PHOTOS - Les visages des journalistes et intellectuels victimes de l'oppression turque

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PHOTOS - Les visages des journalistes et intellectuels victimes de l'oppression turque

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Douze journalistes, sur les 166 actuellement en prison en Turquie.
Douze journalistes, sur les 166 actuellement en prison en Turquie.
© Radio France - La Scam.

Des personnalités françaises parrainent des journalistes et intellectuels turcs emprisonnés, victimes de l'oppression et de l'autoritarisme du régime de Recep Tayyip Erdogan.

Depuis le coup d'État manqué du 15 juillet 2016 en Turquie, le président turc Recep Tayyip Erdogan a intensifié la répression dans le pays. Ainsi, des intellectuels et des journalistes qui ont osé critiquer le régime ont été arrêtés et emprisonnés. 166 journalistes sont actuellement en prison. La Turquie est 155e sur 180 au classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières pour 2017.

Douze journalistes turcs parrainés

Pour interpeller les autorités turques sur le sort de journalistes et intellectuels emprisonnés, douze personnalités françaises ont décidé de parrainer douze de leurs confrères turcs, des reporters, caricaturistes ou éditorialistes, en prison pour avoir collaboré à des journaux d’opposition ou défendu le pluralisme. C'est une initiative de la Scam (la société civile des auteurs multimédia) et du comité du prix Albert Londres, un an après le coup d'État manqué. "Pour quelques mots, ils sont privés de travail, bannis, jetés en prison. Certains d'entre eux sont en danger de mort. [...] Ces hommes et ces femmes n'ont commis aucun délit et sont traités par la justice turque comme des criminels ou des terroristes", écrit la Scam dans un communiqué.

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Parmi les parrains, on trouve Florence Aubenas, Sorj Chalandon, Pierre Haski, Laurent Joffrin, Serge July, Élise Lucet, Edwy Plenel, Patrick de Saint-Exupéry, l'académicien Bernard Pivot, le dessinateur Plantu et les cinéastes Marie-Monique Robin et Jean-Xavier de Lestrade. Ces derniers s'engagent à être vigilants sur le sort réservé à leurs "filleuls".

Kadri Gursel, parrainé par Serge July

Kadri Gursel est un éditorialiste de 56 ans. Il a été renvoyé l’année dernière du quotidien Milliyet, pour un tweet critiquant Recep Tayyip Erdogan. Il a ensuite travaillé pour le journal Cumhuriyet, l’un des derniers quotidiens critiques du gouvernement. Dix-huit de ses collaborateurs sont poursuivis, douze sont en prison. Le régime reproche à Kadri Gursel de travailler pour un journal qui "défend les organisations terroristes". Il risque jusqu’à 15 ans de prison pour "aide à une organisation terroriste armée sans en être membre". Surprenant quand on en sait qu’en 1995, Kadri Gürsel avait été retenu en otage par le PKK pendant 26 jours.

Ahmet Sik, parrainé par Sorj Chalandon

Ahmet Sik est un journaliste d’investigation et un syndicaliste engagé dans tous les combats démocratiques. Il a d'ailleurs une cicatrice sur le crâne, souvenir d'une grenade lacrymogène lancée par un policier lors de la révolte de Gezi contre Recep Tayyip Erdogan en 2013. Il a déjà passé 375 jours en prison en 2011 pour avoir écrit "L’armée de l’imam", un livre dans lequel il décryptait l’infiltration au sein de l’État de la confrérie Gülen. Journaliste pour le quotidien Cumhuriyet, Ahmet Sik a été arrêté une deuxième fois le 29 décembre 2016 pour propagande en faveur du PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan et de la confrérie Gülen. En avril, il a été inculpé d’aide au PKK et au Parti‐Front révolutionnaire de libération du peuple (DHKP/C). Il risque 15 ans de prison.

Musa Kart, parrainé par Plantu

Musa Kart est en Turquie ce que Plantu est en France, il est caricaturiste pour le journal Cumhuriyet. Recep Tayyip Erdogan, alors Premier ministre, l'a fait condamner en 2005 car Musa Kart l’avait représenté en chat empêtré dans une pelote de laine, en référence à ses difficultés pour gouverner à l'époque. En 2014, il dessine deux voleurs en train de dévaliser tranquillement un coffre‐fort pendant que Recep Tayyip Erdogan fait le guet, en référence à un scandale de corruption qui mettait en cause son entourage. Musa Kart a été poursuivi pour "insulte et diffamation". Le dessinateur, 63 ans, a été arrêté avec onze autres collègues de Cumhuriyet le 31 octobre 2016. Il est accusé de "soutien à une organisation terroriste armée sans en être membre". Il risque 29 ans de prison. Sa première comparution est fixée au 24 juillet, neuf mois après son interpellation.

Turhan Günay, parrainé par Bernard Pivot

Turhan Günay, 71 ans, a été arrêté le 31 octobre dernier. Le journaliste est une figure incontournable du monde littéraire en Turquie. En janvier, il a dû subir une opération cardiaque puis a été renvoyé en prison. Il est rédacteur en chef depuis plus d’un quart de siècle du supplément livres de Cumhuriyet, l'un des derniers quotidiens d'opposition encore en activité. On lui reproche notamment de s’être entretenu au téléphone avec le responsable du supplément des livres du quotidien Zaman et d’avoir mal géré la Fondation de Cumhuriyet, alors qu’il n’y exerçait aucune responsabilité. Il est poursuivi pour "avoir aidé une organisation terroriste sans pour autant être membre de cette organisation". Il risque 15 ans de prison.

Inan Kizilkaya, parrainé par Patrick de Saint-Exupéry

Inan Kizilkaya, 40 ans, est le rédacetur en chef d’Özgür Gündem depuis mars 2016, un média prokurde. Entre sa prise de fonction et son arrestation dans les locaux du quotidien le 16 août, 92 actions en justice ont été engagées contre lui. Le journal a été fermé par un décret‐loi. 36 personnes sont poursuivies pour leur soutien au journal, et notamment la romancière Asli Erdogan qui encourt une peine de prison à vie. Inan Kizilkaya est poursuivi pour "appartenance à une organisation illégale", il risque lui aussi la prison à perpétuité.

Kazim Kizil, parrainé par Jean-Xavier de Lestrade

Vidéo‐activiste de 33 ans, Kazim Kizil a été arrêté le 17 avril à Izmir. Il filmait des étudiants qui contestaient le résultat du référendum, donnant les pleins pouvoirs à Recep Tayyip Erdogan. Il est aussi l'un des fondateurs du collectif Kamera Sokak (Caméra Rue), créé en réaction à la censure dans les médias. Il est accusé "d’insultes à l’encontre du président de la République". Un délit puni de huit ans et quatre mois de prison. Il a déjà réalisé des documentaires sur des paysans de la région égéenne qui se sont révoltés contre les autorités, qui ont arraché leurs oliviers centenaires pour les remplacer par des centrales thermiques. Un autre sur les habitants de la ville kurde de Cizre détruite par les forces de l’ordre, ou encore sur la main d’œuvre enfantine dans les champs de coton, dont il faisait partie.

Meltem Oktay, parrainée par Marie-Monique Robin

Meltem Oktay est la correspondante de l’agence de presse kurde DIHA, à Nusaybin, dans le sud‐est de la Turquie. Cette ville frontalière avec la Syrie a été le théâtre de violents affrontements entre les forces de l’ordre et la guérilla du PKK à partir de 2015. Meltem Oktay a été arrêtée à son domicile le 11 avril 2016, avant la tentative de coup d’État. Remise en liberté mi‐août, la jeune femme a été de nouveau emprisonnée le 2 avril, condamnée à deux ans et quatre mois de prison pour "propagande en faveur d’une organisation terroriste". DIHA a été fermée par un décret‐loi en octobre. Dix de ses journalistes sont derrière les barreaux.

Aysenur Parildak, parrainée par Élise Lucet

Cette étudiante en droit de 26 ans était chroniqueuse judiciaire pour le journal Zaman à Ankara, le quotidien de la confrérie de Fethullah Gülen, est accusée par Recep Tayyip Erdogan d’être derrière le coup d’Etat du 15 juillet 2016. Le quotidien pour lequel elle travaillait a été fermé par décret‐loi. Elle est accusée d’être "membre d’une organisation terroriste". Il lui est reproché d’être suivie sur son compte Twitter par Fuat Avni, mystérieux informateur qui tweete des informations sensibles dans l’entourage de Recep Tayyip Erdogan. Aysenur Parildak risque 15 ans de prison.

Cihan Acar, parrainé par Florence Aubenas

Cihan Acar est un journaliste de 27 ans qui travaillait pour Bugün, un quotidien proche de la confrérie Gülen accusée par Recep Tayyip Erdogan d’être derrière le coup d’Etat du 15 juillet 2016, un quotidien fermé par le gouvernement en 2015. Il s’est fait connaître en diffusant sur les réseaux sociaux une vidéo de l’administrateur mandaté par les autorités en train de menacer, avec des policiers, la rédaction de Bugün. Il a fait 8 mois de détention, puis il a été libéré le 31 mars, avant d'être de nouveau arrêté. Il est poursuivi pour "tentative de renverser le gouvernement et l’ordre constitutionnel", comme douze autres journalistes. Il risque 15 ans de prison.

Tunca Ögreten, parrainé par Edwy Plenel

Tunca Ögreten, 35 ans, est enfermé depuis le 25 décembre. Il est l'ancien rédacteur en chef du site d’information Diken. Son arrestation serait liée à l’affaire des e-mails de Beral Albayrak, le ministre de l’énergie et gendre de Recep Tayyip Erdogan, qui ont été mis en ligne par le groupe de hackers turcs Redhack. Il est accusé "membre d’une organisation terroriste" et risque 15 ans de prison.

Ahmet Altan, parrainé par Pierre Haski

Ahmet Altan, 67 ans, est un écrivain très populaire. Il s'est engagé aux côtés de Recep Tayyip Erdogan avant d’en devenir un critique virulent. Il a été le rédacteur en chef de Taraf, un quotidien proche de la confrérie de Fethullah Gülen, accusée par Recep Tayyip Erdogan d’être derrière le coup d’Etat du 15 juillet 2016. Ahmet Altan est accusé de "tentative de renversement de l’ordre constitutionnel et du gouvernement" et d’avoir décrit Recep Tayyip Erdogan comme un dictateur dans ses articles. Il encourt trois peines d’emprisonnement à vie.

Mehmet Altan, parrainé par Kaurent Joffrin

Mehmet Altan est le frère d'Ahmet Altan, 64 ans, professeur d’économie à l’Université d’Istanbul. Il souhaite l'instauration d'une "Seconde République", pour dépasser les contradictions démocratiques de la République fondée par Mustafa Kemal. Mehmet Altan commentait la vie politique dans les médias et intervenait aussi régulièrement dans ceux favorables à la confrérie Gülen. Comme son frère, il est poursuivi pour "tentative de renversement de l’ordre constitutionnel et du gouvernement". Il encourt trois peines d’emprisonnement à vie.

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