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Interview

Edouard Philippe : «La pression fiscale sera réduite de près de 11 milliards en 2018»

INTERVIEW - Le Premier ministre déclare aux « Echos » vouloir « créer un effet de souffle fiscal pour l’emploi et la croissance ». La taxation forfaitaire des revenus du capital sera appliquée dès l’an prochain. Pour le budget 2018, l’exécutif vise une croissance de 1,7 % et un déficit ramené à 2,7 % de PIB.

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Edouard Philippe, le Premier ministre.

Par Isabelle Ficek, Renaud Honoré, Étienne Lefebvre, Dominique Seux

Publié le 11 juil. 2017 à 20:05

Depuis votre discours de politique générale, le rythme des baisses d’impôt a suscité beaucoup de débats, voire d’incompréhensions. Quelle sera l’ampleur de la diminution des prélèvements obligatoires en 2018, pour les ménages et les entreprises ?

J’avais indiqué dès ce discours que la baisse des prélèvements représenterait 1 point de PIB, soit environ 20 milliards d’euros sur l’ensemble du quinquennat. Nous avons décidé d’en réaliser plus de la moitié dès l’année prochaine. La pression fiscale sera réduite de près de 0,6 point de PIB, soit un montant proche de 11 milliards. C’est un effort considérable.

Vous aviez parlé d’une baisse de 7 milliards d’euros samedi dernier. Pourquoi avoir changé de braquet ? Avez-vous été sensible aux critiques de certains économistes ?

Habituellement, les arbitrages fiscaux se font en août, et lors du discours de politique générale, qui porte sur la politique des années à venir, j’avais volontairement laissé ouvertes certaines questions sur le rythme des baisses d’impôts, comme par exemple pour la taxe d’habitation. Mais dans le courant de la semaine dernière, avec le président de la République, nous avons décidé d’accélérer ce rythme, afin de maximiser les effets économiques de cette stratégie.

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Qu’attendez-vous de ces mesures ?

Nous voulons provoquer un effet de souffle fiscal en faveur de l’investissement, de l’emploi et de la croissance. Entendons-nous bien : je ne crois pas que le seul instrument fiscal suffise à résoudre tous les problèmes économiques de la France. Il s’agit d’un élément d’une politique globale, cohérente, avec le plan d’investissements de 50 milliards, avec la réforme du droit du travail et toutes les réformes sociales – formation, apprentissage, retraites, assurance-chômage, etc. – qui vont être menées rapidement. Nous voulons donner confiance aux acteurs économiques, avec de la visibilité et des engagements précis.

Vous anticipez un choc de confiance ?

La confiance ne se décrète pas, elle se crée puis se constate.

Concrètement, quels impôts vont baisser en 2018 ?

D’abord, une première étape de la réforme de la taxe d’habitation va être engagée. Cela représentera environ 3 milliards de baisses d’impôt en 2018. Je tiens à discuter des modalités précises et des compensations nécessaires avec les collectivités locales, lors de la conférence des territoires qui se tiendra lundi prochain. Je rappelle par ailleurs que les cotisations sociales des salariés vont nettement diminuer au 1er janvier 2018, ce qui augmentera le pouvoir d’achat des actifs. Le message est clair : le travail doit payer !

La CSG va augmenter pour financer ces baisses de cotisations. Pourquoi ne précisez-vous pas les compensations envisagées pour les fonctionnaires et les travailleurs indépendants, qui craignent, eux, de voir leur pouvoir d’achat baisser ?

Le principe de ces compensations a été clairement affirmé, et nous souhaitons discuter des modalités avec les intéressés. Mais j’insiste : il n’y aura pas de perte de pouvoir d’achat pour les indépendants et les fonctionnaires. Il y aura des mesures de compensation pour ces deux catégories.

Qu’en est-il de la fiscalité du capital ?

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La réforme de l’ISF sera appliquée intégralement en 2018. Nous allons créer en lieu et place un impôt sur la fortune immobilière (IFI), de façon à ce que le patrimoine qui n’est pas immobilier ne soit pas taxé. Les seuils et les taux ne seront pas modifiés, et l’abattement de 30% sur la résidence principale sera conservé. C’est 3 milliards d’euros qui sont rendus aux Français.

Il s’y ajoutera la mise en œuvre, là encore dès l’année prochaine, du prélèvement forfaitaire unique sur les revenus de l’épargne d’environ 30 %, qui représentera une baisse d’impôt d’environ 1,5 milliard d’euros. Les produits défiscalisés comme le Livret A seront toujours exemptés. L’assurance-vie conservera son régime fiscal actuel, seuls les nouveaux flux d’investissements au-delà de 150.000 euros seront concernés par le prélèvement forfaitaire.

Allez-vous remettre en cause les mesures fiscales prises à la fin du quinquennat Hollande ?

Non. Elles n’étaient pas financées, mais nous les appliquerons et nous trouverons les financements. Il y aura notamment une nouvelle étape de baisse de l’impôt sur les sociétés. Le taux de l’impôt sur les sociétés sera ramené à 25% d’ici 2022.

Au final, quel niveau de croissance attendez-vous pour l’année prochaine avec ces baisses d’impôts ?

La priorité donnée à l’investissement et la prévisibilité que nous allons donner à tous les acteurs économiques auront un effet sur la croissance. Pour autant, nous restons prudents pour asseoir notre crédibilité budgétaire. Nous visons donc une croissance de 1,7% l’an prochain, après le 1,6% qui est attendu cette année.

Comment financez-vous vos nombreuses baisses d’impôts ?

Nous le ferons par une maîtrise de la dépense. Concrètement, il s’agira donc bien d’une stabilité en volume (hors inflation) de l’ensemble de la dépense publique ; sur l’Etat stricto sensu, cela devrait signifier une stabilité en valeur. Cela devrait représenter au moins 20 milliards d’euros d’économies en 2018.

Est-ce que cela vous permet de réduire significativement le déficit ?

Nous visons un déficit en dessous de 3 % du PIB en 2018. Plus précisément, le document d’orientation budgétaire que nous avons transmis au Parlement indique que nous visons un déficit de 2,7 % l’an prochain. Mais je ne suis pas un fétichiste du chiffre. Mon objectif politique est d’être en dessous de 3 %, grâce au retour de la confiance.

Vous expliquiez la semaine dernière que la « France danse sur un volcan » en référence à l’explosion de la dette. Celle-ci va-t-elle reculer ?

La stratégie que nous menons vise également à ramener à un niveau moins insoutenable l’endettement public. Celui-ci devra reculer de 5 points de PIB durant le quinquennat.

Pensez-vous que cela suffira à restaurer la confiance des partenaires européens ?

Je sais que la France a beaucoup à faire pour restaurer une crédibilité budgétaire de moyen terme. Mais nous avons un chemin assez clair avec des réformes structurelles, qui, je le pense, convaincront nos partenaires européens.

Pour faire vos économies, faut-il s’attendre à des réductions d’effectifs dans la fonction publique dès 2018 ?

L’objectif, c’est la maîtrise de la dépense publique. Compte tenu du poids de la masse salariale dans ces dépenses, il y a nécessairement une part de l’effort qui doit en provenir. Cela ne veut évidemment pas dire qu’on réduira le salaire des fonctionnaires. Mais je ne suis pas sûr qu’annoncer un chiffre annuel de baisse des effectifs ait beaucoup de sens en la matière. La bonne méthode n’est pas de décréter d’en haut un quantum.

Le vrai travail doit se faire ministère par ministère, et même direction par direction, pour voir ce qui est essentiel et les postes qui peuvent ne pas être remplacés lors des départs en retraite, mais aussi ce qu’on peut faire autrement. C’est ainsi qu’on pourra décider de la gestion des ressources humaines pour atteindre nos objectifs. Cela prend nécessairement un peu de temps. C’est exactement la méthode que j’ai employée au Havre.

Faut-il mettre la pression sur les collectivités locales pour qu’elles participent à l’effort sur les dépenses publiques ?

Il faut faire confiance aux collectivités locales, et en même temps leur dire clairement les choses. Dans l’exercice de maîtrise des dépenses publiques, chacun doit prendre sa part. Il faut d’abord avoir un dialogue. L’effort peut aussi passer par une liberté plus grande qui puisse leur permettre de s’organiser autrement, peut-être de s’affranchir d’une sorte d’uniformité qui n’est plus efficace. En fonction des situations, peut-on imaginer deux niveaux de collectivités en dessous de la région, et plus nécessairement trois ? Les modèles peuvent être différents selon les endroits. Ce sera discuté lors de la conférence des territoires.

Quelle est votre philosophie pour le budget de la défense, alors que des économies de 850 millions sont prévues en 2017 ?

Notre objectif est de consacrer 2 % du PIB en 2025, à travers plusieurs étapes, et nous allons le tenir. L’effort de défense doit être encore plus intense pour défendre nos intérêts dans un monde plus instable, et poursuivre le processus de modernisation de nos équipements. Cela exige de tracer un chemin crédible d’ici à 2025 : il sera progressif.

Le ministère des Armées est exemplaire en termes de transformation et d’efficacité de la dépense publique. Il y aura à son profit un effort supplémentaire, et ce dès l’an prochain. Quant aux 850 millions évoqués pour 2017, il s’inscrit dans le cadre de l’effort interministériel, mais préserve les capacités d’action de la défense. Au final, le budget des Armées pour 2017 sera conforme à ce qui était prévu en loi de finances initiale pour 2017.

Récemment, trois hausses fiscales ont été évoquées par votre gouvernement : le tabac, la taxe carbone et une possible taxe poids lourds. Qu’en est-il ?

On a 80.000 morts par an dus au tabac. C’est un sujet de santé publique qui ne se traite pas uniquement par l’impôt mais d’abord par la prévention. Ensuite, plus la hausse du prix du tabac est élevée, plus l’impact sur la consommation est important. Dès le budget 2018, nous aurons une hausse significative du tabac.

Concernant la fiscalité écologique, nous poursuivrons la montée en puissance de la composante carbone et allons lancer dès l’an prochain la convergence de la fiscalité de l’essence et du diesel, mais aussi donner sa trajectoire sur cinq ans afin que tout le monde puisse adapter ses comportements. Nous prendrons bien sûr en compte les situations particulières, des agriculteurs, des transporteurs qui continueront à bénéficier de leurs exonérations…

Et la taxe poids lourds ?

Je ne souhaite pas ouvrir à nouveau le débat de l’écotaxe, mais nous devrons néanmoins résoudre la question de la taxation de la pollution. Nous voulons taxer la pollution plus que le travail.

Nicolas Hulot a évoqué jusqu’à 17 fermetures de réacteurs nucléaires. Partagez-vous son constat ?

Ce qu’il a dit est plus prudent que le propos qu’on lui prête. Sur le fond, l’objectif de baisser la part du nucléaire dans la production d’électricité est un objectif formulé par le président pendant la campagne et sur lequel il n’y a pas à discuter. L’idée n’est pas de rompre avec le nucléaire en France mais d’arriver à un mix énergétique plus équilibré. Mais on oublie souvent en France que ce n’est pas le gouvernement qui décide seul. Il doit composer avec l’Autorité de sûreté nucléaire, qui va se prononcer fin 2018-début 2019 sur toute une série de renouvellement d’autorisation. Nous allons attendre que l’ASN nous dise ce qu’il en est. Nous devons aussi engager les discussions avec les acteurs de la filière, à commencer par EDF.

Mais des centrales vont bien fermer en France…

A moyen terme, bien sûr ! Les centrales nucléaires n’ont pas une durée de vie infinie et, si l’on veut respecter l’objectif de 50 % de la part du nucléaire dans le mix électrique français, des centrales fermeront mais je ne peux pas vous dire lesquelles. Il faut être prudent : cette décision devra tenir compte non seulement d’éléments techniques sur les centrales, mais aussi du niveau attendu de la consommation énergétique ou du développement des autres modes d’électricité. On parle depuis des années du offshore éolien, que je regarde moi-même avec beaucoup d’intérêt, mais rien de concret n’en est encore sorti.

Bruno Le Maire a avancé la vente de 10 milliards d’actifs de l’Etat. Où ? L’Etat actionnaire a-t-il vocation à rester au capital de PSA ?

Répondre en donnant des noms d’entreprises n’est pas la bonne méthode. L’Etat a un patrimoine, et je suis favorable à une gestion dynamique des actifs de l’Etat. Il peut être opportun de se renforcer dans tel domaine ou de se désengager dans tel autre, mais ce que je ne veux absolument pas, c’est que ce patrimoine soit cédé sans que cela ne s’inscrive justement dans une logique de gestion des actifs de l’Etat. Si c’est pour investir, cela a du sens, si cela vise simplement à payer les fins de mois, c’est malsain.

Mais quel est l’horizon pour la cession des 10 milliards ?

Vous connaissez un gestionnaire d’actifs et de patrimoine qui dit ce qu’il va vendre exactement et à quel moment ?

Au bout d’un mois et demi, quelle est votre appréciation globale de l’avancée de la réforme du code du travail ?

Je suis d’abord concentré sur l’objectif, parce que c’est une discussion importante pour l’Etat, pour les Français pour les organisations syndicales et patronales. Le sens de cette réforme a été très largement exposé par le président pendant sa campagne. Il n’y a donc pas de surprise, ce qui tranche assez nettement avec ce qui s’est passé auparavant. Nous discutons dans un esprit qui n’est pas un esprit de consensus à l’évidence, mais de respect. Il n’y a pas de partenaires plus ou moins respectables. Nous discutons avec tous, avec une méthode, et un calendrier intense. Celui-ci tient compte de leurs attentes car les ordonnances seront finalement publiées courant septembre, et pas durant le mois d’août comme initialement envisagé.

Vos décisions fiscales vont être vues par vos opposants comme un « cadeau aux riches et aux entreprises »…

Les oppositions – car il y en a plusieurs - oublieront sans doute de souligner que le pouvoir d’achat des salariés va progresser et que la réforme de la taxe d’habitation va être engagée sans attendre. On a un programme équilibré, présenté par le président élu, soutenu par une large majorité. Cette légitimité démocratique ne donne pas un blanc-seing, mais le droit et le devoir d’agir conformément à nos engagements. Il faut que la France avance.

Le revirement sur la politique fiscale ne constitue-t-il pas un premier accroc dans votre relation avec Emmanuel Macron ?

Absolument pas ! La déclaration de politique générale a rassemblé une très large majorité de députés qui ont accordé leur confiance au gouvernement. Et un très faible nombre a d’ailleurs voté contre. Les relations avec le président de la République sont excellentes et fluides. Nous partageons la même lecture des institutions.

J’ai vu la presse politique s’amuser à la polémique lors de l’annonce du Congrès à la veille de la déclaration de politique générale. Tout le monde a compris depuis que le président préside, fixe le cap, que le Premier ministre gouverne, met en œuvre le programme présidentiel. C’est ainsi que nous avons tranché la question du rythme des réformes fiscales.

Quel regard portez-vous sur votre famille politique, la droite ?

Je vois avec tristesse la base du parti politique que j’ai contribué à fonder aux côtés d’Alain Juppé s’étioler au fur et à mesure des années. Nous avions lors de sa création en 2002 360 parlementaires. Puis, en 2007, nous en avions 320, en 2012, 200… Pour finir lors de la présidentielle avec une base électorale très faible.

Après, un parti a-t-il intérêt à exclure des ministres et des députés qui engagent un programme de réformes ambitieuses, maîtrisent les dépenses publiques, baissent les impôts, alors que les deux tiers de son groupe parlementaire n’ont pas voté contre le discours de politique générale ?

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