Accueil

Politique
IRFM : Les improbables arguments des députés pour ne pas renoncer à 5.840€ en plus de leur salaire
La ministre de la Justice, Nicole Belloubet, en a entendu de belles lors de son audition par la commission des Lois le 18 juillet.
Jacques Witt/SIPA

IRFM : Les improbables arguments des députés pour ne pas renoncer à 5.840€ en plus de leur salaire

Cagnotte

Par

Publié le

"Payer une chambre d'hôtel à une femme dans le besoin", "justifier les tickets de kermesse", "manger au McDo"... Pour défendre le maintien de l'IRFM, les députés de tous bords nous ont présenté un festival !

Remplacer la cagnotte de l'IRFM (Indemnité représentative de frais de mandat) par un système de notes de frais ne semble décidément pas facile pour les députés. Actuellement en discussion à la commission des lois de l'Assemblée dans le cadre du projet de loi de moralisation de la vie politique, cette disposition laisse pour le moins perplexes certains députés. Lors de l'audience de la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, en commission le 18 juillet, certains d'entre eux ont rivalisé d'arguments pour démontrer l'utilité de l'IRFM sous sa forme actuelle et tenter de la sauver. Quitte à livrer de curieux exemples.

"Remplir le panier de la ménagère"

Parmi eux, Sébastien Huyghe, député LR du Nord, s'est opposé aux notes de frais en invoquant des "dépenses d'une variété infinie", dans son utilisation de l'IRFM. Pour lui, la cagnotte permettrait de réaliser de bonnes actions à l'égard des citoyens dans le besoin : "Ça va de la chambre d'hôtel que l'on réserve pour une femme qui dort dans sa voiture depuis 8 jours (...), le panier de la ménagère que l'on remplit parce qu'elle n'a plus de quoi donner à manger aux enfants. C'est véritablement une foultitude de choses pour lesquelles on ne peut pas avoir de justificatif".

Aider des personnes dans le besoin ? Une intention fort louable... mais qui n'entre pas franchement dans le périmètre de l'IRFM, d'un montant de 5.840 euros mensuels brut pour les députés, non contrôlé. Certes, ce périmètre est officiellement très large puisque l'Assemblée indique simplement que l'indemnité permet de "faire face aux diverses dépenses liées à l'exercice du mandat qui ne sont pas directement prises en charge ou remboursées par l'assemblée." On évoque généralement le paiement du loyer d'une permanence, les frais pour se vêtir correctement, les frais de déplacement (hors train et avion déjà pris en charge) ou encore le financement d'un site internet personnel. Aider personnellement ses concitoyens est en revanche rarement évoqué...

Pas de ticket de TVA dans les kermesses

Le député LR de la Manche et vice-président de la Commission des lois, Philippe Gosselin, avait également pris la parole plus tôt lors de l'audition de la ministre. Lui avait basé son argumentaire sur les événements festifs locaux : "Tous les week-ends, nous arpentons nos circonscriptions pour participer à quelques fêtes ou braderies (...), et il est de bon ton d'offrir un apéritif ici ou là." Or, soulève-t-il, les kermesses, "comités des fêtes" ou "banques de jetons" ne disposent pas de "tickets de TVA" qui permettraient au député de justifier sa dépense. "Je ne sais pas comment on va contrôler ce bidule, mais ça va être un petit peu compliqué", conclut-il, craignant que la mise en place de notes de frais ne crée "une fois de plus des élus hors sol". Et ne les empêche probablement de dépenser leurs indemnités dans les kermesses.

Obligation Mc Donald's

Côté mauvaise foi, le député LREM du Calvados Alain Tourret ne s'en sort pas mal non plus. Celui qui avait été épinglé en mai par Mediapart pour avoir abusé, justement, de son IRFM, a estimé hier qu'"à partir du moment où vous ne présentez pas que des factures de Mcdo, toutes vos factures vont être rejetées". "C'est extraordinairement dangereux. Ça va être le contrôle pour savoir si vous avez déjeuné avec tel industriel, avec tel responsable politique", a-t-il ajouté, rejetant l'exemple du Royaume-Uni où le système de notes de frais est déjà en place.

Chez les LREM, on est loin de faire bloc derrière la ministre de la Justice, Nicole Belloubet. Comme Marianne l'a raconté, beaucoup souhaiteraient que l'indemnité soit maintenue mais avec une utilisation susceptible d'être contrôlée à n'importe quel moment, et de manière aléatoire, par une autorité indépendante. Bref, un système d'ajout a posteriori pour certains parlementaires. La cheffe d'En Marche à la commission des Lois, Naïma Moutchou, a déposé un amendement précisément en ce sens.

Une première évolution du projet après son passage au Sénat

La suppression de l'IRFM et son remplacement par un système de remboursement des dépenses sur justificatifs de frais avaient été présenté par François Bayrou, alors garde des Sceaux, le 1er juin dernier dans son projet de loi sur la confiance dans l'action publique.

Les sénateurs ont déjà modifié le texte lors de son passage devant la Chambre haute. S'ils ont maintenu la suppression de l'IRFM, ils ont laissé la possibilité à chaque assemblée de définir certains frais qui pourront être directement pris en charge par l'assemblée, notamment via le paiement d'une avance. Cette évolution a été vue comme un "point d'équilibre" par la ministre de la Justice Nicole Belloubet.

Votre abonnement nous engage

En vous abonnant, vous soutenez le projet de la rédaction de Marianne : un journalisme libre, ni partisan, ni pactisant, toujours engagé ; un journalisme à la fois critique et force de proposition.

Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne