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Qui de Macron ou Hollande a décidé de baisser les APL de 5 euros : la mise au point

Qui de Macron ou Hollande a décidé de baisser les APL de 5 euros : la mise au point

Décryptage

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Le gouvernement affirme que la baisse des aides au logement avait été décidée, mais jamais appliquée, sous François Hollande. Emmanuelle Cosse, ancienne ministre du Logement, a accusé Matignon de mensonge. Décryptage.

Baisse de 5 euros par mois de toutes les aides au logement, dont la fameuse Aide personnalisée au logement (APL), dès octobre prochain : la mesure décidée par le gouvernement d'Edouard Philippe est de celles qui laissent des traces. En s'attaquant à une aide destinée aux plus modestes, l'exécutif allume la mèche d'une petite bombe politique... Logique, donc, de vouloir se dédouaner de la décision. Une responsable gouvernementale a indiqué à l'AFP que la baisse des aides n'était que "l'application d'une réforme d'économie budgétaire décidée sous le quinquennat précédent et pas encore appliquée". Et voilà la paternité d'une mesure très impopulaire renvoyée à François Hollande...

Sauf que cette justification a fait bondir Emmanuelle Cosse, ministre du Logement sous l'ancien gouvernement socialiste. Contactée par franceinfo, l'écologiste a accusé Matignon de mensonge, se disant "absolument consternée" par cette mesure. "Il faut rappeler que les APL concernent des personnes qui sont à moins de 1 000 euros par mois et qu'il y a six millions de personnes aujourd'hui qui en ont besoin pour payer leur loyer", a souligné Emmanuelle Cosse. Avant de charger la justification du gouvernement actuel, et notamment du ministre des Comptes publics Gérald Darmanin : "Il faut arrêter de dire n'importe quoi. Monsieur Darmanin, n'assumant pas cette mesure de rigueur très dure et qui va faire très mal dans les publics défavorisés, explique que c'est l'application d'une réforme que nous aurions mis en place, ce qui est faux", s'insurge l'ex-ministre du Logement. Les mesures décidées consistaient à "raboter les APL pour les publics qui avaient plus de 30 000 euros de patrimoine et à rappeler que les enfants dont les parents payaient l'ISF n'avaient pas le droit à l'APL".

Trois pistes d'économies à l'été 2016... plus que deux dans le budget final

Alors que s'est-il vraiment passé ? Une lettre de cadrage révélée par BFM et datée de juillet 2016 permet de voir quelles sont les intentions du gouvernement, à cette époque, pour boucler le budget 2017. Les sources d'économies sont au nombre de trois :

- 170 millions d'euros sont attendus de l'application de mesures votées l'année précédente et en cours de mise en oeuvre : l'instauration du seuil de 30 000€ de patrimoine dans le versement des APL, évoqué par Emmanuelle Cosse en fait partie.

- 133 millions viennent renforcer le Fonds national d'aide au logement (Fnal) qui finance les APL. Une "taxe sur les bureaux" jusqu'alors attribuée à Action Logement arrive désormais dans les poches du Fnal, permettant à l'Etat de baisser sa propre participation. Certes, cette taxe est plafonnée, et finalement moins importante que prévu, mais elle entre tout de même dans la catégorie "économies" pour l'Etat.

- 156 derniers millions, enfin, doivent parfaire ce schéma d'économies. Ils concernent "les paramètres des prestations d'APL". Ces derniers doivent "soutenir la soutenabilité du dispositif sans remise en cause des conditions d'attribution", précise la lettre de cadrage.

C'est sur ce dernier point que se base le gouvernement actuel pour affirmer ne faire que mettre en application une mesure du gouvernement précédent. Sauf que, là encore, la réalité n'est pas si simple. Cette préconisation de la lettre de cadrage ne sera jamais intégrée à la loi de finances 2016 (pour le budget 2017). Elle aurait eu pour conséquence de baisser de 2 euros mensuels environ, sur toute l'année 2017, le montant des APL. Sans doute impossible en période électorale. Surtout, le gouvernement préfère faire le pari que la conjoncture économique sera bonne, ce qui permettrait de faire sortir un certain nombre de personnes du bénéfice des aides au logement... et donc ne pas baisser les APL.

Le gouvernement décide donc de s'asseoir sur cette économie. Manuel Valls le confirme au Canard enchaîné ce 25 juillet : "Pour boucler le budget, nous avions prévu une économie de 156 millions sur les APL. Très rapidement, on a renoncé à la faire."

Au final, la loi de finances indique que "s'il s'avérait que l'équilibre financier du système d'aide au logement nécessitait de nouvelles actions, des mesures réglementaires seraient envisagées sans remise en cause des conditions d'attribution". On a connu plus précis comme remise en cause des APL.

Une baisse nécessaire pour la fin 2017 uniquement

Cet abandon va toutefois être rattrapé par le bilan de la Cour des comptes en juin 2017. Cette dernière note une "sous-budgétisation de l'aide personnalisée au logement" de l'ordre de "100 millions d'euros". Elle explique que ce trou est "lié à l'absence de mise en oeuvre des mesures d'économie décidées". En résumé, le budget n'a pas été tenu et le gouvernement n'a pas rattrapé le coup. Le gouvernement Macron fait le choix politique de ressortir le dossier du placard, celui auquel Hollande, Valls et Cosse avaient renoncé. Depuis, la note a plus que doublé car le temps presse. Pour obtenir 100 millions sur les trois mois restants, ce ne sera pas 2 mais 5 euros en moins mensuels.

Détail d'importance : pour combler ce trou, outre le fait que le gouvernement aurait pu choisir une autre option que d'attaquer le portefeuille des Français cette baisse n'a "besoin" d'être appliquée que sur les derniers mois de 2017, privant chaque allocataire de 15 euros en tout et pour tout. Sauf que, subtilité macroniste, le gouvernement n'a absolument pas précisé quand la baisse des APL prendrait fin. Interrogé sur le calendrier ce 25 juillet au matin, Jacques Mézard, ministre de la Cohésion des territoires en charge du dossier, a pris soin... de ne rien en dire : "En l'état, nous sommes sur le budget 2017, ce budget, il faut le boucler." Et pour 2018, le gouvernement va-t-il continuer à se cacher derrière François Hollande ?

*Cet article a été amendé le 25 juillet après les nouvelles informations issues de la lettre de cadrage.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne