Siège social de la CAF de Paris. Près de 6,3 millions de ménages sont concernés par la baisse des aides au logement.Gilles ROLLE/REA
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Entretien

APL : « Pourquoi ne pas prendre 5 euros aux ménages les plus aisés ? »

6 min
Pierre Madec économiste à l'OFCE

Le gouvernement vient d’annoncer qu’il allait baisser de cinq euros par mois toutes les aides au logement au mois d’octobre. Outre l’APL, l’aide personnalisée au logement, qui est la plus connue, l’allocation de logement familial (ALF) et l’allocation de logement sociale (ALS) sont également visées.

Au total, près de 6,3 millions de ménages sont concernés, selon les derniers chiffres de la Caisse d’allocations familiales1. Pour l’économiste Pierre Madec, cette mesure est aussi injuste qu’inefficace sur le long terme.

Le gouvernement justifie cette baisse des aides personnelles au logement par « l’urgence de la situation », pour « que chacun puisse toucher son APL ». Qu’en pensez-vous ?

Le gouvernement essaye de se raccrocher à des éléments de langage. En réalité, il fallait trouver de l’argent rapidement et le choix qui a été fait est de réduire les aides à la personne. Cela fait vingt ans que ces dernières sont des variables d’ajustement budgétaire. Est-ce que le gouvernement oserait tenir ce discours s’il annonçait une baisse du revenu de solidarité active (RSA) ? J’en doute.

Il s’agit de la prestation sociale qui contribue le plus à la réduction des inégalités

Selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), en 2012, trois bénéficiaires des APL sur quatre comptent parmi les 30 % des ménages les pauvres. C’est la prestation sociale pour laquelle la redistribution verticale est la plus élevée, autrement dit, qui contribue le plus à la réduction des inégalités. Cinq euros en moins pour ces ménages, c’est déjà beaucoup. Pourquoi ne pas plutôt prendre cinq euros aux 6 millions de ménages les plus aisés ?

Que répondez-vous à ceux qui affirment que les APL ne profitent qu’aux propriétaires, qui gonflent les prix des loyers ?

Par le passé, des études ont montré qu’à des moments spécifiques, par exemple lors d’une revalorisation importante des APL ou l’entrée des étudiants dans le dispositif, il y a pu avoir un choc dans les zones tendues. Le problème, c’est que toutes ces études ne se concentrent que sur le passé. La situation actuelle est différente : dans les faits, la moitié des allocataires sont logés dans le parc social – aux loyers encadrés – et verront leur aide baisser.

L’argument selon lequel la baisse des APL fera baisser les loyers est donc un mensonge

L’argument selon lequel la baisse des APL fera baisser les loyers est donc un mensonge. La majorité des ménages qui bénéficient des APL sont des locataires qui ne prendront pas le risque de perdre leur logement en demandant une baisse de leur loyer à leur propriétaire. Pour les nouveaux arrivants sur le marché locatif, ce n’est pas une baisse de 5 euros qui changerait la donne.

Au Royaume-Uni, lorsque le gouvernement a baissé les aides au logement, il n’y a eu quasiment aucune incidence sur le niveau des loyers. Ce sont les locataires qui ont subi l’essentiel de la baisse des aides.

Quelles conséquences cette baisse aura-t-elle sur les ménages qui bénéficient des APL et sur les étudiants en particulier ?

La baisse est uniforme et touche tous les allocataires, donc tout dépend de leur niveau de vie. Si on prend les 10 % des ménages les plus pauvres, les APL représentent 20-21 % de leur niveau de vie. Autant dire que les aides au logement sont très importantes pour eux. Dans leur cas, baisser les APL de 5 euros, c’est comme baisser le RSA du même montant. C’est dramatique.

Pour les 10 % des ménages les plus pauvres, baisser les APL de 5 euros, c’est comme baisser le RSA du même montant, c’est dramatique

Le cas des étudiants est particulier dans la mesure où l’on considère qu’ils bénéficient d’une sorte de « double-avantage » puisqu’ils peuvent se rattacher au foyer de leurs parents tout en bénéficiant des APL.

En 2015, près de 600 000 étudiants percevaient une aide au logement soit un étudiant sur trois âgé de 18 à 24 ans, pour un montant global de 1,5 milliard d’euros.

Qu’en est-il pour les allocataires les plus modestes ?

La moitié des allocataires qui touchent des aides au logement est en parc locatif privé, les autres en parc social. Concernant ces derniers, deux scénarios sont envisageables : soit les bailleurs sociaux vont compenser cette baisse de 5 euros, ce qui semble peu probable, compte tenu de leur situation budgétaire tendue. Soit, ils ne vont pas intervenir, ce qui va mécaniquement augmenter le paiement du loyer à charge des allocataires de cinq euros. C’est probablement ce qui va se passer. C’est profondément injuste.

La part consacrée au logement pour les ménages en parc social est en constante augmentation depuis vingt ans

Depuis 2000, les loyers des allocataires ont en effet augmenté deux fois plus vite que les aides. Notamment en raison d’un mode de calcul des aides au logement dépassé. En indexant les plafonds d’aides sur l’indice de référence des loyers (IRL), dont les évolutions ont été bien moindres que celles observées pour les loyers, les pouvoirs publics ont rendu le calcul des aides au logement largement déconnecté des réalités. Et ce non seulement du marché locatif privé mais également du marché locatif social. En 2013, selon l’enquête nationale logement de l’Insee, 90 % des locataires du parc privé s’acquittaient ainsi d’un loyer supérieur au loyer-plafond défini par la loi.

Dans le parc social, cette proportion dépassait les 50 %. De fait, la part consacrée au logement pour les ménages en parc social est en constante augmentation depuis vingt ans.

Est-ce à dire qu’il ne faut pas toucher aux APL ?

Une première réforme a eu lieu sous le quinquennat Hollande quand le gouvernement Valls a raboté l’APL pour les publics qui avaient plus de 30 000 euros de patrimoine tout en rappelant que les enfants dont les parents payaient l’ISF n’y avaient pas droit.  Il y a encore des réformes à faire. Le système des aides au logement est de moins en moins efficace à cause de l’indexation des loyers.

Ce sont précisément les plans d’économies à court terme qui font que le système est à bout de souffle

Mais il n’y a pas d’économies immédiates à chercher : ce sont précisément les plans d’économies à court terme comme celui que vient d’annoncer le gouvernement qui font que le système est à bout de souffle. Globalement, le marché locatif fonctionne mal en France. Il y a très peu de mobilité. Ce qu’il faudrait avant tout, c’est une réforme structurelle vers une meilleure prise en compte des ressources des ménages afin de rendre le dispositif d’aides au logement plus efficace.

  • 1. (1) En 2016, 6 280 776 d’allocataires ont bénéficié des aides au logement : 1 239 611 ont bénéficié de l’ALF, 2 294 583 de l’ALS, 2 746 582 de l’APL, selon la Caisse d’allocations familiales.
Propos recueillis par Nils Wilcke

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Commentaires (9)
DANIELLE 10/08/2017
Vous allez me traiter de simpliste : dans le parc social privé (50%), si l'APL était versée directement au propriétaire, en lui interdisant éventuellement de répercuter la baisse imposée, ce serait plus juste. Toucher au logement qui est à mes yeux un droit humain de base, est extrêmement difficile sans créer d'énormes vagues sociales et économiques. A Paris où s'applique le plafonnement des loyers, il n'y a plus que 14% de propriétaires qui font des travaux entre 2 locataires.
GILLES 08/08/2017
(suite et fin) (...) 48 % du montant de l’APL est versé à des ménages appartenant au décile inférieur de l’échelle des revenus (revenu annuel de 6 500 euros). Ceux tributaires du logement social où ce n’est pas le montant de l’APL qui déforme les prix…
GILLES 08/08/2017
(suite et fin) (...) 48 % du montant de l’APL est versé à des ménages appartenant au décile inférieur de l’échelle des revenus (revenu annuel de 6 500 euros). Ceux tributaires du logement social où ce n’est pas le montant de l’APL qui déforme les prix…
GILLES 08/08/2017
La conclusion également est « facile » qui suggère benoîtement une meilleure prise en cpte des ressources des ménages… Reste que ce prélèvement de type "flat tax" qui pèse peu sur les + aisés des locataires mais assène un coup de massue aux personnes hyperfragiles (mères célibataires avec enfants, par ex.) est l’expression de la brutalité néolibérale dans son imbécile éclat. Hervé Nathan note le 23 juil dans Marianne que 48 % du montant de l’APL est versé à des ménages appartenant au décile ...
GILLES 08/08/2017
Article intéressant, mais titre racoleur voire indigent. Prendre aux ménages les plus aisés… Lesquels, quand et comment ? Aux titulaires d’un PEL peut-être ? À titre d’exemple, pour des intérêts annuels de 205 euros, le cumul des six prélèvements sociaux (RDS, CSG, Prél. social, CS, FRSA, Prél. solidarité) s’élève à 106,60 €, soit 52 %… Faut-il ajouter un 6ème prélèvement ? Ou racler d’autres fonds de tiroir ? Quid des effets sur le consentement à l’impôt ? (IR de + en + concentré etc.).
John Galt 12 08/08/2017
ben voyons, 2 % des français payent 40 % des impôts, et il faudrait encore leur faire payer plus ? "Quand l'état vole Pierre pour donner à Paul, il pourra toujours compter sur le soutien de Paul" George bernard Shaw. Cela s'appelle du clientélisme. Les APL sont une absurdité qui servent à acheter des vois et se retournent contre ceux qu'elles sont censés acheter en augmentant artificiellement leur loyer payé ... ce qui se voit et ce qui ne se voit pas ...
ASTRID 27/07/2017
Quelle mauvaise idée ! Je consens pourtant à l'impôt mais hors de question de donner 5€ pour pérenniser un système scandaleux. Je rêve qu'enfin on pose haut et fort la question : EST-CE MORAL de s'enrichir davantage en louant un bien immobilier (dont on a souvent seulement hérité...) qu'en travaillant ? Est-ce moral de s'approprier une part énorme du revenu d'un foyer (IDF et grandes villes) sans rien faire d'autre qu'une quittance ?
JEAN CHRISTOPHE 26/07/2017
Transférons aux bénéficiaires des Allocations logement les +/- 4 milliards d'Euros par an de dépenses fiscales qui profitent autant aux multi-propriétaires (réductions d'IR via les régimes Scellier, Pinel ...)qu' aux promoteurs immobiliers(effet d'aubaine:Ils majorent leurs prix de vente en faisant valoir l'avantage fiscale dont le client pourra bénéficier ) .Ce transfert permettra à une partie des bénéficiaires des aloc. logement d'accéder à la propriété et de réduire le montant des APL versé
JEANNE 26/07/2017
et pour quoi ne pas demander aux propriétaires de baisser leurs loyers de 5 euros? Et soyons fous, pourquoi pas de 10 euros?
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