Panama : pauvres dans un paradis fiscal
Les Panaméens se sentent peu concernés par le scandale des Panama Papers. Et pour cause : les activités financières ne bénéficient qu'à une petite élite mondialisée.
Le scandale des évasions fiscales révélé par les Panama Papers en avril 2016 a eu un effet cataclysmique sur le plan international. La fuite de 11,5 millions de documents confidentiels issus du cabinet d’avocats Mossack Fonseca a notamment précipité la démission du Premier ministre islandais et éclaboussé un grand nombre de personnalités du monde politique, artistique et sportif dans de multiples pays. Mais le scandale a également eu son lot de répercussions au Panama même.
La première réaction intérieure a été de prendre la défense de la nation. Le président panaméen Juan Carlos Varela, élu en 2014, a souligné la nature mondiale du problème de l’évasion fiscale et dénoncé une diabolisation du Panama. Parallèlement à cette stratégie de communication, une série de mesures concrètes ont cependant été mises en oeuvre, autant pour répondre aux pressions de la communauté internationale que pour intensifier la politique nationale de lutte contre la criminalité fiscale.
La transparence à reculons
Dans un premier temps, une réunion exceptionnelle des membres de la Commission présidentielle de hauts niveaux pour la défense des services financiers internationaux (Candsif) a été convoquée par le président Varela pour analyser les défis posés à la plate-forme financière panaméenne et travailler à une plus grande transparence du système financier légal du pays1. Dans la foulée, un comité indépendant d’experts - locaux et internationaux - a été constitué en mai 2016. Présidé par la ministre des Relations extérieures du Panama, Isabel de Saint Malo, il a pour mission d’évaluer les pratiques du système financier panaméen, d’aider le pays à lutter contre l’évasion fiscale internationale tout en renforçant sa position de centre financier global. Si l’intention est louable, ce comité jouit d’un crédit tout relatif. D’une part, aucune date de rendu ou de publication de rapport n’a été avancée. D’autre part, l’économiste américain Joseph Stiglitz et l’expert anticorruption suisse Mark Pieth, deux des personnalités internationales qui lui conféraient sa pleine légitimité, ont démissionné au coeur du mois d’août pour dénoncer le manque de transparence et la mauvaise volonté du gouvernement panaméen.
Les différentes demandes de mise en stricte conformité présentées par des Etats étrangers ont été mal reçues par la population panaméenne
L’annonce de l’installation de ce comité s’est faite conjointement à celle de nouvelles négociations pour l’établissement d’accords d’échange d’informations bilatérales avec le Japon, la Colombie, la France et l’Allemagne, ainsi que la signature d’un accord intergouvernemental avec les Etats-Unis ayant pour but d’appliquer la loi de conformité fiscale à l’étranger (Fatca) en vigueur dans ce pays. Ces négociations bilatérales révèlent une pression discrète, mais néanmoins forte, de la part de la communauté internationale en vue d’une mise en conformité rapide et d’une application plus stricte du Common Reporting Standard (CRS) et du Base Erosion and Profit Shifting (Beps), deux normes définies par l’
Les CRS sont une réglementation destinée à promouvoir la transparence fiscale menant à un échange automatique d’information entre les Etats les ayant adoptés2. Les Beps, quant à eux, font référence à des mécanismes de lutte contre l’évasion fiscale et la disparition d’
32 % des Panaméens vivaient toujours en situation de pauvreté en 2015
L’affaire des Panama Papers a revêtu d’autant plus d’importance au Panama que les activités financières sont de plus en plus prédominantes dans sa structure économique, bien qu’elles ne concernent qu’une part infime de sa population. En effet, la contribution au produit intérieur brut (
Au total, en 2015, on estime que l’enregistrement des entreprises extraterritoriales (
Moins d’argent pour la santé
Toutefois, cette richesse nationale produite par une petite élite mondialisée - dont il est difficile d’évaluer le nombre précis - ne bénéficie que de manière très résiduelle à la population du pays. Tout comme le scandale de l’évasion fiscale ne concerne que de très loin le peuple panaméen. Comme le souligne un éditorialiste du quotidien national La Estrella de Panamá : « 99,99 % des Panaméens n’ont rien à voir avec l’évasion d’impôts en France ou au Royaume-Uni »3. De fait, si l’
Les bénéfices des activités de services ne profitent que très peu à la population
Ces fortes inégalités sociales se répercutent également dans l’organisation territoriale du pays. Des 3,6 millions d’habitants que compte le Panama, environ 1,5 million résident dans la capitale, délaissant les zones rurales touchées à 90 % par la pauvreté et l’extrême pauvreté, selon le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud).
En outre, les bénéfices des activités de services ne profitent que très peu à la population. Selon la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (Cepalc), le pourcentage du
Cette réalité symbolise tout le paradoxe que représente Panama : une place financière mondialisée dont les luxueux immeubles de la capitale occultent de sombres réalités liées au
- 1. Présidence de la République de Panama, 6 avril 2016, https://lc.cx/oFsc
- 2. Pour en savoir plus sur les CRS, voir "Standard for Automatic Exchange of Financial Account Information", OCDE, disponible sur https://lc.cx/oFsT
- 3. "¿Cómo enfrentar los "Panama Papers" ?", La Estrella de Panamá, 25 avril 2016, accessible sur https://lc.cx/oFs8
- 4. "El trabajo informal en Panamá", par Joslyn Guerra, ministère de l’Economie et des Finances du Panama, septembre 2015, accessible sur https://lc.cx/oFsz