Extinctions de masse : avant les lions, des dinosaures et des trilobites

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Extinctions de masse : avant les lions, des dinosaures et des trilobites

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Le lion et l'éléphant sont des espèces menacées.
Le lion et l'éléphant sont des espèces menacées.
© AFP - MICHEL & CHRISTINE DENIS-HUOT / BIOSPHOTO

Previously. Les humains, en favorisant le changement climatique, pourraient bien avoir amorcé ce qui semble être une sixième extinction de masse. Il y a 66 millions d’années disparaissaient les dinosaures. Il s’agissait alors de la cinquième extinction à l’échelle planétaire. Quelles étaient les précédentes ?

C’est un “anéantissement biologique” qui se profile. Dans une étude publiée par Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) et relayée par le journal Le Monde, des chercheurs américains et mexicains ont tiré - une fois encore - la sonnette d’alarme : la biodiversité des mammifères, depuis le XXème siècle, est sur le déclin. Ainsi, 32 % des espèces de vertébrés voient leur population diminuer, et il ne s’agit pas que des espèces habituellement menacées, à l’image du panda, du tigre ou de l’ours blanc, mais bel et bien d’espèces aperçues au quotidien : 30 % de ces espèces sur le déclin sont en effet jugées “communes”, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas encore considérées comme "en danger", mais juste en tant que "faible préoccupation". Dans le même ordre de grandeur, pas moins de 40 % des espèces de mammifères ont vu leur territoire diminuer de 80 % en l'espace d'un siècle, entre 1900 et 2015.

Si des débats subsistent sur l'imminence d’une extinction de masse, ces données tendent à confirmer l’hypothèse selon laquelle la Terre serait au bord d’une sixième occurrence, provoquée cette fois par l’être humain. En septembre 2016, la Méthode scientifique revenait déjà sur la perspective de cette extinction de masse. "Ce qui est particulièrement préoccupant c'est le déclin massif, même d'espèces communes, de la diversité du vivant, estimait alors Jean-Christophe Vié, directeur adjoint du Programme mondial des espèces de l’Union Internationale de Conservation de la Nature. Une étude a estimé qu'on a perdu la moitié des populations animales en deux générations humaines. Je pense que restreindre la crise de la biodiversité à l'extinction est une erreur."

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C'est une bombe à retardement, on le sait. Pendant longtemps on s'est réfugiés derrière le climat. [...] Pour moi la nature régresse partout, on en a besoin, c'est notre garde-manger, notre pharmacie. Elle nous fournit tout ce dont on a besoin, elle disparaît, et on n'arrive pas à convaincre les politiques. La perte de la biodiversité est encore caricaturée à quelques espèces par-ci par-là. Jean-Christophe Vié

Biodiversité : vers la sixième extinction de masse ?

59 min

Trois critères pour une extinction de masse

Une extinction massive se définit sur trois critères : elle a une durée “brève” (quelques millions d’années à l’échelle des temps géologiques), elle est à l'échelle mondiale, et elle représente une disparition de plus de 75 % des espèces animales et végétales. Jusqu'ici, ces extinctions ont eu pour origine trois causes principales, souvent liées : une cause biologique (un appauvrissement génétique par exemple), une cause terrestre (le volcanisme, des changements climatiques) ou encore une cause extra-terrestre (un impact de météorite ou des rayonnements cosmique). A ces causes pourrait bien s'ajouter l'influence de l'être humain, si l’hypothèse d’une sixième extinction venait à se confirmer.

Au Paléozoïque : trois extinctions massives

A l’échelle de la Terre, on compte d’ores et déjà cinq grandes extinctions, essentiellement en raison d'aléas climatiques, parfois dus à l'activité volcanique ou un impact de météorite. Elles accompagnent, systématiquement, le passage vers une nouvelle ère de l'histoire de la Terre.

1 - Il y a 445 millions d'années, la fin de l'Ordovicien

Le Hurdiidé planctonophage trémadocien Aegirocassis benmoulae, un représentant de la grande diversification ordovicienne.
Le Hurdiidé planctonophage trémadocien Aegirocassis benmoulae, un représentant de la grande diversification ordovicienne.
- Nobu Tamura

La première est survenue entre l’Ordovicien et le Silurien. Une grande glaciation créé alors des désordres climatiques et écologiques importants et les différents organismes peinent à s’adapter : 85 % des espèces marines connues disparaissent. Une autre hypothèse suggère qu’un rayonnement gamma aurait pu atteindre la Terre.

"La première crise se passe au début de l'ère primaire, où les organismes à corps mous sont remplacés par des organismes à coquilles, avec une carapace, retraçait le paléontologue Éric Buffetaut dans l'émission Perspectives scientifiques, en 1986, consacrée aux causes des disparitions des espèces lors de l'ère primaire. [...] Il est vraisemblable qu'un grand nombre de formes qui n'avaient aucun protection externe ont été éliminées à cette époque" :

2 - Il y a 380 millions d'années, la fin du Dévonien

Les trilobites sont des arthropodes marins fossiles ayant existé du Cambrien au Permien.
Les trilobites sont des arthropodes marins fossiles ayant existé du Cambrien au Permien.
- Didier Descouens

Si les causes de cette extinction sont encore débattues, l’hypothèse principale veut que des variations du niveau de la mer, à la suite de glaciations, aient conduit à un phénomène d’anoxie des océans (une réduction de la concentration de dioxygène), menant à une disparition estimée à 75 % des espèces animales.

3 - Il y a 250 millions d'années, la fin du Permien

L'édaphosaure, du genre des "reptiles mammaliens", était un herbivore pouvant mesurer jusqu'à 3 mètres de long.
L'édaphosaure, du genre des "reptiles mammaliens", était un herbivore pouvant mesurer jusqu'à 3 mètres de long.
- Dmitry Bogdanov

La plus grosse extinction connue est la troisième : au Permien-Trias, plus de 90 % des espèces terrestres comme marines disparaissent. Les océans sont acides, pauvres en oxygène et riches en gaz carboniques et sulfures. Pendant 20 millions d’années, la Terre est toxique, et seuls de petits reptiles extrêmement résistants survivent : ils donneront les dinosaures. Les hypothèses pour expliquer cette extinction sont nombreuses : éruption d’un super-volcan, impacts météoritiques ou dégradation graduelle de l’environnement ; ou même la prolifération d'un microbe producteur de méthane.

Le Dinogorgon rubigei vivait en Afrique du Sud à la fin du Permien, il y a plus de 252 millions d’années »
Le Dinogorgon rubigei vivait en Afrique du Sud à la fin du Permien, il y a plus de 252 millions d’années »
- Dmitry Bogdanov

Au Mésozoïque : deux extinctions massives pendant l'ère des reptiles

4 - Il y a 215 millions d'années, la fin du Trias

La quatrième extinction a pris place environ 40 millions d’années après la troisième, pendant le Trias-Jurassique : la dislocation de la Pangée (un super-continent regroupant l’ensemble des terres émergées) provoque des éruptions volcaniques massives, pendant au moins 600 000 ans. Les niveaux de dioxyde de carbone et de méthane conduisent à un important réchauffement planétaire : la moitié de la diversité biologique sur Terre disparaît, dont la plupart des diapsides (reptiles, oiseaux) et les derniers grands amphibiens. Mais cette extinction permet aux dinosaures de devenir l’espèce dominante.

"Cette grande crise correspond grossièrement à l’explosion des reptiles. Ils vont se mettre à dominer la Terre, expliquait le paléontologue Jean-Michel Mazin en 1986, toujours dans l'émission Perspectives scientifiques, consacrée cette fois aux extinctions de l'ère secondaire. Ils vont évoluer dans de nombreuses directions, et c’est pendant cette période qu’on voit l’apparition des dinosaures, qu’on voit l’apparition d’un grand groupe de reptiles comme les reptiles volants, les tortues, beaucoup de reptiles marins… C’est une période assez trouble sur le plan de l’évolution."

Evolution et extinction des espèces : les grandes extinctions de l'ère secondaire (Perspectives scientifiques, 24/03/1986)

29 min

Il y avait bien sûr des reptiles mammaliens. Ce sont les ancêtres des mammifères, un groupe de reptiles parmi lesquels on trouve les ancêtres directs des mammifères. Ce sont un peu les dominants pendant le tout début de l’ère secondaire, vers les 195 millions d’années, ils vont disparaître, ils vont s’éclipser, au profit des autres vrais reptiles, qui vont dominer pendant toute l’ère secondaire alors que la lignée des mammifères va rester dans l’ombre pendant quelque chose comme 160 millions d’années, jusqu’à ce grand événement de la fin de l’ère secondaire où les grands reptiles disparaîtront et les mammifères prendront leur revanche. Jean-Michel Mazin

5 - Il y a 66 millions d'années, la fin du Crétacé

Un impact d'astéroïde.
Un impact d'astéroïde.
© AFP - MGA / Science Photo Library

La cinquième extinction est certainement la plus connue, et continue encore aujourd’hui d’animer de nombreux débats. Il y a 66 millions d’années, un événement majeur met un terme au règne des dinosaures. L’hypothèse la plus aboutie reste celle d’un impact de météorite d'une dizaine de km de diamètre, dont la puissance d'explosion équivaut à plusieurs milliards de fois celle de la bombe d’Hiroshima : un immense cratère (découvert en 1991 dans la péninsule du Yucatán au Mexique et baptisé “cratère de Chicxulub"), d'environ 200 km de diamètre se forme. L’impact soulève un nuage de poussière, qui aurait bloqué la lumière du Soleil sur une majeure partie de la Terre, mettant à mal les écosystèmes et marquant là la fin de l’ère du Crétacé. Et le début du règne des mammifères.

La Méthode scientifique
57 min

La sixième extinction : l’ère de l’anthropocène

Si les scientifiques ont statué sur cinq grandes extinctions, on en dénombre de nombreuses autres, de moins grande ampleur, au cours de l'histoire de la Terre. Quant à la sixième, elle pourrait bien avoir été amorcée il y a maintenant 13 000 ans, quand l'être humain a commencé à coloniser la planète bleue. Dès la période préhistorique et protohistorique, l'influence de l'être humain provoque en effet la disparition de nombreuses espèces, que ce soit par la surchasse, la transformation de l'environnement (notamment avec les pratiques de culture sur brûlis détruisant les écosystèmes) ou même la capacité de l'Homme à déplacer des espèces végétales ou animales, amenant ainsi à la disparition d'espèces locales. Depuis, la situation ne s'est pas améliorée, et l'influence de l'être humain toujours plus prégnante sur son environnement a conduit inlassablement à l'éradication pure et simple de certaines espèces, à l'image bien connue du fameux "Dodo".

Les débats subsistent néanmoins sur la pertinence de qualifier les événements actuels de "sixième extinction", mais le choix de cette dénomination traduit surtout l'inquiétude face à l'extrême rapidité des disparitions d'espèce : pour les scientifiques responsables de l'étude publiée dans Proceedings of the National Academy of Sciences, plus de 50 % des animaux ont disparu depuis quarante ans. Un résultat sans commune mesure avec les extinctions précédentes : le taux d'extinction actuel serait ainsi entre 100 à 1 000 fois supérieur au taux moyen naturel constaté dans l'histoire de la biodiversité.