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Panama : pauvres dans un paradis fiscal

6 min

Les Panaméens se sentent peu concernés par le scandale des Panama Papers. Et pour cause : les activités financières ne bénéficient qu'à une petite élite mondialisée.

Panama City. Le pays est loin d'être un paradis pour une grande partie de la population. PHOTO : Carlos Jasso -ww Reuters

Le scandale des évasions fiscales révélé par les Panama Papers en avril 2016 a eu un effet cataclysmique sur le plan international. La fuite de 11,5 millions de documents confidentiels issus du cabinet d’avocats Mossack Fonseca a notamment précipité la démission du Premier ministre islandais et éclaboussé un grand nombre de personnalités du monde politique, artistique et sportif dans de multiples pays. Mais le scandale a également eu son lot de répercussions au Panama même.

Panama (carte)

Population : 3,9 millions
PIB : 52 milliards de dollars
Taux de croissance : + 5,8 %
Taux de chômage : 4,3 %*
Espérance de vie : 77,6 ans*

Source : Banque mondiale ; données 2015, sauf * = 2014

Panama (carte)

Population : 3,9 millions
PIB : 52 milliards de dollars
Taux de croissance : + 5,8 %
Taux de chômage : 4,3 %*
Espérance de vie : 77,6 ans*

Source : Banque mondiale ; données 2015, sauf * = 2014

La première réaction intérieure a été de prendre la défense de la nation. Le président panaméen Juan Carlos Varela, élu en 2014, a souligné la nature mondiale du problème de l’évasion fiscale et dénoncé une diabolisation du Panama. Parallèlement à cette stratégie de communication, une série de mesures concrètes ont cependant été mises en oeuvre, autant pour répondre aux pressions de la communauté internationale que pour intensifier la politique nationale de lutte contre la criminalité fiscale.

La transparence à reculons

Dans un premier temps, une réunion exceptionnelle des membres de la Commission présidentielle de hauts niveaux pour la défense des services financiers internationaux (Candsif) a été convoquée par le président Varela pour analyser les défis posés à la plate-forme financière panaméenne et travailler à une plus grande transparence du système financier légal du pays1. Dans la foulée, un comité indépendant d’experts - locaux et internationaux - a été constitué en mai 2016. Présidé par la ministre des Relations extérieures du Panama, Isabel de Saint Malo, il a pour mission d’évaluer les pratiques du système financier panaméen, d’aider le pays à lutter contre l’évasion fiscale internationale tout en renforçant sa position de centre financier global. Si l’intention est louable, ce comité jouit d’un crédit tout relatif. D’une part, aucune date de rendu ou de publication de rapport n’a été avancée. D’autre part, l’économiste américain Joseph Stiglitz et l’expert anticorruption suisse Mark Pieth, deux des personnalités internationales qui lui conféraient sa pleine légitimité, ont démissionné au coeur du mois d’août pour dénoncer le manque de transparence et la mauvaise volonté du gouvernement panaméen.

Les différentes demandes de mise en stricte conformité présentées par des Etats étrangers ont été mal reçues par la population panaméenne

L’annonce de l’installation de ce comité s’est faite conjointement à celle de nouvelles négociations pour l’établissement d’accords d’échange d’informations bilatérales avec le Japon, la Colombie, la France et l’Allemagne, ainsi que la signature d’un accord intergouvernemental avec les Etats-Unis ayant pour but d’appliquer la loi de conformité fiscale à l’étranger (Fatca) en vigueur dans ce pays. Ces négociations bilatérales révèlent une pression discrète, mais néanmoins forte, de la part de la communauté internationale en vue d’une mise en conformité rapide et d’une application plus stricte du Common Reporting Standard (CRS) et du Base Erosion and Profit Shifting (Beps), deux normes définies par l’OCDE.

Les CRS sont une réglementation destinée à promouvoir la transparence fiscale menant à un échange automatique d’information entre les Etats les ayant adoptés2. Les Beps, quant à eux, font référence à des mécanismes de lutte contre l’évasion fiscale et la disparition d’actifs financiers entre les systèmes nationaux. Malgré le soutien technique de la Banque interaméricaine de développement (BID) pour l’application de ces normes, les différentes demandes de mise en stricte conformité présentées par des Etats étrangers (notamment la France et l’Allemagne) ont été mal reçues par la population panaméenne, qui y a vu une atteinte à la souveraineté du pays.

32 % des Panaméens vivaient toujours en situation de pauvreté en 2015

L’affaire des Panama Papers a revêtu d’autant plus d’importance au Panama que les activités financières sont de plus en plus prédominantes dans sa structure économique, bien qu’elles ne concernent qu’une part infime de sa population. En effet, la contribution au produit intérieur brut (PIB) du Centre bancaire international (CBI) du Panama est en progression constante depuis les années 1970 : de 3 % à sa création, elle est passée à 8 % en 2012. A laquelle il faut ajouter la zone franche de Colon (une zone de libre-échange où ne s’appliquent pas les droits de douane) qui compte, elle, pour 7 %.

Au total, en 2015, on estime que l’enregistrement des entreprises extraterritoriales (offshore) et les services financiers qui leur sont dédiés représentaient 28,5 % du PIB panaméen, soit plus que l’agriculture (3 %) et l’industrie (20 %) réunies, mais moins que le secteur maritime (enregistrement de navires et opérations liées aux activités du canal de Panama), qui compte pour 33,5 % de la richesse nationale. Cette répartition du PIB exclut bien entendu les opérations illégales, fortement présentes dans la zone.

Moins d’argent pour la santé

Toutefois, cette richesse nationale produite par une petite élite mondialisée - dont il est difficile d’évaluer le nombre précis - ne bénéficie que de manière très résiduelle à la population du pays. Tout comme le scandale de l’évasion fiscale ne concerne que de très loin le peuple panaméen. Comme le souligne un éditorialiste du quotidien national La Estrella de Panamá : « 99,99 % des Panaméens n’ont rien à voir avec l’évasion d’impôts en France ou au Royaume-Uni »3. De fait, si l’insertion économique internationale du pays s’est faite, elle n’a été réalisée et n’a bénéficié en réalité qu’à une petite élite d’entrepreneurs pouvant se positionner sur la scène régionale et mondiale. A côté de cette frange réduite de la population, près de 32 % des Panaméens vivaient toujours en situation de pauvreté en 2015, dont 10,3 % en situation d’extrême pauvreté.

Les bénéfices des activités de services ne profitent que très peu à la population

Ces fortes inégalités sociales se répercutent également dans l’organisation territoriale du pays. Des 3,6 millions d’habitants que compte le Panama, environ 1,5 million résident dans la capitale, délaissant les zones rurales touchées à 90 % par la pauvreté et l’extrême pauvreté, selon le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud).

Entrées de capitaux internationaux dans le secteur bancaire local à fin septembre 2015

A l’aune des dépôts réalisés par les non-résidents, le Panama est un centre bancaire régional de petite taille. Son insertion dans la mondialisation repose davantage sur les revenus du canal, sur une immense zone franche (Colon), sur sa place de premier pays à pavillons de complaisance (20 % des immatriculations de bateaux) et sur son offre de services d’opacité.

Entrées de capitaux internationaux dans le secteur bancaire local à fin septembre 2015

A l’aune des dépôts réalisés par les non-résidents, le Panama est un centre bancaire régional de petite taille. Son insertion dans la mondialisation repose davantage sur les revenus du canal, sur une immense zone franche (Colon), sur sa place de premier pays à pavillons de complaisance (20 % des immatriculations de bateaux) et sur son offre de services d’opacité.

En outre, les bénéfices des activités de services ne profitent que très peu à la population. Selon la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (Cepalc), le pourcentage du PIB investi par le gouvernement dans les dépenses publiques sociales (santé, éducation, logement, sécurité sociale) est l’un des plus bas de l’Amérique latine : 7 % seulement en 2014. Par ailleurs, toujours la même année, les dépenses de santé et d’éducation avaient baissé respectivement de 7 (de 21 % à 14 %) et de 6 points (de 19 % à 13 %) par rapport à 2000. Un tel diagnostic explique en partie la part importante de l’économie informelle, notamment en matière d’emploi, qui concernait 37,1 % de la population (hors emplois agricoles) en 20144.

Cette réalité symbolise tout le paradoxe que représente Panama : une place financière mondialisée dont les luxueux immeubles de la capitale occultent de sombres réalités liées au sous-développement et à la criminalité organisée.

  • 1. Présidence de la République de Panama, 6 avril 2016, https://lc.cx/oFsc
  • 2. Pour en savoir plus sur les CRS, voir "Standard for Automatic Exchange of Financial Account Information", OCDE, disponible sur https://lc.cx/oFsT
  • 3. "¿Cómo enfrentar los "Panama Papers" ?", La Estrella de Panamá, 25 avril 2016, accessible sur https://lc.cx/oFs8
  • 4. "El trabajo informal en Panamá", par Joslyn Guerra, ministère de l’Economie et des Finances du Panama, septembre 2015, accessible sur https://lc.cx/oFsz

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