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Société

Les vacances mettent en avant les inégalités sociales

Des enfants défavorisés profitent d'une journée à la plage à Cabourg grâce au Secours Populaire

Des enfants défavorisés profitent d'une journée à la plage à Cabourg grâce au Secours Populaire - CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Auteur du livre Les Français et les vacances, Bertrand Réau a analysé l’impact du milieu social sur la façon d’appréhender les vacances.

Bertrand Réau est maître de conférence en sociologie à l’université Paris 1 Panthéon La Sorbonne. Il est également l'auteur de Les Français et les vacances.

"Les vacances ont tendance à prolonger les inégalités qui existent entre les groupes sociaux. Tout le monde ne part pas en vacances, et parmi les gens qui partent, tous ne partent pas de la même façon. Les catégories sociales supérieures partent davantage que les autres et privilégient des formules diversifiées: un séjour en village de vacances l’été, visite d’une ville lors d’un autre séjour, voyage à l’étranger… Même s’il y a peu d’études sociologiques précises sur ce sujet, cela a nécessairement un impact sur la socialisation des enfants issus de ces groupes sociaux.

Les vacances permettent le développement d’une "culture libre", définie par Bourdieu. Les individus, et notamment les enfants, font des apprentissages autres et complémentaires de ceux qui sont délivrés à l’école. Le temps quotidien est reconfiguré, les normes éducatives et de discipline sont abordées différemment du reste de l’année. Les vacances en elles-mêmes ont des effets directs sur les pratiques sociales. Les catégories sociales supérieures ont d’ailleurs toujours accordé une importance aux vacances et au voyage. Cela fait partie intégrante de leur mode de vie et de l’éducation des enfants.

Un temps de rupture avec le quotidien

Mais en réalité, ce ne sont pas vraiment les départs qui ont une incidence, mais plutôt l’état d’esprit que développent les familles pendant ces périodes de congés. Les vacances doivent introduire un temps de rupture avec le quotidien, avec une autre manière d’organiser son temps, des activités différentes de celles qui rythment le quotidien de la famille pendant les périodes d’école et de travail. C’est toute la problématique des usages sociaux du temps.

Les agriculteurs ont par exemple été la dernière catégorie sociale à partir en vacances, dans les années 1980. Patrick Champagne a analysé leur comportement lors de leurs premiers congés dans son article "Les paysans à la plage". Il a notamment observé que ceux qui se rendaient à la plage n’avaient pas les bons codes. Ils étaient un peu empotés, restaient habillés et faisaient des activités, comme le tricot, pas du tout adaptées à la plage. Ce qui prouve bien qu’au-delà de partir quelque part et des inégalités économiques qu’elles révèlent, les vacances mettent aussi en avant les inégalités sociales et culturelles qui existent entre les différentes catégories de la population.

Le problème, c’est qu’aujourd’hui, les vacances ne sont plus du tout une question qui est abordée sous l’angle politique, mais le sont désormais uniquement sous l’angle économique du tourisme. Alors que l’administration s’interroge sur la manière d’occuper les enfants sur le temps périscolaire au cours de l’année, elle ne s’intéresse plus du tout au temps des vacances. Si les vacances étaient une préoccupation importante pour l’Etat lors des Trente Glorieuses, parce qu’il fallait remplir les nombreuses infrastructures que l’on construisait à l’époque, aujourd’hui, avec une croissance moindre et un taux de chômage qui grimpe, les préoccupations de l’Etat ont changé. L’encouragement au tourisme social a presque disparu et mériterait une véritable réflexion politique".

Propos recueillis par Mélanie Rostagnat