Il ne savait rien, « ne connaissait pas » le principal accusé et « ne s’occupait pas des affaires économiques » du Parti populaire (PP, droite). Le chef du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, entendu mercredi 26 juillet en qualité de témoin dans le cadre du procès de l’affaire Gürtel, a nié tout lien avec le vaste réseau de corruption qui éclabousse le PP. D’abord mal à l’aise, puis ironique, il a été rappelé à l’ordre à plusieurs reprises par le président du tribunal. Son témoignage a convaincu les siens, mais pas l’opposition qui a déclaré à l’unisson : « Ou bien il ment, ou bien il est incompétent. »
Le gouvernement, pour éviter l’affront de voir M. Rajoy assis devant les juges, avait demandé qu’il puisse témoigner par vidéoconférence, ce qui lui a été refusé. D’autres stratagèmes ont finalement été utilisés pour en limiter l’impact médiatique négatif. Deux semi-remorques, stationnés à dessein face à l’Audience nationale, ont ainsi empêché photographes et caméras de télévision de capter l’image du chef du gouvernement pénétrant dans le parking du tribunal.
Elus véreux et comptes en Suisse
Entré en voiture, contrairement à l’usage, M. Rajoy a pu éviter les manifestants criant « ce président est un délinquant » et les journalistes massés derrière des barrières. Dans la salle, il n’a pas eu non plus à croiser les principaux accusés. L’entrepreneur Francisco Correa, cerveau présumé du réseau de corruption, accusé d’exiger des pots-de-vin des entreprises en échange de l’attribution de contrats publics dans des villes gouvernées par le PP, puis d’arroser des élus véreux et de financer illégalement leurs campagnes électorales, était absent. Tout comme Luis Barcenas, l’ancien intendant puis trésorier du PP, gardien présumé d’une comptabilité parallèle, à qui Mariano Rajoy avait envoyé un SMS lui disant « Sois fort ! », en 2013, quelques jours après que la presse eut révélé que près de 50 millions d’euros avaient transité sur ses comptes en Suisse.
« Je ne me suis jamais occupé des comptes du parti »
M. Rajoy a aussi évité de s’asseoir avec les autres témoins et accusés : exceptionnellement, une table a été installée à côté du président du tribunal. Tout a été fait pour que les images du témoignage du chef du gouvernement ne l’accablent pas. Mais il n’a pu éviter les questions embarrassantes. En tant que vice-secrétaire d’organisation du PP entre 1990 et 2003, directeur de plusieurs campagnes électorales puis secrétaire général en 2003-2004, M. Rajoy a dû préciser quelles étaient ses relations avec les accusés et ce qu’il savait de leurs agissements entre 1999 et 2005, l’époque jugée depuis octobre 2016.
Il a balayé l’essentiel des questions d’une phrase, répétée à l’envi : « Je ne me suis jamais occupé des comptes du parti. » Il a aussi assuré que, malgré sa position dans l’organigramme, il n’exerçait « de fait » presque aucune fonction au sein du PP, car il était alors ministre du gouvernement de José Maria Aznar (1996-2004).
« Papiers de Barcenas »
Savait-il que M. Correa a payé son voyage aux Canaries en famille, en 2003 ? « C’est le parti qui l’a payé, d’après ce que je sais », a-t-il répondu. Que signifiait le SMS envoyé à M. Barcenas dans lequel il disait « nous faisons ce que nous pouvons » ? « Cela veut dire que nous n’avons rien fait qui puisse porter préjudice à un processus judiciaire », a-t-il assuré.
Pourquoi a-t-il rayé la société de M. Correa de la liste des sociétés travaillant habituellement pour le PP, lorsqu’il en est devenu président, en 2004 ? Parce que l’ancien trésorier entre 1990 et 2008, Alvaro Lapuerta, lui aurait dit que « certains fournisseurs utilisaient le nom du PP…, a répondu M. Rajoy. Je lui ai demandé s’ils faisaient quelque chose d’illégal. Il m’a dit qu’il n’avait pas de preuve mais qu’il n’aimait pas ça… Nous avons donc cessé de l’employer. » Chose que M. Lapuerta ne peut confirmer. Agé de 88 ans, il souffre de démence sénile depuis 2013, peu après sa mise en examen.
Quant aux « papiers de Barcenas », des documents manuscrits où sont consignés des virements de chefs d’entreprises et des versements à des dirigeants politiques – dont M. Rajoy –, semblant accréditer l’existence d’une comptabilité illégale du PP, le chef de l’exécutif a déclaré qu’ils sont « absolument faux ».
L’affaire Gürtel est en grande partie responsable de la perte de 3 millions d’électeurs du PP entre 2011 et 2016, et de la réticence des autres partis à s’allier avec lui pour garantir la stabilité du gouvernement, en minorité au Parlement. Le secrétaire général du Parti socialiste espagnol, Pedro Sanchez, a demandé la démission de Mariano Rajoy, « pour la dignité de la démocratie ».
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