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Marche des musulmans contre le terrorisme : «guéguerre» et message de paix

Une trentaine de responsables religieux ont entamé samedi un tour d’Europe sur les lieux des derniers attentats. Problème : l’initiative ravive des contentieux au sein des représentants français de l’islam.
par Bernadette Sauvaget
publié le 9 juillet 2017 à 18h56

Au volant de son bus, Marianne s'impatiente. Elle s'inquiète «du temps qu'ils perdent sur le timing». A elle seule, la chauffeuse pourrait être un symbole silencieux de ce périple de 4 000 kilomètres à travers l'Europe. De Berlin à Nice en passant par Bruxelles, un pèlerinage de la mémoire sur les lieux des attaques terroristes commises au nom de l'islam depuis deux ans et demi. Il y aura aussi un crochet à Toulouse, frappé par les attaques de Mohammed Merah en 2012. Le voyage a débuté samedi sur les Champs-Elysées, à l'endroit même où le policier Xavier Jugelé a été victime, le 20 avril, d'un attentat revendiqué immédiatement par l'Etat islamique. En partant, Marianne confie que son père est d'origine algérienne et sa mère française et catholique. Une fierté pour elle.

«Un peu mégalo»

Dans le bus, il y a beaucoup d'hommes, comme souvent dans ces milieux religieux. Une trentaine d'imams et des responsables religieux ont sagement pris place les uns à côté des autres. Certains viennent de Tunisie, d'Espagne ou encore du Portugal. «Une dizaine d'imams allemands vont se joindre à nous», explique l'un des initiateurs, Hassen Chalghoumi, le controversé responsable de la mosquée de Drancy (Seine-Saint-Denis). Avec l'écrivain Marek Halter, dont il est proche, il a préparé confidentiellement l'opération depuis quelques mois. «Je suis un peu mégalo, reconnaît Halter devant Libération. Au départ, j'avais prévu deux bus, mais nous avons dû y renoncer pour des raisons de coût.»

Sur les flancs du véhicule, une inscription en trois langues (français, arabe et anglais) : «Marche des musulmans contre le terrorisme». Parce qu'il faut bien marteler le message. «Dix millions de Français ont voté pour Marine Le Pen, s'insurge l'écrivain. C'est-à-dire contre eux.» Sa main désigne le groupe d'imams. Puis il plante son regard dans vos yeux et vous prend fermement les épaules. «Je suis né dans le ghetto de Varsovie, rappelle-t-il gravement. Je ne peux pas supporter que l'on s'en prenne à une partie de la communauté nationale.»

De fait, les derniers sondages ne sont guère encourageants. Selon l’enquête de la fondation Jean-Jaurès et de Sciences-Po menée fin juin par l’institut I’Ipsos, seuls 40 % des Français estiment l’islam compatible avec les valeurs de la société française et 74 % pensent que la religion musulmane cherche à imposer son mode de fonctionnement. Plus généralement, ils sont 85 % à s’inquiéter de la montée de l’intégrisme religieux.

Loin d’être un gage

Pour autant, la Marche des musulmans contre le terrorisme ne fait pas l'unanimité. L'initiative a remis une pièce dans la machine à polémiques. Les responsables du Conseil français du culte musulman ont décliné l'invitation : «C'est inconcevable que le CFCM se range derrière Chalghoumi», tranche abruptement l'éruptif Abdallah Zekri, trésorier de l'instance représentative. Il rappelle que les milieux musulmans apprécient très peu que Chaghoulmi - qui ne commente pas la bouderie - soit devenu le symbole médiatique de la lutte contre le fondamentalisme.

Le contentieux est ancien. Ce qui est reproché au responsable de la mosquée de Drancy, ce sont à la fois des liens forts avec des milieux juifs, son parcours, loin d’être un gage d’une réelle ouverture aux yeux de beaucoup (il est passé par les très rigoristes écoles coraniques du Tabligh au Pakistan), et le fait d’avoir renié ceux qui l’ont aidé quand il était sous le coup d’une menace d’expulsion de France. L’Union des organisations islamiques de France (proche des Frères musulmans) lui avait sauvé la mise au milieu des années 2000, et plus tard, Chalghoumi a pourtant eu des mots très durs pour les Frères musulmans.

«Cette guéguerre est moche, relève l'un des meilleurs experts de l'islam de France. Chalghoumi n'est pas habile dans sa manière de faire. Mais, au fond, lui et ses contradicteurs musulmans sont sur la même position : condamnation du terrorisme et combat contre l'amalgame entre l'islam et la violence jihadiste.»

Chicayas

Venu de Tunis, où il est prof de civilisation arabo-musulmane, Kamel Omrane ignore ces chicayas françaises : «Je suis là pour dire que ces terroristes ne peuvent pas parler en notre nom, que l'islam, c'est la paix. Non, je n'ai pas peur de Daech», explique-t-il à Libé. En s'exposant publiquement, ces responsables musulmans, comme d'autres, prennent de vrais risques.

Dans la nuit de samedi à dimanche, le bus est arrivé à Berlin. Devant l’église du Souvenir, un lieu emblématique de la ville, des milliers de Berlinois sont venus soutenir la marche. Qui se poursuivra le 13 juillet à Nice, puis le 14 à Paris.

Photo Cyril Zannettacci

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