«POURQUOI APB m’oblige à quitter la France?» C’est le titre de la tribune provocatrice envoyée par Tancrède aux médias, le jour des résultats de la troisième phase d’Admission post-bac. «Aujourd’hui 14 Juillet, fête nationale, je suis triste et déçu de mon pays, écrit cet élève de terminale. Alors que les forces de la Nation ont descendu fièrement les Champs-Élysées, j’attendais avec angoisse les résultats de l’ultime vague d’affectation d’APB. Et le couperet est tombé: rien, aucune université pour me prendre, même pas Nanterre, ma fac de secteur».

Seuls les candidats les plus fortunés peuvent éviter APB et partir étudier à l’étranger (ici à Cambridge).

«Sur APB, j’avais été admise à l’université de Créteil. Mais quand j’ai vu que j’avais été prise à Cambridge, je n’ai pas hésité».

Ce jeune homme lyrique, titulaire d’une mention assez bien, avec 13 de moyenne générale, a été refusé en droit/sciences politiques. Même si Tancrède ne partira sans doute pas pour l’étranger - c’est un peu tard pour les inscriptions, regrette-t-il -, son cas illustre bien les conséquences concrètes de la non-sélection à l’université et du tirage au sort: la fuite des cerveaux. Un risque bien réel. En effet, il est plus facile aujourd’hui pour un bachelier lyonnais d’aller étudier à Cambridge ou Oxford qu’à la Sorbonne. S’il a de l’argent, bien sûr. L’affectation à l’université étant sectorisée, un bachelier ne peut pas quitter son académie. Et, avec le tirage au sort, même avec 20 de moyenne générale, il n’est même pas sûr d’avoir une place! Sara, rencontrée à l’université de Cambridge en 2015, faisait déjà l’expérience de cette absurdité: «Sur APB, j’avais été admise à l’université de Créteil. Mais quand j’ai vu que j’avais été prise à Cambridge, je n’ai pas hésité.» Les jeunes Français ont beau être patriotes, on peut les comprendre. Et il n’est pas sûr que le Brexit y change quoi que ce soit.

La Sorbonne disparaît du classement de Shanghai

La situation semble aujourd’hui d’autant plus intenable que la vie universitaire est rythmée par la parution des classements internationaux. La France est loin d’attirer les meilleurs bacheliers dans ses universités. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Au classement de Shanghai 2017, l’université de Cambridge est 3e, talonnant les universités américaines de Harvard et Stanford. La Sorbonne, pourtant l’université française la plus connue à l’étranger, sort du classement cette année, alors qu’elle se plaçait dans la tranche 401-500 l’année dernière.

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Dans ces conditions, à qui profite le crime? Chaque année, plus de 5 000 Français postulent sur UCAS, l’APB anglais. Des coachs se sont spécialisés dans les dossiers d’admission à l’étranger, comme au Canada ou en Grande-Bretagne. D’autres pays accueillent les Français déçus, la Suisse et la Belgique en particulier. À l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EFL), les Français représentent déjà plus du tiers des candidatures. Pour y entrer, une mention très bien suffit.

Autre bénéficiaire du tirage au sort: le privé. Depuis 2000, les inscriptions dans l’enseignement supérieur privé ont augmenté de 62 % alors que les effectifs totaux progressaient de 18 % sur la même période. Le privé représente désormais une inscription sur six. La ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, reconnaît même que le privé a désengorgé la procédure complémentaire. Une partie des bacheliers sans affectation a en effet trouvé une place «en dehors de la procédure APB, puisque 14 % des établissements ne sont pas dans la procédure APB», a-t-elle déclaré à Franceinfo. Ces écoles privées sont tellement rentables, que les meilleures d’entre elles ont été rachetées par des fonds d’investissement britanniques ou américains. Ainsi le groupe Galileo, fonds d’investissement américain Providence, a racheté une bonne partie de nos écoles privées: Penninghen, Strate École de design, l’Atelier de Sèvres et même le Cours Florent!

La sélection à l’université: ce n’est pas gagné

Autres gagnants de l’affaire: les universités catholiques. Entre 2003 et 2016, le nombre d’étudiants a doublé, passant de 14 000 à 29 000, comme le rappelle Jean-Louis Vichot, directeur général de l’Udesca, qui regroupe les cinq «Cathos» de France (Angers, Lille, Lyon, Paris, Toulouse). Mais, même si «entre 3000 et 5000 bacheliers» sont toujours sans affectation post-bac à la mi-août, cet emballement médiatique peut être une bonne nouvelle pour la ministre de l’Enseignement supérieur. Si ce système ne profite qu’aux riches étudiants capables d’aller à l’étranger et dans les écoles privées, les syndicats étudiants risquent de manquer d’arguments quand ils voudront s’opposer à la mise en place de la sélection à l’université. Mais ce n’est pas gagné.