Cinq idées reçues sur la France battues en brèche par les cartes

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Cinq idées reçues sur la France battues en brèche par les cartes

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Des déserts médicaux ?
Des déserts médicaux ?
© AFP - S. CAillet / BSIP

Cartes. Déserts médicaux, pauvreté, redistribution... Remettez en question 5 idées reçues sur la société française grâce à une nouvelle méthode cartographique : le cartogramme. Vue de Lausanne, la France dessinée par le laboratoire Chôros ne ressemble pas à celle que vous connaissez. Regardez-la autrement.

Depuis l'école Polytechnique de Lausanne, la France ne ressemble pas à ce que l'on a l'habitude de voir dans les manuels de géographie, parmi les classiques cartes euclidiennes. Grâce à une autre grammaire cartographique, le laboratoire Chôros, dirigé par le géographe Jacques Lévy, esquisse le portrait d'une France mutante, surprenante, improbable. Par la méthode des cartogrammes, qui représente le territoire en fonction de la population, de nouvelles réalités sautent aux yeux. On découvre les révolutions silencieuses de ce pays, celles qui ont participé à la séquence électorale inédite qui vient de s'achever. Les déserts médicaux, le lieu de vie des plus pauvres, le nombre de places en crèche, le prix du sol ou les injustices de la péréquation entre régions : questionnez vos préjugés sur la France d'aujourd'hui par ces cartes contre-intuitives. Retrouvez ces cartes, et de nombreuses autres, commentées et analysées, dans l' Atlas politique de la France qui vient d'être publié aux éditions Autrement.

1- Idée reçue n°1 : les déserts médicaux

Le nombre de médecins par km et par proportion d'habitants
Le nombre de médecins par km et par proportion d'habitants
© Radio France - Laboratoire Chôros, Camille Renard

En regardant la carte euclidienne, il paraît évident que l'installation de médecins généralistes fait défaut sur de larges surfaces du territoire : Drôme ou Ardèche par exemple. La carte en cartogrammes, ou en proportion de la population, relativise cette idée reçue des déserts médicaux : l'emplacement des médecins généralistes apparaît très homogène en proportion de la population. Certaines petites communes hors zone urbaine ont une densité de médecins généralistes pour mille habitants trois fois plus importante qu'à Paris. Les médecins de campagne ont rejoint des communes démographiquement plus importantes au sein même des zones les moins denses. Pour un Parisien, le problème de l'accessibilité ne se mesure pas en temps de transport, mais en disponibilité de médecin référent et conventionné.

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Certes, la distance pour accéder au cabinet médical s'est rallongée pour une partie des Français. Mais, d'une part, la qualité globale du système de soins n'est pas forcément dégradée pour autant, même en rase campagne, grâce à un réseau de soins plus efficace. D'autre part, l'installation des médecins généralistes correspond aux mouvements de la population. Et enfin, "les problèmes d'accessibilité, dans les grandes villes, sont au moins aussi importants que les questions d'accès, en termes d'espace-temps, dans les zones rurales", résume Jean-Nicolas Fauchille, urbaniste au laboratoire Chôros.

2- Idée reçue n°2 : les pauvres sont dans les territoires en échec de développement

Carte de la proportion de ménages pauvres en France
Carte de la proportion de ménages pauvres en France
© Radio France - Laboratoire Chôros, Camille Renard

Contrairement au préjugé selon lequel Paris serait une ville uniquement gentrifiée, on dénombre autant de pauvres dans Paris intra muros que dans toutes les "communes isolées", selon la nomenclature de l'INSEE. Dans les centres des grandes villes, les pauvres, ceux dont le revenu est de 60% du revenu médian, sont à la fois plus nombreux (les deux tiers des pauvres sont dans les centres des grandes aires urbaines), et plus pauvres qu'ailleurs. Trois raisons l'expliquent :

  1. Les pauvres ont des emplois peu qualifiés, nombreux dans les grands centres urbains,
  2. Les pauvres cherchent à profiter des opportunités d'évolution personnelle qu'offre la grande ville,
  3. La fiscalité centralisée ne permet pas aux grandes villes d'assurer l'inclusion sociale des pauvres.
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Sur la carte ci-dessus, on voit que c'est la banlieue ouvrière du nord de l’Île-de-France et le nord-est parisien qui concentre le plus de personnes pauvres. Si les calculs prenaient en plus en compte le coût de la vie supérieur environ de 20% dans les grandes villes en raison du prix du foncier, la pauvreté serait encore plus intense dans ces centres urbains. Les différences régionales sont également fortes : à l'Ouest, la société est moins clivée, contrairement au littoral méditerranéen, qui connaît une forte pauvreté. Jean-Nicolas Fauchille, qui a participé à l'élaboration de l'Atlas politique de la France conclut :

En somme, c'est aux endroits où se produit la richesse que se trouve la pauvreté la plus grande en nombre et en intensité, sans aucun doute car ce sont les espaces où se trouvent aussi le plus d'opportunités pour eux."

3- Idée reçue n°3 : la redistribution entre les régions permet une répartition plus juste des richesses

Carte de la redistribution entre région française
Carte de la redistribution entre région française
© Radio France - Laboratoire Chôros, Camille Renard

Pour garantir des services publics de qualité pour tous, l'idée d'"égalité des territoires" pilote les politiques territoriales en France. Ce principe se base sur les kilomètres carrés, et ne prend pas en compte les densités de population. Comme on le voit sur la carte ci-dessus, réalisée, elle, en proportion de la population de chaque région, la Bourgogne Franche-Comté, peu peuplée, est largement gagnante dans cette redistribution. Cette région est classée 12e par son PIB (sur 13 régions), mais se classe 5e après la redistribution, en termes de revenu disponible pour les ménages. A l'inverse, l’Île-de-France est la région la plus pauvre, alors qu'elle est la plus productive. C'est elle qui soutient financièrement les autres régions, moins peuplées, où le coût d'un tribunal ou d'un hôpital n'est pas divisé par le nombre d'habitants.

4- Idée reçue n°4 : il n'y a pas de place en crèche dans les villes

La répartition des places en crèche en proportion de la population en France
La répartition des places en crèche en proportion de la population en France
© Radio France - Laboratoire Chôros, Camille Renard

Les modes de garde sont de bons indicateurs d'une certaine conception de l'éducation, et de la place des femmes dans la vie sociale. Comme on peut le lire dans l'atlas, "La France des bébés en dit long sur la France de leurs parents". La crèche est ainsi le modèle éducatif des centres-villes. Elle est considérée comme un lieu d'éducation à part entière, une sorte de pré-école par les parents à haut capital scolaire, qui en vantent la modernité pédagogique. Dans les territoires en plus grande difficulté : quartiers nord de Marseille ou de l’Île-de-France, banlieues populaires, les bassins industriels du Nord et de l'Est ou villes ouvrières (Le Havre, Mulhouse, Clermont-Ferrand...), assistantes maternelles ou congés parentaux sont privilégiés. Comme les transports publics, le lieu collectif de la crèche est plébiscité par des individus à l'aise dans dans la diversité induite par la collectivité, contrairement aux habitants de zones périurbaines, plus enclins à voyager en voiture individuelle et à faire garder les enfants par des "nounous".

5- Idée reçue n°5 : le prix du sol est l'effet de la spéculation

Carte du nombre d'années nécessaires pour acheter un logement de 100 m2 selon les régions, en proportion de la population
Carte du nombre d'années nécessaires pour acheter un logement de 100 m2 selon les régions, en proportion de la population
© Radio France - Laboratoire Chôros, Camille Renard

Le prix du sol est 17 fois plus élevé entre le 6e arrondissement de Paris et la Creuse. La diversité spatiale des prix du sol n'est pourtant pas, sur le temps long, l'effet de la seule spéculation. C'est plutôt un résumé de la valeur accordée à un lieu, la traduction monétaire de la valorisation sociale des lieux de vie. Est représentée sur la carte ci-dessus la capacité financière d'accès au sol selon les lieux. Pour ceux qui peuvent acheter un appartement, le capital culturel est décisif. Il incite les mieux dotés à préférer les grandes villes, où les facultés d'adaptation et capacité à profiter des différences (sociales, culturelles, ethnico-religieuses) sont le plus valorisées.

La Question du jour
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L'Atlas politique de la France, sous la direction de Jacques Lévy, par Ogier Maitre, Ana Povoas et Jean-Nicolas Fauchille.