Sciences sociales

Ce qui nous intéresse chez les politiques

La principale curiosité que suscite l'arrivée au pouvoir de nouveaux personnages ne porte pas sur leur parcours ou programme politique, mais sur… leur vie privée !

POUR LA SCIENCE N° 477
recherche google edouard philippe

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Le 15 mai 2017, après une campagne électorale intense, les Français allaient enfin connaître le nom de leur Premier ministre. Après un certain suspense et nombre de spéculations, Alexis Kohler, le nouveau secrétaire général de l'Élysée, s'avança sur le perron et annonça que l'heureux élu était Édouard Philippe. Ce n'était pas vraiment une surprise, nombre de commentateurs ayant anticipé cette annonce.

Édouard Philippe n'était pas un inconnu, mais pas non plus une « star » de la politique. Aussi, comme beaucoup de mes concitoyens, j'ai utilisé le moteur de recherches Google pour tenter d'en savoir plus sur lui. Or lorsque vous composez une demande, Google vous suggère des termes associés qui correspondent aux recherches les plus fréquentes des internautes (fonctionnalité Google Suggest). Vous pouvez ainsi avoir une idée de ce qui intéresse les individus à propos d'un mot ou d'une personnalité. Ce qui m'a frappé, c'est que les quatre demandes associées au nom d'Édouard Philippe étaient ce jour-là (et dans l'ordre) : « vie privée », « femme », « twitter » et « marié ». Difficile de trouver meilleur symptôme de la « peopolisation » du monde politique. Et détrompons-nous, ce phénomène n'est pas une forme d'américanisation de notre société : par exemple, l'historien des médias Robert Zaretsky, de l'université de Houston, a plusieurs fois rappelé qu'avant l'affaire Bill Clinton-Monica Lewinsky, personne ne s'était intéressé aux infidélités conjugales de Franklin Roosevelt ou de Dwight Eisenhower. Même la vie privée de John Kennedy n'a jamais fait scandale. Il est sans doute plus juste de dire que personne n'avait la possibilité de s'intéresser à cet aspect de la vie des personnages politiques, car ce type d'information n'était tout simplement pas disponible. Sur le marché, il n'y avait pas d'offre – ce qui ne signifie pas qu'il n'y avait pas de demande. Pour pousser un peu plus loin mon investigation, j'ai soumis l'ensemble des 22 membres du nouveau gouvernement français au même traitement : que cherchaient les internautes à leur propos ? Allaient-ils s'intéresser par exemple à leur parcours politique ou à leur programme d'action ? Oui, un peu… mais pas vraiment. Les questions relevant de la politique (cherchant par exemple un lien avec tel parti ou avec tel personnage) ne représentaient que 21 % des demandes. Sans réelle surprise, la vie privée des ministres venait en tête, avec 38 % des recherches ; 16 % des demandes concernaient le fait de savoir si ces ministres avaient un compte Twitter ou Facebook, ou encore s'il était possible de les contacter ; 13 % des requêtes posaient des questions sans doute suspicieuses concernant l'appartenance à certaines entreprises ou à la franc-maçonnerie. Plus anecdotique : 12 % des questions portaient sur le salaire, la taille ou l'âge des individus.

En reproduisant cette recherche pour les candidats aux dernières élections présidentielles, on retrouve la même obsession pour la vie privée des politiques, avec une petite curiosité supplémentaire pour l'apparence qu'ils avaient lorsqu'ils étaient plus jeunes.

Naguère, le type de curiosité que nous avions pour tel ou tel sujet demeurait relativement invisible, car il ne laissait pas de traces sociales. Au fond, nous pouvions aussi bien défendre l'idée que, en moyenne, les individus s'intéressent aux aspects les plus spectaculaires et médiocres des choses ou, au contraire, qu'on leur prête des compulsions qui ne sont pas à la hauteur de leurs vraies aspirations. Dans tous les cas, ces spéculations étaient difficiles à tester rationnellement. Mais avec Internet, le périmètre des traces sociales disponibles à l'interprétation a considérablement augmenté. Mirons-nous dans ce miroir avec précaution, ce que nous pouvons y voir n'est pas toujours flatteur.

Ce qui nous intéresse chez les politiques

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Gérald Bronner

Gérald Bronner est professeur de sociologie à l'Université Paris-Diderot. Il est l'auteur de la rubrique Cabinet de curiosités sociologiques dans Pour la Science.

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