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Monde

Pétrole, constituante, grève générale... Pourquoi rien ne va plus au Venezuela

Jessica Brandler-Weinreb, docteure en sociologie, chercheuse associée au CED (Bordeaux) et au CREDA (Paris), fait le point sur la situation économique et politique du Venezuela.

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Un activiste de l'opposition dresse un drapeau " Plus de dictature" au cours d'un blocage pour manifester contre le président Nicolas Maduro à Caracas le 18 juillet 2017.

Un activiste de l'opposition dresse un drapeau " Plus de dictature" au cours d'un blocage pour manifester contre le président Nicolas Maduro à Caracas le 18 juillet 2017

AFP

7,6 millions. C’est le nombre de Vénézuéliens qui ont rejeté le projet d’une Assemblée nationale constituante proposé par le gouvernement. Ce vote était une consultation symbolique organisée par l’opposition (la MUD, la Table de l'Unité démocratique) avant le scrutin officiel prévu le 30 juillet. Cette constituante est rejetée par l’opposition qui y voit l’occasion pour Nicolas Maduro, le président du Venezuela, d'imposer une dictature. Encouragée par la participation massive à la consultation, l'opposition vénézuélienne a appelé à une grève générale de 24 heures jeudi pour tenter de faire échec au projet du président socialiste. Le Parlement est le seul organe du pouvoir contrôlé par les antichavistes, du nom d'Hugo Chavez, président de 1999 à sa mort en 2013, dont Nicolas Maduro est l'héritier. Après plus de trois mois de manifestations violentes qui ont fait 96 morts dans le pays, la MUD espère provoquer des élections anticipées avant la fin du mandat de Nicolas Maduro en décembre 2018. Le pays pétrolier sud-américain, autrefois le plus riche d'Amérique du Sud mais actuellement secoué par une grave crise économique due à la chute des cours de l'or noir, exporte quelque 800.000 barils par jour aux Etats-Unis, sur une production totale d'un peu plus de 1,9 million par jour, selon l'entreprise d'Etat PDVSA. Jessica Brandler-Weinreb, docteure en sociologie, chercheuse associée au CED (Bordeaux) et au CREDA (Paris), fait le point sur un pays en crise. 

Qu’est ce qui rend la situation du Venezuela aussi préoccupante?

Cette situation est le résultat d’une crise politique et économique au Venezuela. Les deux aspects de la crise sont liés. Une crise politique d'abord liée à l'impopularité puis à la dérive autoritaire du gouvernement. L’opposition est majoritaire à l’Assemblée Nationale mais le gouvernement ne reconnaît pas l’opposition comme acteur politique. La cour suprême a invalidé les votes effectués par l’Assemblée nationale en 2016 suite à des soupçons de fraudes électorales concernant l'élection de trois députés. Pourtant, il n’y a eu aucune enquête sur ces députés. Et par ailleurs, il devait y avoir des élections municipales et régionales fin 2016 qui n’ont finalement jamais eu lieu. L’attitude de Maduro se différencie nettement de son prédécesseur, Hugo Chavez, qui combattait toujours par les urnes. La situation du Venezuela résulte également d'une crise économique. 70% de ce que les Vénézuéliens consomment est importé. Le pays ne peut alors plus importer d'aliments ni de médicaments car les recettes ont chuté quand le cours de pétrole a diminué. Le contrôle du taux de change en 2003 a provoqué une forte inflation et une hausse des prix sur les marchés parallèles. A tout cela s’ajoute une forte corruption. Nicolas Maduro a placé des hommes de l'armée à la tête de haut postes comme la gestion du ministère de l'alimentation et certains députés, comme Neidy Rosal, dénoncent le contournement de conteneurs d’aliments destinés à la population.

Pourquoi y a-t-il autant de manifestations au Venezuela?

Les Vénézuéliens manifestent à cause d’une vie quotidienne invivable. Les personnes passent plus de temps à chercher des aliments ou des médicaments qu'à travailler. A toutes ses manifestations se mêlent des groupes armés. Il est très difficile de savoir à quel camp ils appartiennent, ils existent dans chacun des camps. Mais le rapport de force entre le gouvernement et l'opposition reste asymétrique puisque d'un côté il s'agit de l'armée et de l'autre de civils armés.Toutefois, ces manifestations sont dangereuses car il y a déjà eu 90 morts en trois mois de manifestations. Dimanche, une dame a été tuée par balle dans la file d’attente du vote par "los colectivos" sans que l'on ne sache qui a commis le meurtre. Le gouvernement rejette la faute sur l’opposition et inversement. Une violence telle que si vous êtes mal garé cela peut vous coûter la vie. C'est un démantèlement du tissu social. Et c'est pour cela que la population souhaite le départ du président Nicolas Maduro.

En quoi consiste le projet d'Assemblée nationale constituante de Maduro?

L'Assemblée nationale constituante a pour objectif de réécrire la constitution. Elle sera constituée pour un tiers de représentants d’organisations sociales et pour les deux tiers restants d'élus venant de municipalités. En fait, Maduro veut contourner l’Assemblée Nationale. [Ce dernier assure que la Constituante vise à apporter paix et stabilité économique au pays, mais l'opposition pense qu'elle servira à contourner l'Assemblée nationale et à instaurer une "dictature"].

Quel sera, selon vous, l’issue du scrutin du 30 juillet?

Difficile de prédire l'avenir du scrutin. Il faudra voir de près le taux de participation du 30 juillet comparativement aux 7,6 millions de voix qu’a récolté le vote consultatif. Il est vrai que l'ensemble de la population s'oppose à cette assemblée. J'ai peur que le fait de s’obstiner à réaliser une assemblée constituante sans avoir consulté le peuple soit la goutte qui fasse déborder le vase. Les manifestations sont rarement pacifiques. De plus, 15 millions d'armes circuleraient du côté des civils au Venezuela.

Pourquoi les Etats-Unis prennent parti pour l’opposition vénézuélienne?

L’opposition, avec son programme néolibéral, est plutôt favorable à une alliance avec les Etats-Unis. C’est pour cela que les Etats-Unis ont manifesté leur soutien à l’opposition vénézuélienne. Le fait que le gouvernement vénézuélien soit contre les Etats-Unis est un combat historique. Le gouvernement Chavez a combattu pour reprendre symboliquement la nation vénézuélienne aux Etats-Unis. Le Venezuela a en effet été colonisé par les Espagnols mais aussi colonisé économiquement par les Etats-Unis. Tous les Vénézuéliens voulaient aller à Miami passer des vacances. "The American way of life" était le rêve vénézuélien. Les Etat-Unis ont intérêt à se rapprocher du Venezuela notamment pour le pétrole ou les minéraux. Le pays était l'arrière cour des Etats-Unis. Chavez a mené un combat pour redonner une identité à la nation. Le président Maduro "dit suivre" la même démarche mais son combat idéologique est différent. Les deux camps sont cohérents dans leur alliance.

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