Zeki Ünlüer, sur la tombe de sa fille Pinar, 29 ans, tuée par une homme dont elle avait refusé la demande en mariage, le 13 juin 2017 à Izmir

Zeki Ünlüer, sur la tombe de sa fille Pinar, 29 ans, tuée par une homme dont elle avait refusé la demande en mariage, le 13 juin 2017 à Izmir

afp.com/USAME ARI

Elle est l'une des 210 femmes à avoir été tuées en 2012 en Turquie, le plus souvent par des hommes qu'elles connaissaient, selon la plateforme Stop aux féminicides. Et ce nombre ne cesse d'augmenter depuis lors.

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"A chaque fois qu'une femme est tuée, je ressens la même douleur", confie à l'AFP Zeki Ünlüer, père de Pinar. "Ma femme et moi sommes morts le jour où notre fille a été enterrée. Je ne vis plus, je suis mort avec elle." L'assassin a été condamné à la prison à perpétuité.

Les journaux turcs rapportent quasiment chaque jour une nouvelle histoire de femme victime d'un homme qu'elle connaissait. En 2016, 328 ont été tuées, selon Stop aux féminicides. Et au cours des cinq premiers mois de 2017, elles étaient déjà 173, contre 137 sur la même période un an plus tôt, affirme l'organisation dans un rapport publié en mai.

Rien qu'à Izmir, troisième ville de Turquie et bastion laïc et progressiste, on recense 118 meurtres de femmes depuis 2010 - dont Pinar Ünlüer.

Le gouvernement turc a beau admettre que ces chiffres sont inacceptables, les militants estiment que la situation va de mal en pis.

La tentative de viol et le meurtre brutal d'une étudiante de 20 ans, Özgecan Aslan, en 2015, avait pourtant provoqué une vague de colère en Turquie et beaucoup espéraient alors des avancées concrètes sur la question.

- 'Nos femmes meurent' -

Mais rien n'a changé, estime le père de Pinar Ünlüer, qui pointe des failles juridiques permettant aux tueurs d'invoquer des circonstances atténuantes.

"Les punitions ne sont pas assez dissuasives", selon lui. "J'aimerais demander (à un ministre): +Si c'était votre enfant, vos filles, vos mères, que penseriez-vous ? Nos femmes meurent et vous ne faites rien+."

Comme la plupart des agresseurs, l'assassin de Pinar a demandé une réduction de peine, affirmant avoir été provoqué par la jeune femme, indique le père de celle-ci.

Les hommes cherchent souvent à obtenir une réduction de leur peine en prétextant un moment de démence, ou en affirmant que leur victime les a insultés ou trompés, relèvent les militants de la cause des femmes.

C'est le cas de l'ancien mari d'Eda Okutgen, tuée de plusieurs coups de poignard en novembre 2014, à Izmir. Condamné à la prison à perpétuité, il a ensuite obtenu l'annulation de cette peine. Il est actuellement rejugé et plaide la démence, explique Nazli Okutgen, soeur d'Eda.

L'état d'urgence instauré après le putsch manqué de juillet 2016 a encore aggravé la situation des femmes victimes de violences, affirme la Fondation pour la Solidarité des femmes, basée à Ankara.

Dans un rapport, cette fondation présente des cas de plaintes rejetées par des policiers expliquant avoir des affaires "plus importantes" à traiter. Un policier cité a ainsi dit à une victime venue porter plainte: "Il y a eu un coup d'Etat, la police a autre chose à faire".

La Fondation insiste aussi sur l'effet négatif des purges qui ont affecté le secteur public après le putsch manqué, avec plus de 100.000 personnes limogées ou suspendues, dont des policiers, juges et procureurs.

- 'Le droit d'être protégées' -

Plus de 37% des femmes turques disent avoir fait l'objet des violences physiques et/ou sexuelles, selon une enquête conduite en 2014 par le ministère de la Famille auprès de 15.000 foyers.

La Turquie s'est pourtant dotée d'un arsenal juridique censé protéger les femmes et punir leurs agresseurs. Mais, selon Gülsüm Kav, l'une des membres fondatrices de la plateforme Stop aux féminicides, les textes ne sont pas appliqués.

"Ces meurtres peuvent être arrêtés", assure-t-elle, pointant la baisse des féminicides de 180 en 2010 à 121 en 2011, qu'elle explique par le débat public autour de la mise en place d'une loi sur le sujet, votée en 2012, qui a montré aux agresseurs que les violences domestiques ne resteraient pas impunies.

"La loi donne aux femmes le droit d'être protégées", explique Mme Kav. "Mais lorsqu'elles réclament cette protection auprès de la police ou de la justice, elles sont renvoyées chez elles, les autorités tentent de les réconcilier avec leur conjoint ou elles reçoivent une protection uniquement sur le papier".

Les militants reprochent également au gouvernement des remarques incendiaires: le président Recep Tayyip Erdogan avait notamment provoqué une vague de fureur en 2016 en affirmant que les femmes étaient "incomplètes" sans enfants.

En Turquie aujourd'hui, la seule ministre femme, Fatma Betul Sayan Kaya, est en charge du ministère de la Famille et seulement 79 des 548 députés sont des femmes.

Pour Reyhan Kaplan, de l'Association de solidarité des femmes d'Izmir, la principale cause des violences faites aux femmes est le fait que "les hommes ne les considèrent comme leurs égales. Ils pensent être meilleurs qu'elles".

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