Collusion avec la Russie : «Donald Trump est maintenant au bord du précipice»

    Agrégé d'histoire spécialiste des Etats-Unis, Corentin Sellin explique en quoi les dernières révélations sur le rôle du fils du président américain pendant la campagne peuvent précipiter sa chute.

    Donald Trump Junior et son son père en campagne, en septembre 2016 à la Hofstra University à Hempstead (Etat de New York).
    Donald Trump Junior et son son père en campagne, en septembre 2016 à la Hofstra University à Hempstead (Etat de New York). Reuters

      Investi il y a moins de six mois, le président Trump doit faire face à de nouvelles révélations qui fragilisent un peu plus son pouvoir. Dernier rebondissement fracassant : le fils aîné du président américain, Donald Trump Junior, a admis mardi avoir rencontré l'an dernier une avocate, présentée comme une émissaire du gouvernement russe, en possession d'informations potentiellement compromettantes sur Hillary Clinton.

      Professeur agrégé d'histoire, Corentin Sellin * est spécialiste de la politique américaine. Il nous aide à y voir plus clair dans le tourbillon de scandales et de soupçons qui entoure la Maison-Blanche.

      En quoi les révélations sur le fils du président Trump marquent-elles un tournant dans l'affaire des soupçons de collusion avec la Russie ?

      CORENTIN SELLIN. Parce que c'est tout simplement le premier élément tangible de collusion. Pour la première fois, on a la preuve qu'une personne de l'entourage proche de Donald Trump, son fils, a travaillé avec la Russie pour obtenir des informations sur son adversaire Hillary Clinton. Ces échanges d'emails montrent clairement qu'il y a eu quelque chose, contrairement à ce qu'avait toujours affirmé Donald Trump, qui considérait que cette affaire n'était qu'un coup monté par les médias et les démocrates.

      LIRE AUSSI
      > Affaire russe : le procureur spécial enquête sur Donald Trump

      Sur Twitter, vous affirmez que, si tout est confirmé, «Trump est fini». Pourquoi?

      Pour plusieurs raisons. On le voit, il est actuellement dans l'incapacité de gouverner. Toute son énergie est consacrée à sa défense médiatique. Il passe son temps sur Twitter à relayer des tweets favorables de Fox News, à allumer des contre-feux... Donald Trump a embauché un avocat privé pour sa défense, mais elle a un mal fou à se mettre en place.

      Et puis, politiquement, pour la première fois, des élus conservateurs pro-Trump qui l'ont toujours soutenu s'interrogent publiquement. On parle tout de même d'une tentative de collusion avec une puissance étrangère ennemie ! Le vice-président Mike Pence a pris ses distances dans un communiqué. Le chef de la majorité républicaine au Sénat a lui aussi fait le service minimum. On assiste à des lâchages dans son premier cercle.

      Il reste néanmoins beaucoup de zones d'ombre. Pour l'instant, il n'est pas inquiété directement.

      Effectivement, il y a encore un chaînon manquant. Il faut maintenant prouver que Donald Trump était au courant de l'initiative de son fils et qu'il a pu en tirer avantage. Mais on commence à avoir un faisceau d'indices. Il est maintenant au bord du précipice. Il y a des coïncidences troublantes. Pendant la campagne, on l'a entendu promettre des révélations sur Hillary Clinton au moment même où son fils était en train de mettre sur pied le rendez-vous avec les Russes.

      Ces faits sont antérieurs à l'élection. Peuvent-ils être considérés comme une «haute trahison»?

      La Constitution américaine définit la haute trahison de manière très précise, elle est réservée aux cas de guerre. En revanche, le président Trump fait face à plusieurs risques juridiques. Premièrement, il est formellement interdit par la loi américaine de recevoir une contribution d'un pays étranger pour une campagne politique. Si la Russie a fourni des informations à l'équipe de Trump, cela peut être considéré comme une sorte de contribution déguisée. Donald Trump Jr peut donc être poursuivi pour avoir violé la loi sur le financement d'une campagne.

      Ensuite, si jamais on arrive à prouver qu'en échange de renseignements, il y a eu des changements dans la plateforme programmatique du Parti républicain dans un sens pro-russe, on pourrait considérer que Trump et son fils tombent sous le coup de la loi Logan de 1799. Cette loi, jamais appliquée, dit qu'un citoyen américain privé ne peut pas chercher à modifier la politique étrangère des Etats-Unis sans l'accord du gouvernement.

      Une procédure de destitution (impeachment) du président est-elle envisageable ?

      Si jamais il est avéré que le futur président Trump a accepté l'aide de la Russie et qu'il est prouvé qu'il a conduit sa politique en fonction de cette aide-là, on entre clairement dans le cadre d'une destitution. On serait face à un cas de trahison au sens où l'entend la procédure de l'impeachment. Difficile de savoir quels seraient les qualificatifs retenus par la Chambre des représentants, mais elle pourrait estimer que le président a violé les devoirs de sa charge et mis en danger les intérêts du pays.

      *Corentin Sellin vient de publier «Trump, candidat des pauvres, président des riches» dans la revue spécialisée Potomac Paper, de l'Institut français des relations internationales (Ifri).