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Les réseaux d’affaires souterrains de Pyongyang

La Chine joue un rôle crucial d’intermédiaire pour permettre à la Corée du Nord d’accéder au système financier global. Les Etats-Unis ont commencé à cibler les entités derrière ces flux

Kim Jong Un, dirigeant de la Corée du Nord. — © KCNA KCNA / Reuters
Kim Jong Un, dirigeant de la Corée du Nord. — © KCNA KCNA / Reuters

L’administration Trump est furieuse: malgré un début de lune de miel entre le président américain et son homologue chinois, Xi Jinping, l’Empire du Milieu continue de favoriser le commerce entre la Corée du Nord et le reste du monde. Les échanges entre Pékin et Pyongyang ont même crû de 37% au premier trimestre de 2017. Résultat: Washington s’apprête à durcir unilatéralement les sanctions contre la Corée du Nord, en visant les entreprises et les banques chinoises qui favorisent ces flux. Fin juin, les Etats-Unis ont déjà exclu du système financier américain l’établissement chinois Bank of Dandong, l’accusant d’effectuer des transactions pour le compte de Pyongyang.

Si une partie de ces activités sont licites, comme l’exportation de biens de première nécessité vers la Corée du Nord, d’autres violent les sanctions onusiennes décrétées en 2006 et progressivement durcies. Pour alimenter son programme nucléaire, l’Etat paria importe de l’aluminium et de l’uranium, ainsi que certaines pièces dont il ne maîtrise pas la fabrication. Il exporte aussi des faux billets de 100 dollars, des cigarettes de contrefaçon et de la méthamphétamine en cristaux, pratique le hacking de données informatiques contre rançon et vend des armes à plusieurs Etats, dont la Syrie, l’Iran, la Birmanie, la République démocratique du Congo et l’Erythrée.

Sociétés-écrans

Or, les flux financiers liés à ces activités «passent par un réseau complexe de sociétés-écrans et de banques, pour la plupart situées en Chine, qui ont pour but de brouiller l’origine et la destination de ces fonds», note David Thomson de l’ONG C4ADS, spécialisée dans l’analyse de ces échanges.

Plusieurs cas récents l’illustrent. Le 11 août 2016, un navire appelé Jie Shun a été intercepté par les autorités égyptiennes. A son bord se trouvaient 132 tonnes d’armes, dont 30 000 grenades et lanceurs PG-7, selon un rapport de l’ONU. Tout avait été produit en Corée du Nord et était vraisemblablement destiné à la Syrie ou au Liban. Le bateau était opéré par un Chinois appelé Fan Mintian, qui possède l’entreprise de shipping Dalian Sea Glory et avait déjà vendu en 2011 des composants de missiles nord-coréens à la Birmanie.

Quant au propriétaire du Jie Shun, il s’agit de l’entreprise hongkongaise Vast Win Trading Ltd, appartenant à la ressortissante chinoise Sun Sihong, selon une enquête de C4ADS. Cette dernière est l’associée d’un autre Chinois, Sun Sidong, qui possède la firme Dandong Dongyuan Industrial. En juin 2016, cette entité a exporté en Corée du Nord pour 790 000 dollars de matériel de communication pouvant servir de système de guidage pour des missiles balistiques.

Dans un autre cas révélé la semaine dernière, la justice américaine a saisi les fonds maintenus par l’entité chinoise Dandong Zhicheng Metallic Material et quatre sociétés-écrans qui lui sont affiliées dans des comptes auprès de huit banques américaines et européennes, dont HSBC, Deutsche Bank, Standard Chartered et JPMorgan Chase. Cette firme, l’un des principaux intermédiaires utilisés par Pyongyang pour exporter son charbon, aurait effectué des transactions pour le compte du programme d’armement nord-coréen, selon les enquêteurs américains.

Une procédure entamée en septembre dernier par la justice américaine contre l’entreprise chinoise Dandong Hongxiang Industrial Development (DHID) lève un autre coin du voile sur la façon dont la Corée du Nord se sert de son grand voisin pour mener ses affaires. DHID a créé 22 sociétés-écrans à Hongkong, aux Seychelles, aux îles Vierges britanniques et au pays de Galles pour opérer une flotte de navires chargés d’exporter et d’importer – en toute discrétion – des biens pour la Corée du Nord, comme du sucre, des fertilisants, des voitures ou du charbon.

Centrifugeuses

En 2015, DHID lui a livré de l’alumine, une substance qui peut servir à développer des centrifugeuses pour enrichir de l’uranium. En mars 2013, elle a cherché à acheter de l’urée (un engrais) à une entreprise suisse par l’entremise d’une entité appelée Fully Max Trading et incorporée aux îles Vierges britanniques, selon la plainte américaine. «L’argent pour ces transactions transitait par des comptes ouverts au nom de ces sociétés-écrans auprès de banques chinoises», précise David Thomson, dont l’ONG a révélé ce cas.

Mais la Chine n’est pas le seul pays à avoir donné un coup de main à la Corée du Nord. Toutes les factures liées à un chargement d’armes cubain destiné à Pyongyang et intercepté en 2013 avaient été payées par l’entreprise de shipping singapourienne Chinpo. «Elle fonctionnait essentiellement comme le compte bancaire du régime nord-coréen», note Sandy Baggett, une ancienne procureure de Singapour qui a participé à cette enquête. Entre 2009 et 2013, elle a effectué 605 transactions pour le compte de Pyongyang, d’une valeur de 40 millions de dollars.

Dans le passé, le vendeur de bateaux de luxe autrichien Josef Schwartz et le banquier britannique Nigel Cowie ont joué un rôle semblable d’intermédiaire. Tout comme Banco Delta Asia, un établissement de Macao dont les comptes ont été gelés par la justice américaine en 2005.

La Suisse a également apporté sa pierre à l’édifice. En 2010, un rapport de l’ONU indiquait que la Banque de Commerce et de Placements de Genève et la Banca Commerciale de Lugano avaient un compte de correspondance appartenant à la Korea United Development Bank. En 2009, un câble diplomatique publié par WikiLeaks affirmait que la filiale genevoise de Lloyds TSB opérait un compte de correspondance pour Tanchon Commercial Bank, le bras financier de Komid, un exportateur d’armes nord-coréen.