Sergio Moro, le juge qui fait trembler la classe politique au Brésil

Rosa Sulleiro
<p>Le juge brésilien Sergio Moro, qui vient de condamner l'ex-président Lula à la prison, photographié le 30 mai 2017 à Estoril, près de Lisbonne au Portugal</p>

"Héros" du combat contre la corruption ou "putschiste" abusant de son pouvoir, le juge Sergio Moro, qui vient de condamner l'ex-président Lula à la prison, ne laisse personne indifférent au Brésil depuis qu'il court après l'argent noir de Petrobras.

Mercredi, ce magistrat de 44 ans a asséné un coup terrible à l'ex-président Luiz Inacio Lula da Silva (2003-2010), en le condamnant à neuf ans et six mois de prison, une de ses décisions les plus spectaculaires en trois ans d'enquête tentaculaire et qui rebat les cartes de la présidentielle de 2018.

Le juge Moro est chargé de l'opération "Lavage express", enquête qui fait trembler les politiques de tous bords. Lula est à lui seul visé par cinq procédures judiciaires au total.

La plus grande enquête anticorruption jamais menée au Brésil a commencé il y a trois ans, quand Sergio Moro a ordonné l'arrestation d'Alberto Youssef, un courtier de change au casier judiciaire fourni, qui l'introduira dans le dédale secret des cloaques du pouvoir.

Démêlant un vaste système de détournements de fonds ayant coûté deux milliards de dollars au groupe pétrolier étatique, le juge n'hésite pas à envoyer en prison pratiquement tous les anciens directeurs de Petrobras, puis les patrons des plus puissants groupes de BTP qui leur versaient des commissions en échange de marchés.

Cela le conduira vers l'argent sale alimentant les campagnes de la plupart des partis politiques au Brésil. Et ce juge intrépide n'hésitera pas non plus à envoyer derrière les barreaux des hommes politiques de premier plan, de droite comme de gauche.

- 'Mains propres' -

Lula lui-même a dû ouvrir sa porte aux policiers en mars 2016, quand il a été interpellé sur ordre de Sergio Moro pour être interrogé sur les "faveurs" dont il aurait bénéficié de la part de sociétés mouillées dans le scandale.

La froideur avec laquelle ce Don Quichotte de la justice coince les puissants, depuis la ville de Curitiba (Sud), à plus de 1.000 km de Brasilia, avait éveillé les craintes de l'icône de la gauche latino-américaine avant même cet épisode.

"Sincèrement, j'ai peur de cette République de Curitiba. Parce qu'à partir d'un juge de première instance, tout peut arriver dans ce pays", avait déclaré Lula dans une conversation téléphonique interceptée par le juge.

Sergio Moro est né dans la ville de Maringa, près de Curitiba. Après des études de droit, il devient juge en 1996.

Docteur et professeur universitaire, il complète sa formation à Harvard (Etats-Unis) et se spécialise dans les délits de blanchiment d'argent, fasciné par l'opération "Mains propres" qui a permis de démanteler dans les années 1990 en Italie un vaste réseau de corruption ayant éclaboussé le pouvoir.

Dans un article sur cette opération, Sergio Moro ébauchait déjà en 2004 la méthode qui le rendrait célèbre 10 ans plus tard : confessions détaillées des suspects en échange de remises de peine, fuites dans les médias.

"Moro a institué la prison préventive en règle, alors que dans n'importe quel pays civilisé, c'est l'exception", critique l'avocat Antonio Carlos de Almeida, défenseur de plusieurs personnes inculpées dans le cadre du scandale Petrobras.

- Tee-shirts et banderoles -

Marié et père de deux enfants, le juge est devenu l'idole de millions d'opposants au gouvernement qui voient en lui un chevalier blanc luttant seul contre le mal rongeant le Brésil.

Son visage sérieux apparaît même sur les tee-shirts et les banderoles portés pendant des manifestations contre la corruption, notamment l'an dernier, au moment de la destitution de la présidente de gauche Dilma Rousseff, dauphine de Lula, pour maquillage des comptes publics.

Pourtant, le juge Moro est d'un naturel discret et avare d'apparitions publiques. Et quand il avait fait exception, c'était justement pour demander à ses "fans" de la retenue à l'approche de son face-à-face historique avec Lula.

Et s'il a démenti toute ambition présidentielle, le dernier sondage de Datafolha sur les intentions de vote au scrutin prévu pour la fin 2018 montre qu'il serait l'un des seuls au 2e tour à pouvoir empêcher une réelection de Lula...

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