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Attentat de Nice : un an après, les zones d'ombre d'un dossier de 80.000 pages

Quelques jours avant la commémoration, vendredi, de l'attentat de Nice, les juges ont présenté cette semaine les avancées de l'enquête aux victimes constituées en parties civiles.

Gaël Vaillant , Mis à jour le
Un an après, un hommage national va être rendu aux victimes de l'attentat de Nice.
Un an après, un hommage national va être rendu aux victimes de l'attentat de Nice. © Reuters

Il y a un an, le 14 juillet 2016, un camion fou déboulait à pleine vitesse sur la Promenade des Anglais , à Nice, faisant 86 morts et plus de 450 blessés. Emmanuel Macron et la France entière rendront hommage vendredi aux victimes de l'une des attaques terroristes les plus meurtrières et traumatisantes de l'histoire récente. L'un des dossiers les plus complexes que le parquet antiterroriste ait eu à gérer aussi. Pour les attentats de Paris, les enquêteurs avaient rapidement pu obtenir des éléments sur un réseau terroriste qui préexistait. Dans le dossier niçois, ils sont partis de zéro pour comprendre le parcours et les motivations de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel , l'auteur de l'attaque. Le 27 juin puis lundi dernier, les juges ont présenté l'état de l'enquête aux victimes constituées en parties civiles , faisant apparaître des zones d'ombre.

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L'attentat

Dès le lendemain de l'attaque, les images de vidéosurveillance ont été au cœur de l'attention médiatique. Les caméras de la ville ont filmé l'attentat sous tous les angles, les enquêteurs ne pouvant que constater avec précision la trajectoire meurtrière du camion, feux de circulation éteints et à près de 90 km/h, sur plus de deux kilomètres. Après avoir percuté un grand nombre de victimes ainsi que d'importants obstacles (un arrêt de bus et une pergola entre autres), le véhicule a ralenti devant l'hôtel Negresco. C'est à ce moment précis qu'un homme en scooter est parvenu à s'accrocher au marchepied du camion et a tenté d'arrêter le chauffeur, en vain . Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, toujours au volant, a ensuite tiré à plusieurs reprises avec un pistolet de calibre 7,65 mm. Des agents de la police nationale ont riposté dans un premier temps. C'est 300 mètres plus loin, face au Palais de la Méditerranée, que le camion et le tueur, criblés de balles, ont été immobilisés.

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Le terroriste

Les enquêteurs se sont concentrés dans l'immédiat sur l'identité du tueur, l'origine du camion et de l'arme utilisée. La carte bancaire retrouvée sur lui et ses empreintes digitales permettent d'identifier Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, un Tunisien de 31 ans qui a épousé une Franco-Tunisienne en 2005. Père de trois enfants, il disposait d'une carte de résident. L'homme présente un profil troublant. Au moment des faits, il était chauffeur-livreur, connu des services de police pour des faits de délinquance. Son casier judiciaire comportait ainsi cinq condamnations pour violences, vols et dégradations. En janvier 2016, il a percuté des voitures avec sa camionnette. S'en est suivie une altercation avec l'une des personnes : Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, furieux, lui a lancé une palette au visage. L'enquête a finalement conclu que le Tunisien s'était endormi au volant. La justice l'a condamné à six mois de prison avec sursis pour son comportement violent. 

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Décrit par divers témoins comme un mari violent, il était en instance de divorce et vivait hors du domicile conjugal. Les recherches sur sa personnalité révèlent qu'il menait une vie sexuelle très libre, multipliant les conquêtes masculines comme féminines. Il buvait de l'alcool et consommait des drogues. L'homme, qui n'était pas fiché S, était hors des radars du renseignement français : il ne semblait en contact avec aucun réseau terroriste, ni avec des personnes pratiquant un islam radical.

La revendication

Malgré ce profil, l'Etat islamique a revendiqué l'attentat du 14-Juillet quelques heures après les faits. Les enquêteurs ont mis pas moins de neuf mois pour creuser la piste d'une connexion entre Mohamed Lahouaiej-Bouhlel et l'organisation terroriste… sans aucun résultat aujourd'hui. Cette semaine, LCI et 20 Minutes ont ainsi révélé que les saisies du matériel informatique et des téléphones portables n'ont rien donné : aucune trace de contact avec un éventuel commanditaire sur zone irako-syrienne, ni un message écrit ou audio de revendication préenregistré. "Il y a très certainement un lien. Mais l'enquête ne l'a pas déterminé", résume auprès de la chaîne une source proche de l'enquête.

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L'auteur de l'attaque a certes fait quelques recherches sur des sites ou des articles de presse traitant des attentats récents revendiqués par l'Etat islamique, mais il n'aurait consulté aucun site directement lié aux réseaux terroristes, comme l'indique un rapport de la DGSI, la direction du renseignement. Le mode opératoire de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel est toutefois directement inspiré par la propagande djihadiste, à commencer par un article de la revue d'Al-Qaïda dans la péninsule arabique qui encourageait les attaques au camion-bélier.

L'entourage du terroriste

Peut-on qualifier cet attentat d'acte isolé? Depuis un an, les enquêteurs cherchent à étayer la piste du loup solitaire. Mohamed Lahouaiej-Bouhlel s'est procuré un camion et une arme auprès de complices. La justice tente de déterminer si ces derniers étaient au courant ou non du projet terroriste du Tunisien. Au total, neuf personnes sont mises en examen dans ce dossier.

Six d'entre elles sont soupçonnées d'avoir fourni un pistolet au tueur :

  • Ramzi A., un Franco-Tunisien de 22 ans, à qui le terroriste a demandé de lui trouver une arme. Ce suspect était présent sur la Promenade des Anglais au moment des faits et a reçu un message de l'assaillant "l'enjoignant de le rejoindre".
  • un couple d'Albanais, Artan H. et Enkeledja Z., respectivement 39 et 43 ans, qui ont vendu l'arme pour 1.400 euros au tueur.
  • Brahim T., un Tunisien né en 1985, qui a mis relation Ramzi A. et le couple d'Albanais.
  • Maksim C., 24 ans, et Adi E., né en 1980, sont tous deux des Albanais liés à Artan H.. Ils auraient joué un rôle dans le trafic d'armes.

Trois autres personnes, qui semblent être des proches de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, sont mises en examen. Leur rôle dans les préparatifs de l'attentat est encore très flou :

  • Mohamed G., un Franco-Tunisien de 41 ans, était monté dans le camion la veille de l'attentat. Le 15 juillet, il s'est filmé, le visage réjoui, sur les lieux de la tuerie. Il avait envoyé un SMS à Mohamed Lahouaiej-Bouhlel en janvier 2015 pour saluer l'attentat à la rédaction de Charlie Hebdo.
  • Hamdi Z., 36 ans, s'est fait photographier par le tueur devant le camion le 12 juillet.
  • Enfin, Chokri C., 38 ans, est sans doute le suspect qui interroge le plus les enquêteurs. Cet homme apparait comme un "mentor", selon l'expression employée par les juges devant les victimes. Avant l'attentat, il lui a envoyé ce message sur Facebook : "Charge le camion, mets dedans 2.000 tonnes de fer et nique coupe-lui les freins mon ami et moi je regarde."

L'enquête en Tunisie

Au-delà de l'organisation même de l'attentat, les enquêteurs cherchent aussi à connaître les motivations du terroriste. Là encore, le mystère reste entier. Les rapports révélés par la presse depuis un an parlent d'une personnalité "atypique". Mohamed Lahouaiej-Bouhlel avait bien conscience de l'acte qu'il s'apprêtait à commettre - au moment des faits, il n'était ni drogué ni sous l'emprise de l'alcool -, mais cet amateur de salsa et de boxe révélait également un profil psychologique très instable. Selon LCI , des investigations ont récemment été menées en Tunisie où le père du tueur a été entendu ainsi qu'un psychiatre. Ce dernier dit avoir diagnostiqué un syndrome schizophrène quand Mohamed Lahouaiej-Bouhlel avait 19 ans. Mais cette découverte de troubles de l'identité, que confirment des témoignages recueillis à Nice par les enquêteurs, ne permet pas de déterminer l'état psychologique au moment des faits.

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