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Lutte contre l'antisémitisme : ce que certains intellectuels français refusent d'admettre
Chameleons Eye/REX/REX/SIPA

Lutte contre l'antisémitisme : ce que certains intellectuels français refusent d'admettre

Par 25 signataires contre l'antisémitisme

Publié le

Le droit des Palestiniens à vivre dans un Etat démocratique ainsi que la lutte contre l'occupation sont trop souvent l'instrument d'un racisme antijuif.

Une tribune parue dans Libération le 4 juillet met en garde contre « l'instrumentalisation de la lutte contre l'antisémitisme ». Ce qui dérange ses auteurs, c'est que, mettant fin à un trop long déni, le Parlement européen a enfin souligné le lien intime entre l'antisémitisme et la diabolisation d'Israël, la remise en cause de sa légitimité à exister. Ce déni, les signataires auraient dû être les premiers à le dénoncer, précisément parce qu'ainsi ils le soulignent, la lutte contre l'antisémitisme « doit s'inscrire dans le combat, essentiel et universel, contre toutes les formes de racisme et de discrimination » . En cause, le vote, le 1er juin dernier, d'une résolution qui reprend largement une « définition de travail » de l'antisémitisme adoptée en janvier 2016 par l'International Holocaust Remembrance Alliance (Ihra), organisation interétatique dont la France est membre. Un texte qui, à en croire les signataires de cette tribune, « s'écarte de son objet en multipliant les références à l'Etat d'Israël ».

En effet, la lutte contre l'antisémitisme n'empêche pas de critiquer librement la politique du gouvernement israélien. Mais est-ce vraiment de cela qu'il s'agit ? En réalité, ce n'est pas l'antisémitisme qui est instrumentalisé mais bien la cause de la défense du droit des Palestiniens à un Etat démocratique, celle de la lutte contre l'occupation, qui est trop souvent l'instrument d'un racisme antijuif.

La résolution se borne à citer parmi les formes d'antisémitisme la diabolisation d'Israël,le fait de présenter cet Etat comme une « entreprise raciste », de l'accuser d'inventer ou d'exagérer la Shoah, ou encore de remettre en cause son existence comme « collectivité juive » . Or qui peut sérieusement contester que l'antisémitisme aujourd'hui emprunte de tels chemins rhétoriques, et cible Israël pour mieux viser le Juif ?

C'est cette réalité, objet d'un trop long déni que la définition de l'Ihra a le mérite de souligner avec esprit de mesure. Les auteurs de la tribune en conviennent d'ailleurs à demi-mot lorsqu'ils citent le texte : « Une critique d'Israël similaire à celle menée contre n'importe quel autre pays ne peut être vue comme de l'antisémitisme. »

Tendancieuse, la définition de l'Ihra ? C'est si vrai qu'après avoir été adoptée par ses 31 pays membres, dont certains comme le Royaume-Uni l'ont traduite en droit interne, elle a également été validée par 56 des 57 pays membres de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), seule la Russie ayant manifesté des réticences. Rappelons que parmi les pays membres de l'OSCE figurent, outre la quasi-totalité des Etats européens et nord-américains, la Turquie, l'Azerbaïdjan et le Turkménistan. Les auteurs de la tribune soupçonneraient-ils ces Etats de complaisance envers le gouvernement israélien ? Cœur de la démocratie européenne, et parce que, comme le soulignait Elie Wiesel, la Shoah n'a pas commencé avec les chambres à gaz mais avec des mots, le Parlement est parfaitement dans son rôle en définissant l'antisémitisme contemporain pour mieux le combattre.

Au final, où est l'instrumentalisation ? Certainement pas dans un texte qui s'appuie sur des recherches sérieuses sur les mécanismes universels de haine et de déshumanisation et qui décrit avec discernement toutes les formes de l'antisémitisme.

Aussi bien celles, toujours à l'œuvre, utilisées par l'extrême droite, que celles qui, sous couvert de défendre la cause palestinienne, remettent en cause l'existence d'Israël en tant qu'Etat juif, cautionnent des écrits négationnistes et se réjouissent publiquement des attentats perpétrés contre des civils, présentés comme des « actes de résistance ».

Ce n'est pas aux Palestiniens, ni aux partisans de la paix côté israélien, que l'on rend service en taisant cette réalité. Une fois encore, en publiant une tribune qui rend compte de manière partielle et partiale de l'initiative du Parlement européen, des intellectuels « progressistes » préfèrent la voie du déni à celle de la lucidité.

SIGNATAIRES

Mise à jour de l'article

Keren Ann – Artiste Aurore Bergé – Députée de la 10ème circonscription des Yvelines. Laurent Bouvet - professeur de science politique à l’Université Paris-SaclayPascal Bruckner – Romancier, essayiste Gilles Clavreul, ancien délégué à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT Benjamin Djiane, adjoint au maire du 3ème arrondissement de Paris Jean Paul Fitoussi _ Professeur Emerite Sciences Po Et Professeur d’économie à la LUISS Rome Emilie Frèche – Ecrivain, scénariste Medhi Ghouigarte - Maître de conférences à l'Université de Bordeaux III-Michel de Montaigne Jerome Guedj – Conseiller Départemental de l’Essonne, ancien parlementaire François Heilbronn - Professeur associé à SciencesPo Patrick Kessel, journaliste, essayiste Patrick Klugman - Avocat – Adjoint au Maire de Paris Marc Knobel – Historien et directeur des études du CRIF Joël Kotek, professeur de science politique à l’Université Libre de Bruxelles (ULB) Marceline Loridan-Ivens, réalisatrice, ancienne déportée Sylvain Maillard - Député de la 1ʳᵉ circonscription de Paris Radu Mihaeleanu – RéalisateurDenis Peschanski - Directeur de recherche au CNRS Rudy Reischstadt – Politologue Simone Rodan – Directrice AJC Europe / AJC Paris Iannis Roder – Professeur d’histoire Géographie Dominique Reynie - Directeur général de la Fondation pour l'innovation politique Dominique Schnapper – Sociologue, membre honoraire du Conseil constitutionnel et présidente du musée d’Art et d’histoire du judaïsme et de l’Institut d’études politiques de Paris Brigitte Stora - Sociologue et journaliste Manuel Valls – Ancien Premier Ministre – Député de l’Essonne

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne