Le combat des Africaines pour leurs droits: Femmes, noires, pauvres... La triple malédiction (1/5)
Pendant six mois, d’octobre 2016 à mars 2017, la journaliste Lise Ménalque et son coéquipier Nicolas de Vuyst ont voyagé à moto à travers l’Afrique du Sud, le Botswana, la Zambie et la Tanzanie à la rencontre des femmes et de leurs familles. Dans chaque pays, Lise Ménalque a tâché d’approfondir un enjeu concernant les droits ou les non-droits des femmes : des violences sexuelles à l’égard des jeunes femmes en Afrique du Sud, à la question de la dot en Zambie, en passant par le problème de l’héritage au Botswana, ou encore les mariages entre personnes de même sexe en Tanzanie. A cheval entre lois et traditions, les femmes africaines doivent se battre pour garantir leurs droits et leurs libertés fondamentales.
- Publié le 10-07-2017 à 12h04
- Mis à jour le 10-07-2017 à 13h44
Pendant six mois, d'octobre 2016 à mars 2017, la journaliste Lise Ménalque et son coéquipier Nicolas de Vuyst ont voyagé à moto à travers l'Afrique du Sud, le Botswana, la Zambie et la Tanzanie à la rencontre des femmes et de leurs familles. Dans chaque pays, Lise Ménalque a tâché d'approfondir un enjeu concernant les droits ou les non-droits des femmes. Voici le premier chapitre sur une série de cinq.
Le soleil cogne en ce début de matinée de novembre à Johannesburg. On entend les bruits du centre-ville depuis la fenêtre entrouverte des locaux de l’ONG Lawyers for Human Rights. L’immeuble est en travaux. Des fils traînent parmi quelques morceaux de plâtre mal posé. Aux murs, des affiches sur lesquelles des enfants et des femmes à la peau sombre regardent les visiteurs. C’est ici que travaille l’avocate Sharon Ekambaram, responsable du programme d’aide pour les réfugiés et les migrants de l’organisation en Afrique du Sud. "Il y a quelques semaines, alors que je me rendais au travail et que j’étais arrêtée avec ma voiture au feu rouge, un type a posé un flingue sur ma tempe. Je lui ai donné ce que j’avais. C’est une réalité très dure qui me rappelle que la plupart des gens vivent uniquement dans cette violence", explique l’activiste.
De cette violence, les femmes sont les premières victimes et pas uniquement en Afrique du Sud où le taux de féminicide - meurtre d’une femme en raison de sa condition féminine - est un des plus élevés du monde, mais sur tout le continent.
Femmes, noires, pauvres : la triple malédiction
"Les femmes africaines subissent trois formes d’oppression. D’abord, à cause de la couleur de leur peau, parce qu’elles sont noires. Ensuite, parce qu’économiquement, ce sont elles les plus pauvres. Enfin, l’oppression de genre, parce qu’elles sont femmes", rappelle Sharon Ekambaram.
Les violences à l’égard des femmes sont une constante au niveau mondial. Selon les chiffres de 2016 de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), près d’une femme sur trois a été exposée au moins une fois au cours de sa vie à des violences physiques et sexuelles. L’Afrique ne fait pas exception.
Pourtant, quasiment tous les pays du continent ont ratifié la Convention des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW, NdlR). Mais sur le terrain, la réalité est différente. Les femmes africaines subissent des violences de toutes sortes comme le mariage forcé, le viol, ou encore la spoliation de leurs biens. Les jeunes femmes en situation socio-économique faible sont particulièrement vulnérables à ces agressions. C’est elles que nous avons souhaité écouter au cours de notre périple.
Là où seule la moto peut aller
Entre Cape Town et Kigali, sur près de 11 492 kilomètres à travers l’Afrique du Sud, le Botswana, la Zambie et la Tanzanie, elles ont été nombreuses à nous ouvrir leurs portes et nous éclairer sur les réalités de sociétés complexes et étonnantes.
Les motos forment un élément essentiel de ces reportages. Avec nos deux Suzuki GS150R achetées en Afrique du Sud, des engins légers et maniables, nous nous sommes rendus dans des lieux reculés accessibles uniquement via des pistes boueuses ou inondées. Nous avons fait étape dans des villes et des villages où les journalistes et les voyageurs se font rares. Rouler à moto nous a permis de mieux comprendre les sociétés que nous souhaitions découvrir, et les femmes que nous voulions rencontrer.
Les débuts n’ont pas été simples : s’entraîner en Espagne, braver l’administration sud-africaine pour acheter les montures, et commencer notre parcours par trois jours de tempête et un bras en écharpe. Petit à petit, les corps s’habituent et les rencontres s’accumulent, avec leurs doses d’accueil, de chaleur et d’éblouissement. En Afrique de l’Est, la moto a aussi cette qualité de permettre au pilote de se fondre dans la masse.
Détours improbables
Dans certains pays, le deux-roues motorisé est légion, notamment en Tanzanie où il est parfois le seul moyen de transport possible entre les villages. Grâce à nos casques et nos vêtements sobres, nous avons également évité les nombreux barrages de police et les complications aux différentes frontières que nous avons traversées. Les autorités ont tendance à inspecter les gros 4x4 étincelants, non pas des petites motos cabossées par les chutes du voyage.
En suivant le fil des différents contacts pour les reportages, notre carte s’est modifiée, révélant des routes improbables comme ce détour de 586 kilomètres de Palapye à Maun, au Botswana, pour se rendre au bord du Delta de l’Okavango afin d’y rencontrer plusieurs associations de défense des droits des femmes. La moto nous a permis de passer au-dessus des clichés grâce à l’itinérance et à l’improvisation.
Ce mode de transport a aussi facilité le contact avec les populations. Nous avons constaté que les femmes des pays africains que nous avons traversés font preuve d’une force et d’une résilience sans égales face aux différents types et degrés de violences auxquels elles sont confrontées tout au long de leur vie. Leurs luttes nous ont permis de relativiser, malgré les trombes d’eau aveuglantes de la saison des pluies en Zambie, ou la chaleur presque insoutenable du désert du Kalahari.
Ces reportages ont été réalisés avec le soutien du Fonds pour le journalisme en Fédération Wallonie-Bruxelles.