Alors qu’il traversait tranquillement la Manche en compagnie d’autres membres de sa famille, ce cachalot a été perturbé par les sonars d’un exercice militaire, a perdu ses repères et a remonté l'estuaire de la Seine pour venir finir ses jours dans la capitale, juste sous la cathédrale Notre-Dame. C’est l’histoire que les membres du collectif artistique belge Captain Boomer, déguisés en scientifiques de l’International Whales Association, racontent à passants et touristes ébahis. La scène est très réaliste et la maquette de cachalot (une énorme statue en matériaux variés) est soignée jusque dans les moindres détails. Il s’agit d’un grand cachalot (Physeter macrocephalus) mâle, avec son pénis bien en vue. Sa peau présente des cicatrices de blessures provoquées par les combats avec les autres mâles et des cicatrices rondes causées par les ventouses des calamars qu’il chasse (attention, le cachalot a quitté les quais de Seine depuis dimanche 23 juillet au soir, NDLR).
Autour de la scène se répand une odeur âcre de poisson en décomposition. « On espère être crus par le public » nous confie Bart Van Peel, directeur de Captain Boomer « mais à l’ère des smartphones les nouvelles courent très vite. Ce qui nous intéresse comme artistes », il continue, « est d’explorer la frontière entre la réalité et la fiction et en même temps faire réfléchir sur notre comportement vis à vis de la nature ».
Les exercices militaires sont une des causes du phénomène des cétacés échoués sur les plages
« Le pauvre ! » s’exclame le touriste. « C’est du bidon » s’indigne la dame âgée. Tout le monde est surpris et troublé, objectif atteint. Les faux scientifiques, avec combinaison et masque, aspergent le cadavre d’un produit chimique censé ralentir les processus de putréfaction en vue de l’autopsie, alors que d’autres répondent aux nombreuses questions du public. Ils expliquent que plusieurs études ont désigné les exercices militaires (exercices anti-sous-marins, tests de sonar, etc.) comme une des causes du phénomène des cétacés échoués sur les plages.
En effet l’ouïe est le sens le plus développé chez ces mammifères marins. Ils utilisent les sons qu’ils émettent pour communiquer entre eux mais également pour s’orienter dans l’espace. Ils utilisent l’écholocalisation comme les chauve-souris. Les sonars militaires, mais aussi l’intensification du trafic maritime, dérangent ce comportement en causant la confusion de l’animal et parfois des problèmes physiques comme l’embolie. Une autre activité humaine qui menace sérieusement la vie des cétacés est l'exploration pétrolière et gazière sous-marine.
Pour repérer des gisement de gaz naturel ou de pétrole, on explore le fond marin en générant des ondes sismiques par air comprimé. Ces opérations produisent une pollution sonore tellement forte qu’elle endommage de façon provisoire ou permanente le système auditif des animaux. Voici comment l’art peut faire changer de perspective : le cachalot - un animal des grandes profondeurs - remonté à la surface nous fait immerger dans son monde sous-marin pour que nous puissions « voir » jusqu’où arrive l’impact de l’homme. Le cétacé de Paris était visible jusqu'au dimanche 23 juillet 2017.
Par Annalisa Plaitano