BFMTV
Politique

Le fact-checking n'influence pas le vote des électeurs, selon une étude

Marine Le Pen

Marine Le Pen - PHILIPPE HUGUEN / AFP

Opposer aux faits alternatifs ou aux fake news les données statistiques issues du "fact-checking" est politiquement inefficace dans le choix des électeurs dans les urnes, selon une étude inédite.

Le "fact-checking" est-il une pratique efficace? Après le Brexit, l'élection de Donald Trump et l'accession de Marine Le Pen au second tour de l'élection présidentielle, quatre chercheurs de la Paris School of Economics et de Sciences Po Paris ont mené une étude publiée vendredi sur l'influence de cette vérification systématique des données avancées par les responsables politiques pour soutenir leurs argumentaires. Une étude focalisée sur la dernière campagne présidentielle française.

Intitulée "Faits, faits alternatifs et fact-checking au temps de la politique post-vérité", l'enquête s'intéresse en particulier aux effets des nombreux "faits alternatifs" - traduire contre-vérités - avancés par la candidate d'extrême droite Marine Le Pen sur l'immigration, thème central pour le Front national. Elle évalue surtout l'impact sur les intentions de vote du travail journalistique visant à rétablir la vérité factuelle sur la question migratoire.

Défaite du journalisme

Pour cela, les chercheurs ont divisé les sondés en quatre groupes: le premier, faisant office de groupe de contrôle, n'était soumis à aucune information. Le deuxième lisait les affirmations "alternatives" de Marine Le Pen sur l'immigration, le troisième les statistiques officielles sur ce thème et le dernier les fausses informations et les vraies statistiques.

Résultat de l'expérience: dans le deuxième groupe, soumis aux "faits alternatifs", les intentions de vote pour Marine Le Pen sont sept points plus élevés que dans le groupe de contrôle. Dans le troisième groupe, qui n'a lu que les faits, la présidente du Front national recueille 4,6 points de plus que dans le groupe de contrôle. Selon les auteurs, ce fait s'explique par le "cadrage" de la campagne électorale:

"En énonçant des faits sur l'immigration, les fact-checkers peuvent alerter les électeurs sur l'importance de l'immigration et ainsi déplacer leur soutien vers les politiciens dont la campagne est centrée sur la question."

Enfin, le quatrième groupe, à la fois soumis aux contre-vérités de Marine Le Pen et aux données véridiques, signe la défaite du fact-checking, puisque la battue du second tour de l'élection présidentielle obtient là aussi sept points de plus que dans le groupe de contrôle.

Des faits stériles

L'enquête tente d'expliquer cet échec, en défendant l'hypothèse selon laquelle les électeurs ont tendance à ne retenir que le "message principal" d'une déclaration - ce que les communicants de la politique appellent volontiers "éléments de langage" - ne fondant leurs opinions que sur "l'impression laissée par ce message plutôt que sur les chiffres donnés pour le soutenir".

La plasticité de la vérité factuelle au service du discours politique est encore soulignée par cette observation des chercheurs: "Les déclarations de Marine Le Pen convainquent les participants qu'il existe un lien entre les données statistiques et les conclusions. L'intensité de ce lien ne fait alors que peu de différences". "Une fois les conclusions acceptées, corriger les faits n'a que peu de chances de les faire changer", relève l'étude, et ce alors même que la majorité des sondés est tout à fait disposée à croire les faits établis.

La conclusion de l'étude est donc sans détour:

"Premièrement, les faits alternatifs sont très persuasifs. Deuxièmement, le fact-checking améliore la connaissance factuelle des votants, mais n'influencent pas les conclusions politiques des électeurs."

Les idées d'abord

"L'effet d'une campagne politique ne se limite pas aux faits et aux statistiques, il est d'abord et avant tout le résultat de récits", ajoutent les auteurs de l'étude. "Nos résultats impliquent que fournir les preuves statistiques n'est pas suffisant pour corriger l'influence de politiciens malhonnêtes sur les électeurs."

Un constat largement partagé après l'élection de Donald Trump par l'économiste et philosophe Frédéric Lordon, qui écrivait lors de l'apparition de la notion de politique post-vérité

"La frénésie du fact-checking est elle-même le produit dérivé tardif, mais au plus haut point représentatif, du journalisme post-politique, qui règne en fait depuis très longtemps, et dans lequel il n’y a plus rien à discuter, hormis des vérités factuelles. La philosophie spontanée du fact-checking, c’est que le monde n’est qu’une collection de faits et que, non seulement, comme la terre, les faits ne mentent pas, mais qu’ils épuisent tout ce qu’il y a à dire du monde."

"Le problème est que cette vérité post-politique, opposée à la politique post-vérité, est entièrement fausse, que des faits correctement établis ne seront jamais le terminus de la politique mais à peine son commencement, car des faits n’ont jamais rien dit d’eux-mêmes, rien! Des faits ne sont mis en ordre que par le travail de médiations qui ne leur appartiennent pas. Ils ne font sens que saisis du dehors par des croyances, des idées, des schèmes interprétatifs, bref, quand il s’agit de politique, de l’idéologie."
Louis Nadau