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High-Tech

Google contre le fisc : le coup de gueule d'Eva Joly

EXCLUSIF Alors que Google a échappé au redressement fiscal de la France sur 1,1 milliard d'euros, la députée européenne Eva Joly explique comment on en est arrivé là à Challenges. Elle proteste et prône une révolution fiscale en Europe et dans le monde. 

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La députée européenne EELV Eva Joly le 16 mai 2014 à Lille

La députée européenne EELV Eva Joly le 16 mai 2014 à Lille

(c) Afp

La décision était attendue, elle laisse cependant un goût amer. Ce mercredi 12 juillet, le Tribunal administratif de Paris a donné raison à Google qui contestait un redressement fiscal de 1,1 milliard d’euros réclamé par le fisc français sur la période de 2005 à 2010. Son imposition reste donc minimale. A titre d’illustration, Google qui salarie 700 personnes en France a déclaré n’a versé que 6,7 millions d’euros d’impôts en France en 2016. Comment en est-on arrivé là ? Challenges a demandé à Eva Joly, députée européenne EELV, engagée contre l’évasion fiscale d’expliquer les failles juridiques.

En quoi consistait cette enquête de l’administration fiscale française sur Google ?

Elle cherchait à prouver que Google a bien un ‘établissement stable’ en France, c’est-à-dire qu’il y bien  des salariés et que des activités y sont facturées. Il y a bien 700 personnes dont une grosse partie rue de Londres à Paris. Google avance qu’il n’y a pas de serveurs ni de vente d’espaces publicitaires réalisée en France. Effectivement les contrats sont signés par sa filiale Irlandaise. Et le juge ne fait qu’appliquer la convention fiscale bilatérale entre la France et l’Irlande qui prime sur le droit interne.

Êtes-vous surprise par la décision du tribunal administratif annulant le redressement ?

Cette décision est très conformiste, elle s’inscrit dans la droite de ligne de la suggestion du rapporteur public du 14 juin dernier. Elle montre bien le problème : quand vous opérez avec des textes de loi faits pour des dinosaures, c’est difficile d’attraper des aigles ! Les textes sur lesquels le tribunal administratif se base ont plus de 40 ans, ils datent d’une époque où l’économie numérique n’existait même pas !

Cette réponse me désole car la juridiction administrative française est justement connue pour avoir su dans le passé adapter les textes au réel. Dans un tout autre genre, c’est elle qui a fait jurisprudence et reconnu les droits de la concubine par le passé en estimant qu’elle avait un intérêt légitime, ce que la Cour de Cassation lui contestait alors. Le Conseil d’État était alors plus moderne que la Cour de Cassation. Dans l’interprétation des lois, il y une liberté.  Cette fois, elle n’a pas saisi l’occasion d’adapter la jurisprudence à l’économie numérique, elle est restée conservatrice.  Il y a un décalage entre la théorie et le réel ici. Il faut pourtant vérifier que la multinationale américaine ne déroge pas au plus grand principe du droit fiscal : l’égalité devant l’impôt.

Ensuite, je pense que l’objectif essentiel de Google en choisissant la répartition de ses sièges, postes et filiales, était de minimiser le plus possible l’impôt. Or, selon l’article L64 du Livre des procédures fiscales, l’abus de droit est interdit.

Quel serait le système fiscal idéal pour éviter l'optimisation des multinationales ?

Nous sommes nombreux à travailler sur les abus du droit des sociétés multinationales. Si on veut que ces situations s’arrêtent, il faut taxer les multinationales comme une seule unité d’abord, et ensuite répartir la recette de l’impôt entre les pays. Nous y réfléchissons au sein de l’Independent Commission for the Reform of International Corporate Taxation (ICRIT) avec des personnalités avisées comme Joseph Stiglitz ou José Antonio Ocampo. Nous pensons que c’est à l’ONU d’agir pour imposer cette nouvelle manière de faire. Les règles de l’OCDE ne contestent pas radicalement la structure actuelle.

Que peut faire l’Union Européenne ?

La Commission européenne a proposé une directive pour changer les règles fiscales auxquelles sont soumises les plus grandes sociétés en Europe, l’ACCIS (Assiette Commune Consolidée pour l'Impôt sur les Sociétés). L’idée serait d’appliquer les mêmes règles de calcul pour l’assiette fiscale à l’ensemble des sociétés multinationales puis de répartir les recettes entre les États. À terme, l’idée serait d’harmoniser les taux d’imposition sur les sociétés multinationales.Je suis assez optimiste sur l’adoption de cette directive, nous poussons dans ce sens. Seuls le Luxembourg, l’Irlande, les Pays-Bas et Malte devraient s’y opposer mais ils ne peuvent pas refuser de coopérer loyalement longtemps car c’est contraire au traité européen.

L’Union européenne est une vraie force. En passant par le droit de la concurrence, la Commissaire Margrethe Vestager a réussi à imposer une amende de 13 milliards d’euros à Apple. Elle pourrait aboutir au même résultat pour Google.

Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire souhaite que les GAFA « payent les impôts qu’ils doivent aux contribuables européens ». Que peut faire la France ?

Gérard Darmanin, le ministre de l’Action et des comptes publics, a annoncé faire appel pour vérifier si l’interprétation du tribunal administratif est la bonne. C’était impératif. L’autre voie est de faire évoluer la législation : seule l’imposition unitaire mettra vraiment fin aux abus du droit des sociétés multinationales.

Êtes-vous optimiste pour la suite ?

Je ne dis pas que ça va être facile, mais à mon avis c’est un des derniers débordements du genre. Il y a une prise de conscience et un ras-le-bol des citoyens européens contre les abus des multinationales, comme pour Starbucks par exemple. En combinant une volonté politique forte et la demande de l’opinion, les lignes vont bouger.  Ce n’est que la première manche.

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