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Greffé des deux mains, un enfant écrit et s’habille seul

La double transplantation a été tentée il y a un an et demi car il avait déjà un traitement immunosuppresseur à vie, à la suite de la greffe d’un rein

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Publié le 19 juillet 2017 à 00h33, modifié le 20 juillet 2017 à 11h26

Temps de Lecture 5 min.

Son histoire constitue une première mondiale, mais elle n’est pas un conte de fées. Un enfant qui avait dû être amputé des deux mains a reçu une double greffe à l’âge de 8 ans, en juillet 2015. Deux ans après avoir procédé à l’intervention, Sandra Amaral et ses collègues de l’équipe de l’hôpital pour enfants de Philadelphie (CHOP) et de l’université de Pennsylvanie publient, mardi 18 juillet, dans le Lancet Child & Adolescent Health, un bilan positif des dix-huit premiers mois assorti de sérieux bémols.

L’histoire médicale tragique de cet enfant afro-américain originaire de Baltimore (Maryland) débute en 2009. Agé de 2 ans, Zion Harvey contracte une infection à staphylocoque qui se généralise en une septicémie. Propagée par voie sanguine, l’infection entraîne une gangrène : des cellules de son corps meurent en masse, les extrémités de ses membres se nécrosent, ce qui oblige les chirurgiens à l’amputer des deux mains et des deux pieds pour enrayer la progression. Ses reins ne fonctionnent plus.

Pour le membre supérieur droit, l’amputation est pratiquée au-dessus du poignet. A gauche, les chirurgiens réussissent à préserver l’articulation, qui conserve une certaine capacité de flexion et d’extension. L’enfant parvient à saisir une fourchette avec ses deux moignons ou à ouvrir une porte.

Traitée deux ans durant par dialyse, l’insuffisance rénale qu’il a développée justifie la transplantation d’un rein donné par sa mère pratiquée alors que l’enfant a 4 ans. Cette greffe rénale impose la mise sous un traitement immunosuppresseur permanent destiné à prévenir le rejet du greffon. C’est un point fondamental.

Dès lors qu’il doit poursuivre indéfiniment un traitement antirejet, susceptible de favoriser le développement d’un diabète, d’infections ou d’un cancer, envisager une greffe des mains ne soulève plus les mêmes questionnements éthiques que ceux entendus au début de ces transplantations. La première de ce type d’opération a été réalisée chez l’adulte en France, en 1998, et, chez l’enfant, en 2000, en Malaisie.

En effet, pratiquer une chirurgie dont la survie ne dépend pas – comme dans le cas d’une greffe rénale – en faisant courir des risques majeurs à un enfant n’est pas justifiable, rappelle Marco Lanzetta (Institut italien de chirurgie de la main, Monza) dans un commentaire qui accompagne l’article.

Lorsque, soutenue par la famille de Zion dûment informée, l’équipe de Philadelphie a soumis au comité d’éthique de son hôpital son projet de double greffe, la permission leur a été accordée en partant de l’idée que « les risques potentiels étaient estimés marginalement accrus au départ par l’immunosuppression ». L’incertitude paraissait donc acceptable chez cet enfant qui a lui-même exprimé son souhait de recevoir des mains par le biais d’une intervention chirurgicale, en sachant qu’elle pouvait ne pas réussir.

Greffe complexe

La transplantation a été précédée d’une longue période de dix-huit mois de préparation impliquant différents services de chirurgie, de transplantation, de psychologie, de kinésithérapie et d’ergothérapie. Il s’agissait à la fois de réaliser un bilan fonctionnel et d’évaluer les capacités cognitives et physiques de l’enfant dans la réalisation de tâches quotidiennes.

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Un donneur mort a été identifié en juillet 2015, il présentait des caractéristiques à la fois immunologiques et physiques (âge, couleur de peau…) compatibles. Une quarantaine de professionnels de santé ont été mobilisés, répartis en quatre équipes travaillant simultanément. Ce type de greffe, dite composite, est complexe et nécessite en effet aussi bien des spécialistes d’orthopédie que des chirurgiens expérimentés dans le raccordement des muscles, des tendons, des vaisseaux et des nerfs.

Les suites opératoires n’ont pas été simples et il a fallu une surveillance quotidienne des plus rigoureuses pour détecter les moindres signes de rejet, malgré le traitement immunosuppresseur renforcé par l’ajout de corticoïdes. Y ont été adjoints une rééducation kinésithérapique et ergothérapique, une évaluation neurologique du contrôle cérébral de la motricité et de la sensibilité, ainsi qu’un suivi psychologique.

Dès les premiers jours suivant la double greffe, Zion Harvey était capable de quelques mouvements des doigts grâce à ses propres ligaments. Au cours des mois suivants, les mouvements volontaires ont été plus nets (au huitième mois pour la main droite et au dixième pour la gauche). Des tests répétés ont mis en évidence les progrès dans la maîtrise des tâches manuelles. Sur le plan sensitif, la récupération s’est progressivement faite au cours de la première année. La consolidation osseuse s’est bien déroulée.

Environ six mois après la transplantation, l’enfant pouvait se nourrir lui-même. Il avait du mal à tenir un stylo pour écrire. Après huit mois, il pouvait utiliser des ciseaux et au bout d’un an, il était en mesure de manier une batte de base-ball à deux mains.

Au total, Zion Harvey a connu huit épisodes de réaction de rejet, dont deux sérieux aux quatrième et septième mois après l’intervention. Cela a nécessité des ajustements du traitement immunosuppresseur qui ont mis à l’épreuve sa fonction rénale, diminuée de moitié, et ont suscité quelques infections.

Le Dr Amaral estime que cette opération « montre que la chirurgie de transplantation de la main est possible lorsqu’elle est contrôlée avec soin et s’appuie sur une équipe de chirurgiens, de spécialistes de la greffe, de kinésithérapeutes, de travailleurs sociaux et de psychologues. Dix-huit mois après l’intervention, l’enfant est plus indépendant et capable de conduire des activités quotidiennes, se félicite-t-il. Il continue à progresser en suivant une thérapie quotidienne pour accroître le fonctionnement de sa main et en bénéficiant d’un soutien psychosocial. »

Quel avantage une telle greffe présente comparée à la pose de prothèses, dont la qualité et les performances n’ont cessé de se sophistiquer ? Dans l’article décrivant leur travail, les médecins de Philadelphie rappellent que, chez les enfants, le taux d’abandon des prothèses de membres atteint 45 %. Cela a été le cas de Zion Harvey, qui préférait finalement se servir de ses membres amputés pour la plupart des tâches à réaliser.

La transplantation a été autorisée chez ce jeune garçon parce qu’il était de toute façon sous traitement immunosuppresseur. Sinon, on peut douter qu’elle aurait reçu le feu vert du comité d’éthique de l’hôpital pour enfants de Philadelphie.

Néanmoins, outre le manque de greffons compatibles pour les enfants, l’on peut aussi questionner l’appréciation de « risques potentiels marginalement accrus » avec un traitement comprenant des corticoïdes. L’équipe de Philadelphie n’écarte pas un impact négatif sur la croissance osseuse de ce fait. Quoi qu’il en soit, le docteur Amaral reconnaît que, « bien que le résultat fonctionnel soit positif et que le garçon tire bénéfice de cette greffe, cette chirurgie est très astreignante pour l’enfant et sa famille ».

Les progrès en matière d’effets indésirables des traitements antirejet, attendus depuis vingt ans, pourraient à l’avenir rendre moins discutables les greffes composites.

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