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« La Rose de Versailles » est le premier manga à parler de la Révolution française.
Shueisha

14-Juillet : comment les mangas ont popularisé la Révolution française au Japon

Par  et
Publié le 14 juillet 2017 à 16h16, modifié le 13 juillet 2018 à 10h50

Temps de Lecture 7 min.

« Il nous faut bâtir une société équitable… En abolissant les privilèges de la noblesse et du clergé !! Tiers-Etat, debout ! » Gédéon Aymé tente, non sans difficulté, de mobiliser les passants de son village. A l’aube de la Révolution française, cet homme au grand cœur et aux valeurs solidement ancrées, auteur de pamphlets érotiques sur Marie-Antoinette, rêve de changer la France.

Gédéon Aymé n’a jamais existé : il est le personnage principal d’un manga, le Troisième Gédéon, publié en français chez Glénat en mars. Le dernier d’une étonnante série : celle des bandes dessinées japonaises qui, depuis les années 1970, prennent pour décor la période révolutionnaire. Innocent (Delcourt, 2015), Marie-Antoinette, la jeunesse d’une reine (Glénat, 2016), mais aussi Napoléon (Kami, 2007) ou encore Joséphine Impératrice (Pika, 2013) s’intéressent de près aux tourments de la fin de XVIIIe siècle – et aux premiers pas de l’Empire. « Mais c’est La Rose de Versailles qui a servi à populariser la Révolution française au Japon », souligne Satoko Inaba, directrice éditoriale chez Glénat.

De « La Rose de Versailles » à « Lady Oscar »

« La Rose de Versailles » fut l’un des plus grands succès de l’histoire du manga.

Publié en 1972, ce manga de l’autrice Riyoko Ikeda est le premier à s’intéresser à cette période de l’histoire de France, et devient immédiatement un immense succès. « C’est une œuvre majeure », confirme Christel Hoolans, directrice générale déléguée de Kana, qui a édité La Rose de Versailles en France en 2002. « C’est un incontournable qui se vend encore aujourd’hui », et dont les images font toujours partie du quotidien au Japon, ses héros s’affichant par exemple dans des publicités. « Lors de mon dernier voyage au Japon, j’ai été surprise de tomber sur un institut de beauté de luxe qui avait fait toute sa communication visuelle autour. »

La Rose de Versailles a été adapté en film par le Français Jacques Demy en 1979, au théâtre par la troupe japonaise mythique Takarazuka, et, surtout, en série animée, plus connue en France sous le nom de Lady Oscar, lors de sa diffusion en 1986 dans l’émission « Récré A2 ». Ce manga narre le destin croisé de Marie-Antoinette et d’Oscar de Jarjayes, une noble – fictive – élevée comme un garçon par son père et qui, devenue militaire, choisira la voie de la Révolution.

Avant la parution de ce manga, la Révolution intéressait peu le grand public japonais, et encore moins les mangakas. Mais quelques années à peine après mai 68, cette histoire a particulièrement résonné auprès des jeunes japonais. « Les années 1960 ont été des années de lutte sociale intense au Japon », explique Jean-Marie Bouissou, auteur de Manga, histoire et univers de la bande dessinée japonaise (éditions Philippe Picquier, 2010), et chercheur à Sciences Po. « Le mai 68 japonais a été le plus violent et le plus durable, les Japonais ont été un exemple pour les étudiants français. C’est au lendemain de ces années-là qu’apparaît La Rose de Versailles. C’est l’événement autour duquel va se cristalliser l’image de la France et de la Révolution. »

Et si cette période de l’histoire de France intéresse autant sur l’Archipel, c’est aussi, selon lui, « parce qu’on a inventé la liberté et qu’on a montré qu’en fait, ce n’était pas si simple ». Un constat qui « rassure les Japonais », affirme le chercheur. Avant de développer sa pensée :

« “La Rose de Versailles” finit mal. Des héros sympathiques, généreux, qui se rebellent contre l’ordre établi, ça finit toujours mal au Japon. Et ça rassure : ça montre qu’on revient finalement à l’ordre, après avoir rêvé un moment. Comme la Révolution française. »

« Marie-Antoinette représente le glamour »

« Marie-Antoinette, la jeunesse d’une reine » a été réalisé en partenariat avec le château de Versailles.

Mais ce qui captive beaucoup les Japonais dans cette période historique est surtout la figure de Marie-Antoinette. « C’est quelqu’un qui vit le destin auquel toutes les jeunes lectrices étaient soumises à l’époque de La Rose de Versailles : un mariage arrangé », analyse Jean-Marie Bouissou. « Elles se reconnaissent dans Marie-Antoinette, qui essaie d’y échapper, dans son impatience. »

Mais Marie-Antoinette n’est pas que cela. « Aux yeux des Japonais, elle représente le glamour, la grande France, riche, belle, luxueuse », explique Pascal Lafine, directeur éditorial chez Delcourt/Tonkam. « C’est un peu une star là-bas. C’est plus Marie-Antoinette qui fascine que la période, mais ça va avec : la chute d’une icône, la vie d’une princesse qui se termine en tragédie… »

En 2016, un manga lui fut même entièrement consacré, Marie-Antoinette, la jeunesse d’une reine, signé Fuyumi Soryo. Son origine n’est pas banale : il est le fruit d’un partenariat inédit entre le château de Versailles, l’éditeur français Glénat et l’éditeur japonais Kodansha. Avec comme ambition d’en faire une œuvre très réaliste. « L’idée était de s’y intéresser de façon biographique et informative », se souvient Kaori Kitamoto, éditrice chez Kodansha.

« Au Japon, sa sortie a étonné, notamment parce que Marie-Antoinette a une image de fille simplette, fofolle. La découvrir dans un cadre plus précis, dans les relations qu’elle entretient avec son entourage, a créé un sentiment de sympathie. Les lecteurs japonais ignoraient par exemple qu’elle n’avait que peu de vie privée. »

Une vision « très touristique »

« Innocent » raconte la période révolutionnaire à travers les yeux du bourreau Charles-Henri Sanson, un personnage ayant réellement existé.

Si tous n’ont pas la même exigence de précision historique, ils reposent pour la plupart sur un travail de documentation, plus ou moins poussé. Taro Nogizaka, l’auteur du Troisième Gédéon, « est venu en France pour faire du repérage », explique Benoît Huot, responsable éditorial chez Glénat. « Il est notamment allé au Procope, cette brasserie que fréquentait Robespierre, pour des éléments de décor. » Editer le manga en version française a aussi nécessité un travail de documentation, « pour vérifier les termes, les noms et les événements, afin d’éviter les erreurs lors de la retraduction ».

« Le Troisième Gédéon » se concentre sur des personnages fictifs.

Le manga Innocent, de Shin’ichi Sakamoto, a lui aussi un certain souci du détail, notamment dans le dessin des décors ou des costumes d’époque. Il ne se présente pas comme une œuvre historiquement exacte mais raconte la Révolution à travers les yeux d’un personnage ayant vraiment existé : Charles-Henri Sanson, le bourreau qui exécuta le couple royal, mais aussi Robespierre ou Danton. « L’auteur est venu en France, il a pris pas mal de photos, s’est documenté », se souvient Pascal Lafine, son éditeur français. « Je dois avouer que je lui ai remis plein de documentation, notamment un livre avec les robes de Marie-Antoinette. Au cas où, on ne sait jamais… » poursuit-il en confiant avoir eu « un peu peur ».

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C’est que tous ces mangas ne sont pas d’une impeccable précision historique, entre arrangements avec la grande histoire et petits anachronismes. « C’est souvent une vision très touristique. Quand on est Français, on voit les erreurs, on a envie de sourire par moments, car c’est un peu ridicule. C’est comme quand on regarde la France du point de vue des Américains, qui mettent des bérets et des voitures DS partout ! »

Mais malgré tout, assure-t-il, « on peut apprendre l’histoire de France dans les mangas ». « Moi, j’ai aimé cette période grâce à Lady Oscar. Les Japonais ont cette façon ludique de raconter, ce qui fait que ça donne envie de découvrir, c’est une porte d’entrée. » Même conclusion pour Kaori Kitamoto, de Kodansha :

« Le manga a des vertus pédagogiques. Il permet aux gens d’accéder plus facilement à la compréhension du monde, et donc aussi de l’histoire. Mais il faut garder en tête que c’est un média de fiction et de divertissement avant tout. »

Culture pop nippone infusée

« Utena, la fillette révolutionnaire » s’inspire de « la Rose de Versailles », qui s’inspire de la Révolution.

Si depuis La Rose de Versailles, l’attrait pour cette période s’est un peu estompé au Japon, la Révolution française a toutefois infusé une partie de la culture pop nippone. D’autres mangas et animés, sans en parler directement, s’inspirent par exemple de personnages ou de costumes de l’époque, comme Utena, la fillette révolutionnaire (Pika, 1996). « La mode de cette époque a aussi pu inspirer certains phénomènes de mode japonais, comme les gothic lolitas », suggère Satoko Inaba, de Glénat. Ou encore des groupes de rock, comme le bien nommé Versailles.

La jeune génération n’est toutefois plus vraiment familière avec l’œuvre fondatrice de La Rose de Versailles, selon le chercheur Jean-Marie Bouissou. « Ce genre de héros, ça n’a plus d’impact, ils sont trop actifs, ils croient trop dans la vie. Les jeunes japonais sont trop pessimistes. » Pour lui, un manga plus récent comme Innocent, qui se place du point de vue d’un jeune bourreau forcé d’exercer ce métier par sa famille, est plus adapté au public d’aujourd’hui :

« C’est un changement radical de perspective, idéal pour la génération actuelle, profondément désenchantée. Ça résonne car la plupart d’entre eux ne peuvent pas avoir un boulot qu’ils ont envie de faire. Et le côté un peu gore va leur parler d’avantage. »

Et côté gore, la période révolutionnaire semble encore avoir de beaux jours devant elle au Japon : un tout nouveau manga, Versailles of the Dead, a été lancé cette année. Dans lequel s’invitent des zombies.

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