Portrait

Mounir Mahjoubi , Internet exploreur

Quelle vie à l'ère du numérique ?dossier
Le jeune secrétaire d’Etat au Numérique, tombeur de Cambadélis aux législatives, est un geek à la tchatche facile et au sourire enjôleur.
par Ramsès Kefi
publié le 21 juillet 2017 à 18h46

Souvent, Mounir Mahjoubi utilise le «tu» pour faire l’exégèse de son CV. Les premières lignes : le droit à la Sorbonne, son premier jour à Sciences-Po Paris et la boîte de déco - des stickers à coller sur les murs - qu’il a créée pendant ses études (et qui a fermé rapidement). La suite : 33 ans et un sceptre dans chaque main, celui de député et de secrétaire d’Etat.

L’ascension est rapide, quoiqu’elle paraisse moins supersonique une fois replacée sur une frise chronologique : Mounir Mahjoubi a participé à trois campagnes présidentielles - aux côtés de Ségolène Royal, de François Hollande puis d’Emmanuel Macron - toujours dans la posture de cerveau du Web. Le «tu» : ça t’englobe dans le truc. C’est comme si toi aussi, «tu» faisais partie de son aventure. Ou bien, que «tu» aurais pu en être. Dans son bureau parisien de secrétaire d’Etat, il déroule tranquillement, les jambes en biais sur l’accoudoir d’un fauteuil, en te donnant l’impression que «tu» pourrais faire pareil sans problème. Il écoute jusqu’au bout, boit du Coca-Cola, rit sans forcer, parle de poulets qu’il sait couper en quatre, six, huit depuis l’obtention d’un CAP cuisine il y a deux ans, par passion. On a repensé à la présidentielle, un peu, quand des militants d’En marche (EM) décrivaient une rencontre ou un meeting avec Emmanuel Macron dans un champ lexical quasi christique, en insistant sur une gestuelle - une poignée de main, un regard, une façon de dire au revoir - et une empathie plus crédibles que celles de la concurrence. Voilà : un jeudi après-midi, on a croisé l’un de ses apôtres.

Une photo de lui, tout juste ado, traîne quelque part dans un vieux numéro de Science et Vie junior. En 1997, il gagne un concours organisé par le mensuel en proposant une invention en forme de camembert, destinée à simplifier la géométrie. «Pour participer au concours, j'ai fait un truc de brigand : j'ai arraché le bulletin dans l'exemplaire de la bibliothèque. J'avais le cœur qui battait. C'était la plus grande des transgressions à mon échelle… J'étais petit, avec une petite voix.» A l'époque, le journaliste David Pouilloux interviewe le lauréat pour le mensuel. Celui-ci se souvient : «J'avais dit au membre du jury qu'il se passait quelque chose dans le cerveau de cet enfant. On avait reçu des centaines de réponses, qui se ressemblaient. Lui avait innové et carrément proposé un prototype, en évoquant déjà les débouchés industriels. Je l'ai croisé peu de temps après lors de la visite de l'Institut national de la propriété industrielle : il était complètement dans son jus, très à l'aise avec les adultes. Il écoutait beaucoup et semblait avoir prévu un plan, comme dans les films américains.» Le gagnant : «Il y avait aussi 5 000 francs à la clé, la seule manière de m'acheter un ordinateur. Je sentais que c'était important, alors, je me suis mis cette idée fixe dans la tête.»

Mounir Mahjoubi a été l'un des visages médiatiques de EM - qu'il a officiellement rejoint en début d'année - durant la présidentielle. Il cause et présente fort bien. En 2007, il remporte le concours d'éloquence de Sciences-Po. Une vidéo est disponible dans un coin de Dailymotion. Le thème : «Le vendredi nous éloigne-t-il toujours du jeudi ?». Il y évoque le parfum de sa maman, le goûter, la vie. «J'ai gagné à la tchatche, en faisant des blagues.» L'un de ses concurrents se rappelle : «Il était trois niveaux au-dessus de nous. Il avait innové, là où nous avions tous opté pour quelque chose de plus classique. C'est comme s'il savait que tout ce qu'il dirait convaincrait l'assistance. Il a transformé l'exercice en pièce de théâtre. Il m'est arrivé de le croiser des années après, à chaque fois il m'a reconnu et salué avec beaucoup de simplicité.»

Aux législatives, il envoie Jean-Christophe Cambadélis, député sortant et encore grand chef du PS, dans le trou. «J'ai l'impression d'avoir battu le passé.» Et demande aux habitants de sa circo de l'appeler par son prénom. «Des gens du quartier qui me connaissaient m'appelaient M. le Ministre, M. Mahjoubi. C'est bizarre… et puis si Mounir devient Jean-Pierre, c'est très bien.»

Futur : le temps de la campagne, une série de «Mounir Party» est organisée, réunions publiques à l'intitulé viral, genre anniversaire ou fête à la coloc. Il gagne, 700 voix devant Sarah Legrain, candidate de La France insoumise, qui souffle : «Il a énormément personnalisé sa campagne, en fabriquant l'image d'un personnage sympathique et accessible autour de son prénom. Il distribuait des cartes de visite en guise de tracts, comme s'il se faisait un réseau. Il y avait beaucoup de mise en scène.»

Mediapart, qui l'avait suivi, cite l'une de ses formules pour trancher les débats idéologiques avec des quidams réfractaires : «Nous ne sommes pas d'accord, ça ne sert à rien de discuter des heures au milieu de ce marché. Ça tombe bien, vous avez une supercandidate, jeune et très sympa, pour qui voter.» Après sa victoire, il écrira un tweet remerciant en même temps Sarah Legrain, les habitants du XIXe, et sa suppléante, Delphine O. Celle-ci siège à sa place à l'Assemblée tant qu'il sera au gouvernement, où il est chargé, entre autres, de conquérir les déserts numériques et décomplexer pour de bon la frange des Français encore impressionnée par Internet.

Ses parents ouvriers, berbères originaires du Maroc, divorcent quand il a 16 ans. Deux sœurs (une petite et une grande), des coupures d'électricité à la maison et des étés sans vacances, ou bien des vacances en dépensant le minimum. «Je ne suis pas dupe : ça reste quelque chose de très courant en France.» Un 30 m2 dans un immeuble du XIIe arrondissement que le papa, peintre en bâtiment, a transformé en quatre-pièces en cloisonnant. Sa chambre : «Elle était comme ça… à la verticale… il y avait fait une sorte de mezzanine, avec une échelle. J'avais mon bureau. Grand luxe.» Là : il est proprio dans le XIXe, où il vit en couple, et sa maman apprend Word dans un atelier d'informatique du XIIe.

A 13 ans, il devient geek en squattant une connexion Internet au Palais de la découverte. A 16, il bosse chez Club Internet, il y restera plus de sept ans. Une époque où «Web» est le mot magique : 1 000 euros gagnés par mois avec deux jours de boulot par semaine. Majeur, il intègre la CFDT de la boîte, et le PS. Il prend du poids au sein du syndicat, se retrouve au milieu du pataquès quand l’entreprise se cherche des repreneurs, plaide pour des employés aux prud’hommes. Après ça, il y a pêle-mêle Sciences-Po, du marketing chez L’Oréal, un passage dans une filiale de Havas, la création de start-up, la présidence du Conseil national du numérique. A la fin de l’entretien, il a parlé de sagesse et d’amour des autres. Du gérant qui fait écran entre lui et toutes les affaires dans lesquelles il possède des billes le temps de son mandat au gouvernement. Puis, il s’est levé et s’est mis à marcher quelques secondes, les mains dans le dos. Mais on ne sait pas comment interpréter ça.

1er mars 1984 Naissance à Paris.

2012 Soutient François Hollande.

Janvier 2017 Rejoint En marche.

Mai 2017 Nommé secrétaire d'Etat.

Juin 2017 Elu député.

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