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Décryptage

Neymar et le PSG : un storytelling vers l’indéfini et au-delà

Montages financiers, déclarations de joueurs, réseaux sociaux, exigences salariales… Depuis dix jours, le transfert encore très incertain du Brésilien vers le PSG fait basculer la planète foot dans la fantasmagorie.
par Grégory Schneider, Ramsès Kefi et Nicolas Dhinaut
publié le 26 juillet 2017 à 19h46

Dimanche, Gerard Piqué, taulier du FC Barcelone, a posté sur Twitter une photo de lui avec son équipier Neymar, pisté par le PSG : «Se queda» («Il reste»). Mardi, le défenseur était en conférence de presse pour faire les sous-titres devant des médias chauffés à blanc par le silence assourdissant du Brésilien sur le sujet. Et Piqué a rappelé les dimensions ludiques et superficielles des réseaux sociaux : «C'est à Neymar de communiquer, mais c'est ce que je souhaite [qu'il reste, ndlr] et j'espère que cela se passera ainsi.»

Quels sont les faits ?

Avec une clause libératoire de 222 millions d'euros, un transfert de l'attaquant brésilien serait deux fois plus cher que le record en cours, celui de Paul Pogba à Manchester United l'été dernier. Neymar : l'un des cinq meilleurs joueurs du monde, superstar mondiale de 25 ans, produit rare et mondialisé, bankable à vie avec ses 30 600 000 followers sur Twitter - contre 5 500 000 pour les sept comptes officiels certifiés du Paris-Saint-Germain. Des chiffres qui donnent une idée du différentiel de force de frappe médiatique du club parisien, vecteur de communication principal à l'export du Qatar, avec ou sans le joueur dans ses rangs.

Et le sport ? Unai Emery, l'entraîneur du club de la capitale, dans l'Equipe, le 20 juillet : «Si on veut rivaliser avec le Bayern Munich, le FC Barcelone, le Real Madrid et gagner la Ligue des champions, le PSG doit avoir un joueur du top 5 mondial. On cherche à en faire signer un cet été.» Car, oui, le clan de Neymar a lui-même pris contact avec le PSG pour lui signifier qu'il pourrait palper ce qu'il reluque. Un crack, capable de mettre but sur but, de décomplexer ses coéquipiers et de transformer chacune de ses sorties médiatiques en séquence de biopic - comme jongler avec Justin Bieber en vacances. L'an passé, le père de l'international brésilien avait déjà pris contact avec le club parisien, négociant simultanément une belle rallonge de salaire avec le Barça (autour de 15 millions d'euros annuels aujourd'hui).

Quelle est la position du Paris-SG ?

Celle d’un club maintes fois éconduit par les mégastars du foot - même Antoine Griezmann a un jour confessé ne pas se voir une seconde à Paris - et qui s’est fait une raison… avant de voir, stupéfait, la plus séduisante de toutes revenir lui faire du gringue sans savoir si c’est du lard ou du cochon. Le club sous mandature qatarie parle le même langage que le Brésilien : faute de prestige et d’attractivité parmi les plus grands joueurs du monde, les dirigeants parisiens n’ont jamais eu d’autre choix que de payer des blindes pour les arracher à leurs clubs, grimpant même aux rideaux pour des joueurs dont leur entraîneur ne savait pourtant plus quoi faire - 63 millions d’euros pour Angel Di Maria en 2015, 50 millions pour David Luiz en 2014.

Or, le clan Neymar est d'une avidité proverbiale. A la suite de son transfert à Barcelone depuis Santos (son club formateur, au Brésil) en 2013, le footballeur a écopé d'une condamnation de 45 millions d'euros d'amende pour fraude fiscale au Brésil et d'une réquisition du ministère public espagnol de 10 millions d'euros d'amende et de deux ans de prison ferme. Le père (deux ans et 10 millions requis aussi) et la mère (un an et 10 millions) n'étant pas oubliés. Un détail hallucinant : à l'heure où Piqué expliquait publiquement mardi que c'était «à Neymar de parler», expédiant incidemment des dizaines de millions d'internautes sur le compte Twitter du Brésilien, celui-ci publiait une photo… publicitaire pour une marque de montre, avec «it's my time» («c'est mon heure») en exergue.

Selon le quotidien brésilien O Globo, le joueur réclame un salaire annuel de 30 millions nets, soit une cinquantaine de millions bruts. Ce qui ferait monter l'opération à des hauteurs himalayennes : 500 millions sur cinq ans de contrat si Paris s'acquitte auprès du FC Barcelone de sa clause libératoire de 222 millions. Certains, au club, peuvent bien avoir des doutes sur les bénéfices sportifs d'une opération qui imposerait, fair-play financier oblige, de se délester d'un paquet de joueurs (Di Maria, Lucas, Hatem Ben Arfa, Marco Verratti…), le Brésilien resterait une prise de guerre d'un prestige inouï aux yeux de Doha, un coup de tonnerre mondialisé. La voracité du clan Neymar et ce fichu fair-play financier peuvent cependant pousser le club à la limite de la loi : droits d'images gonflés artificiellement par rapport au salaire puis défiscalisés dans des paradis fiscaux, rôle d'ambassadeur du Mondial 2022 au Qatar payé somptuairement pour que le PSG supporte le coût d'un salaire moindre, prestations annexes (une tournée du FC Barcelone financée par Doha, par exemple) surpayées pour faire basculer une partie du montant du transfert sur un tiers sans que le Paris-SG ait directement à y voir… Un coup à figurer dans les Football Leaks de 2020. Mais on n'attrape pas Neymar sans mettre les mains dans l'eau de vaisselle.

Dans quelle situation est le FC Barcelone ?

Sans faire la saison de sa vie (13 buts en Liga alors qu’il dépassait la barre des 20 buts les deux exercices précédents), Neymar sera sorti comparativement grandi de sa dernière année en Catalogne : Lionel Messi a raté la plupart de ses grands rendez-vous et l’âge du prodige argentin (30 ans), autour duquel l’équipe est construite depuis une demi-douzaine d’années, donne du corps à l’idée d’une passation. Cette dernière prendra le temps qu’il faudra, deux saisons, trois saisons, mais elle est engagée. Les 25 ans de Neymar sont un atout incomparable, ce qui explique aussi la récurrence de ses envies de départ - au pied du mur, la direction catalane est plus ou moins obligée de revaloriser son salaire à chaque fois, une sorte de braquage à épisodes.

Certes, le joueur serait fondé de dire qu'il met son lustre personnel sous l'éteignoir depuis trois saisons, que son exil côté gauche et ses replis défensifs servent l'éclat d'un Messi qui, lui, ne défend jamais. Objectif personnel contre objectif collectif ? Il existe un outil de mesure pour évaluer la domination du premier sur le second dans l'esprit d'un joueur : le ballon d'or, trophée individuel décerné chaque hiver figurant le graal des grands de ce monde. A propos duquel Neymar a déclaré en avril : «J'en rêve. En revanche, je ne suis pas pressé. L'ambition personnelle n'est pas ce qui me motive. Je joue au foot parce que j'aime ça et parce que j'aime aider l'équipe. C'est seulement dans cet esprit-là que tu peux accomplir tes objectifs personnels.»

Après, à ces hauteurs, le foot n’est qu’une succession de discours de circonstance. Neymar ne s’appartient pas : ses pieds, sa vie et même son pognon ne sont pas à lui. La clause de départ de 222 millions du FC Barcelone a été pensée comme une arme de dissuasion : à l’heure où le transfert du prodige français Kylian Mbappé chez les rivaux du Real Madrid ne fait guère de doute, un départ de Neymar transformerait le Barça en un club qui laisserait passer les trains.

A quoi ressemble le storytelling ?

A un prototype. Mercredi, nos confrères d'Eurosport ont interrogé Marcelo Belcher, le journaliste brésilien à l'origine de l'information. Parmi les questions : «Pouvez-vous raconter l'histoire de cette info ?» Parmi les réponses : «Je savais que cela aurait une répercussion mondiale. Je ne savais simplement pas ce qu'était une répercussion mondiale.» Il dit : «Je n'ai pas l'info, mais j'imagine qu'il est sûr de lui aujourd'hui. Si je dois estimer la faisabilité du transfert, je dirais qu'il reste à 90 % au Barça.» Ça en laisse dix en balade, quelque part dans le champ des possibles. Le foot sans les matchs, c'est-à-dire sans le principe de réalité.

Le teasing de ce feuilleton est de fait d’un genre nouveau. Comment raconter une possible transaction à 222 millions d’euros quand le joueur dans la balance est muet ? Pas le choix : on le met progressivement sur le côté et l’on starifie autre chose (son père, un intermédiaire, un contrat), dans l’attente de son grand retour pour le dernier épisode (le dénouement). D’ordinaire, à ce prix (rédhibitoire), les clubs négocient entre eux le matin, l’après-midi, la nuit, pour trouver un terrain d’entente. Cela permet d’étirer l’intrigue dans le temps, juste assez pour la faire respirer et la restituer à l’échelle du football. Là, les Qataris sont déterminés à faire sauter la clause libératoire de manière unilatérale. On imaginerait presque Nasser, le président du Paris-Saint-Geramin, devant le siège du Barça, l’argent sous un drap dans le coffre de la voiture et son index tapotant le cadran de sa montre. Le récit est donc déroulé avec des codes venus d’ailleurs, beaucoup plus nerveux. Ceux du storytelling politique parfois, sur le mode François Fillon embourbé dans les affaires cet hiver - un coup il va à la présidentielle, un autre il renonce, avec des tuyaux qui s’entrechoquent sur une minuscule échelle de temps, dans la même fraction de seconde.

En dix jours, pêle-mêle : Neymar aurait dit oui au Paris-Saint-Germain, discuté avec ses coéquipiers du Barça dans une chambre, réfléchi, changé d’avis, fourni une liste de joueurs à acheter aux Qataris, changé d’avis encore, appelé des Brésiliens du PSG pour annoncer sa venue. Jusque-là, on est pourtant sûr d’une chose. Et une seule : Neymar n’a rien dit.

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