient au maximum les tâches pour que nous puissions les réaliser gratuitement. Ainsi, vous avez un sentiment d’autonomie accrue quand vous commandez vous-même vos places de cinéma en ligne. En réalité vous restez dépendant des outils qui sont mis à votre disposition par ces entreprises et réalisez ces taches dans une gratuité totale. Pour ce qui est des plateformes collaboratives qui récoltent les avis des internautes, elles s’appuient sur le sentiment d’utilité que chacun retire à s’exprimer. "On parle de coproduction collaborative, à chaque fois que l’on donne son avis car on aide à créer la confiance sur un marché", explique Marie-Anne Dujarier. La plupart du temps, l’apport du client est gratuit, mais parfois les termes de l’échange sont plus équilibrés comme dans le cas de Duolingo qui fournit en retour un service gratuit de cours de langue.
Alors qu’internet prend de plus en plus place dans nos vies, ce phénomène de travail du consommateur n’est pas encore quantifié. Mais que ce soit pour faire le travail du commercial, du marketing ou enrichir l’intelligence artificielle de l’armée américaine, votre temps passé sur internet a bien une valeur.
Léandre Herman-Kasse
Vos heures passées sur internet sont rentables... surtout pour les entreprises
Tous les champs sont obligatoires
0Commentaire
Réagir