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Amériques

Etudes, emploi, entreprise... Pourquoi le Canada fait autant rêver les Français

Terre d’émigration prisée des Français, ce pays toujours en quête de talents leur ouvre grand ses portes. Etudes, emploi, entreprise… tout est possible si l’on est bien préparé.

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Justin Trudeau, Premier ministre canadien, avec sa femme, lors de la Pride Parade, à Vancouver, le 31 juillet 2016. Le Canada est la première destination d’expatriation hors d’Europe des Français.

Justin Trudeau, Premier ministre canadien, avec sa femme, lors de la Pride Parade, à Vancouver, le 31 juillet 2016. Le Canada est la première destination d’expatriation hors d’Europe des Français.

Andrew Chin/Getty Image/AFP

Ce 1er juillet, les Canadiens ont célébré dignement le 150e anniversaire de la naissance officielle de leur pays. Mais les amateurs de marijuana devront encore patienter un an pour faire la fête - en toute légalité -, comme l'a promis leur très cool Premier ministre Justin Trudeau. Fort heureusement les milliers de Français qui s'installent chaque année dans le pays de Leonard Cohen et de Céline Dion n'ont pas attendu pour réaliser leur trip. Leur nombre a augmenté de 45% en une décennie. Aujourd'hui le Canada est, derrière les Etats-Unis, la première destination d'expatriation extra-européenne des Français. 

Contre-pied américain

Dans l’environnement politique actuel, le rêve canadien semble en mesure de gagner encore des parts de marché. « Face à l’Amérique plus frileuse de Donald Trump, le Canada de Justin Trudeau affiche son ouverture au monde », observe Jean-Michel Lacroix, historien du Canada et professeur émérite de civilisation nord-américaine à Paris 3 Sorbonne nouvelle. Désireux d’afficher l’image d’un pays « généreux, altruiste et optimiste », le fils de Pierre Elliott Trudeau (Premier ministre de 1968 à 1979 puis de 1980 à 1984) souhaite accueillir 300 000 immigrants, dont 15 % de francophones et bilingues cette année. A l’inverse, le président des Etats-Unis affirme non seulement sa volonté de fermer sa porte aux ressortissants de plusieurs pays du Moyen-Orient, mais il entend aussi durcir d’une manière générale l’octroi de visas de travail pour les étrangers.

L’aura internationale du leader canadien, signataire des accords de Paris sur le climat (COP 21) s’est aussi renforcée depuis que le locataire de la Maison-Blanche les a dénoncés. Quant au commerce international, Justin Trudeau a mis tout son poids dans la balance pour que les parlementaires canadiens ratifient l’accord de libre-échange avec l’Europe (CETA). Alors que Trump se dit prêt à remettre en cause les accords de libre-échange signés par les Etats Unis, voire même ceux conclus avec le Canada dans le cadre de l’ALENA.

Pourtant, si Justin Trudeau souhaite affirmer le rayonnement international de la 10e puissance mondiale, majoritairement anglophone, nombre de Français réduisent encore ce vaste territoire (deuxième plus grand pays au monde par sa superficie) à la seule province francophone de Québec. Comme si l’histoire du Canada, cédé aux Britanniques en 1763, se résumait aux combats politiques perdus par les souverainistes de la Belle Province et à « l’hiver » du chanteur Gilles Vignault. « Beaucoup de nos compatriotes voient les Québécois comme des cousins d’Amérique proches d’eux culturellement, , analyse Jean-Michel Lacroix. Mais ce sont des Américains francophones, ce qui est très différent. » Rien d’étonnant donc à ce que le Québec soit devenu la terre promise d’une vaste majorité d’expatriés français. Sur les 101 000 résidant au Canada, 68 000 vivent à Montréal. « Pour ceux qui ne parlent pas l’anglais, cela peut se comprendre, mais pour les autres, cela me semble moins évident », observe Yves Lostanlen, PDG de Siradel, société spécialisée dans la modélisation des villes en 3D et l’urbanisme intelligent, filiale d’Engie.

Mais cet engouement pour le Québec s’explique aussi par la volonté de ses leaders politiques successifs - parfois séparatistes - d’accueillir un maximum de Français pour éviter la dilution de la Belle Province dans un ensemble canadien à majorité anglophone. Education, recherche scientifique, business : depuis le célèbre « Vive le Québec libre », prononcé par le général de Gaulle le 24 juillet 1967 à Montréal, l’entreprise de charme envers la France n’a cessé de s’amplifier.

Du coup, le Québec a été considéré comme une porte d’entrée privilégiée par les majors du CAC 40 (Sodexo, Lafarge, Danone, L’Oréal, Michelin, Vinci, Sanofi), véritable point d’ancrage de leur développement en Amérique du nord. « Comparés à la France, les salaires sont plus bas de 15 à 20 % et le taux d’imposition sur les bénéfices y est plus faible », précise Cédric Combey, vice-président d’OVH-Amérique du nord. Ce spécialiste du stockage de données est d’ailleurs connu pour avoir installé l’un des plus grands centres du monde (360 000 serveurs) dans une ancienne usine plantée sur les berges du Saint-Laurent, à quelques kilomètres de Montréal.

Ce n’est pas tout. Pendant que des géants de la Tech et des jeux vidéo comme Ubisoft profitaient de packages fiscaux alléchants, des milliers de Français déboulaient dans les campus des universités montréalaises, trop contents de bénéficier, jusqu’en 2015, des mêmes droits et tarifs scolaires que les étudiants québécois. Revers de la médaille : les « expats » ont de moins en moins la cote auprès de certains Montréalais. « Il y a trop de Français sur le plateau de Mont Royal. Mon quartier a des airs de territoire occupé par des snobinards qui bossent dans la com, font monter les loyers et piquent nos jobs… » Cette chanson, diffusée sur YouTube fin 2013, a fait un carton.

L’option Toronto

Au-delà de cet agacement, le tropisme français pour le Québec n’est pas toujours fondé sur des facteurs rationnels. « Je vais installer ma boîte à Montréal, parce que ma fille fait ses études à l’université McGill, m’a dit un couple d’entrepreneurs français », déplore Solange Strom, qui a monté l’ensemble du réseau de distribution canadien de l’Occitane, que la marque lui a racheté en 2010. Comme beaucoup des 11 000 résidents de la capitale de l’Ontario, cette ex-présidente de la chambre de Commerce française à Toronto s’étonne du manque d’intérêt de ses compatriotes pour cette ville en plein boom. « Ce n’est pas nouveau, mais le pire c’est que cela continue ! », regrette-t-elle.

Deuxième centre financier d’Amérique du nord et huitième dans le monde, Toronto fait partie des mégalopoles les plus dynamiques de cette partie du monde, avec une croissance qui devrait dépasser les 3 % en 2017. Constamment en chantier - plus de 30 gratte-ciel sont sortis de terre ces dix dernières années -, la ville a vu ses prix de l’immobilier exploser de 50 % en deux ans. Mais pour enrayer la spéculation, qui avait déjà fait des ravages à Vancouver, les autorités ont mis en place une taxe de 15 % sur les acquisitions des investisseurs étrangers. Siège des cinq principales banques canadiennes, de fonds de pension, de la crème de la finance mondiale et de grands cabinets de conseil internationaux, le quartier financier de Bay Street n’a pour sa part rien à envier aux grandes places mondiales. Posée sur le bord du lac Ontario, à quelques encablures de la frontière américaine, cette ville de 2,6 millions d’habitants se situe, en outre, à équidistance entre Montréal et New York (1 h 30 en avion). « Toronto est idéale pour faire du business dans ce pays, mais aussi et surtout aux Etats-Unis », tranche Charles Losa, conseil en fusions acquisition à PwC Canada.

Arrogance française

Pour Roger Vandomme, président du Toronto French Business Network, l’énergie de la ville s’explique en grande partie par son modèle multiculturel « fondé sur des accommodements raisonnables jusqu’à présent ». Au total, pas moins d’1 million de migrants se sont installés dans le Grand Toronto (6,2 millions d’habitants). « Ici, la différence ne choque pas, c’est normal et accepté dans la mesure où la liberté des uns n’empiète pas sur celle des autres », enchérissent Olivier Berger et Sophie Perceval, cofondateurs de Wondereur, un site Internet d’informations dédié à l’art contemporain. Fondatrice de Real Food for Real Kids, une entreprise spécialisée dans les repas bios pour les crèches et cantines scolaires, qui nourrit chaque jour 15 000 enfants, Lulu Cohen-Farnell met néanmoins en garde les Français contre leur arrogance : « Personne ne les attend, ici ils ne sont que des immigrants parmi d’autres. »

Et sur le terrain culturel, Toronto n’a plus rien à envier à sa rivale québécoise. « Quels progrès ! constate Roger Vandomme. Dire qu’aux débuts des années 1980 la ville figurait en queue de classement dans ce domaine. » Devenue une référence dans le septième art grâce à son festival international du film, Toronto s’impose comme un lieu de tournage incontournable outre-Atlantique (689 réalisations en 2016) alors que les studios locaux s’affichent sans complexe face aux géants de Hollywood. Des atouts insoupçonnés qui devraient finir par séduire des Français soucieux de réaliser le rêve canadien. Pour - qui sait - jouer un jour les premiers rôles.

Une économie attractive malgré ses cycles et le risque de bulle

Depuis le début du XXIe siècle l’économie canadienne a déjà connu deux cycles. Un boom du prix des matières premières, qui s’est achevé fin 2015, et une bulle du marché de l’immobilier, qui menace maintenant d’exploser. Le prix du secteur résidentiel s’est envolé de 76 % en une décennie, et les encours de crédit des cinq principales banques locales ont triplé sur la période. La flambée n’est pas finie, puisque sur les douze derniers mois, les prix ont encore grimpé de 20 %.

Si bien que l’endettement immobilier, à 101 % du PIB, est l’un des plus élevés au monde. Autant dire que le marché est sous étroite surveillance : plusieurs villes, comme Vancouver ou Toronto, et sans doute bientôt Montréal, ont mis en place des taxes pour freiner l’appétit des investisseurs étrangers suspectés de spéculation. Et même si un petit établissement spécialisé, Home Capital, a fait faillite, les banquiers canadiens estiment que leur secteur est bien plus solide que ne l’était celui des Etats-Unis lors de la crise des subprimes en 2007. Leurs résultats sur le territoire représentent 1,3 % du PIB, contre 0,7 % aux Etats-Unis et 0,3 % au Royaume-Uni. Comme aux Etats-Unis ou en Europe, l’avenir est entre les mains de la banque centrale, qui pourrait remonter ses taux directeurs, aujourd’hui à 0,5 %. Mais l’institution n’a aucune envie de casser l’élan de la reprise. La Banque du Canada a revu au printemps ses prévisions de croissance du PIB pour 2017, en les remontant de 2,1 % à 2,5 %. Mais plutôt que parler d’un risque de surchauffe, elle préfère communiquer sur les « incertitudes » qui planent sur l’économie canadienne, et a revu ses prévisions pour 2018, à la baisse cette fois, en les ramenant de 2,1 % à « moins de 2 % ». Les incertitudes ? Il y a un certain Donald Trump, bien sûr, sachant que l’économie canadienne est imbriquée dans celle de son puissant voisin. Et puis, le récent recul du pétrole pourrait stopper net les velléités d’investissements qui semblaient se dessiner dans l’énergie. The Economist.

SOURCES : FMI, OCDE, ISQ, Cnuced

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