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Bangladesh / Pesticides

Pesticides mortels: le bilan de l’endosulfan s’alourdit au Bangladesh

Après la mort de 13 enfants d’une encéphalite aigüe, en juin 2012 au Bangladesh, une première étude avait attribué les décès à une toxine présente dans les litchis. Une contre-enquête de scientifiques bangladais et américains, publiée le 24 juillet 2017, pointe la responsabilité de l’endosulfan, un pesticide ayant déjà causé des centaines de morts dans la région.

Un Bangladeshi assis sur une pile de citrouilles, au marché de Dhaka le 9 septembre 2013.
Un Bangladeshi assis sur une pile de citrouilles, au marché de Dhaka le 9 septembre 2013. MUNIR UZ ZAMAN / AFP
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En juin 2012, 13 enfants sont morts au Bangladesh d’une inflammation du cerveau après avoir consommé des litchis. A l’époque, une analyse publiée dans la revue médicale britannique The Lancet avait attribué ces décès à une réaction à une toxine se trouvant naturellement dans les graines de litchis. Mais une contre-enquête internationale publiée lundi 24 juillet remet en cause cette explication : le responsable serait un insecticide, l’endosulfan, utilisé en trop grandes quantités sur les arbres fruitiers. Presque toutes les victimes habitaient au milieu des arbres fruitiers ou à moins de dix mètres d'un verger, rapporte l’AFP. Elles avaient pour habitude d’éplucher les litchis avec les dents et de les manger sans les laver, absorbant par le même coup les insecticides présents sur la peau.

« Notre enquête suggère que cette toxine n'a pas pu provoquer cette inflammation cérébrale mortelle chez ces enfants au Bangladesh en 2012 », a expliqué à l’AFP Saiful Islam, un scientifique au Centre international de recherche sur les maladies responsables de diarrhées à Dacca et principal auteur de ces travaux. La maladie mortelle a été provoquée « le plus probablement par une exposition multiple à des substances agro-chimiques très toxiques ». Le fait que les décès soient ciblés dans le seul district de Dinajpur, dans le nord du Bangladesh, semble contredire l’hypothèse d’une contamination par des toxines naturelles. D’autant plus qu’en juin 2012, les producteurs de litchis locaux utilisaient de l’endosulfan, et que cet insecticide n’en est pas à ses premières victimes.

Les ravages de l’endosulfan

En 2016, le Bangladesh était l’un des rares pays à autoriser encore une utilisation restreinte de l’endosulfan. Sa toxicité pour l’homme est pourtant connue depuis le début des années 2000. « L’endosulfan est un organochloré, comme le chlordécone, qui était utilisé aux Antilles, explique Bernard Jégou, directeur de recherche à l’Inserm, directeur de la recherche de l'Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique et spécialiste des perturbateurs endocriniens. Il s’agit de molécules où les atomes d'hydrogène ont été remplacés par du chlore. Aujourd’hui, on a la preuve de la toxicité de ces produits pour les espèces animales et pour l’homme, et les organochlorés sont généralement interdits dans les pays les plus développés économiquement. Mais il a fallu qu’il y a des centaines de morts pour que des réglementations soient mises en place ».

L’endosulfan a été développé dans les années 1950 en Allemagne, par la société Hoechst puis par la société Aventis. Dans les décennies 1980-1990, la production mondiale atteignait 10 000 tonnes par an. Il a fallu attendre 2000 pour que l'Environmental Protection Agency, recommande son interdiction aux États-Unis, 2005 pour que cette interdiction soit prononcée pour l’Union européenne et 2007 pour que les derniers stocks d’endosulfan soient écoulés en France.

« La loi du marché prime sur la santé des populations locales »

« C’est une industrie cynique, dénonce Bernard Jégou. Après avoir eu la preuve que les organochlorés avaient des effets extrêmement nocifs sur le cerveau humain, l’Europe et les Etats-Unis ont arrêté de l’utiliser pour leurs propres cultures. Mais pas d’en produire : en 2005, au moment de l’interdiction,  l'Europe produisait encore 4 000 tonnes d’endosulfan par an. Il était ensuite exporté et vendu en Inde, au Bangladesh, au Viêt Nam, à la Thaïlande... »

Dans ces pays, les cas mortels d'encéphalites aiguës dues aux pesticides se multiplient. En Inde, le Kerala, dans le district de Kasaragod, a été le théâtre de 4 270 intoxications par les épandages d’endosulfan depuis 1978, d’après les estimations du gouvernement local. 500 autres personnes y ont trouvé la mort. Ce scandale sanitaire a été révélé par les médias locaux en 2001, mais le gouvernement indien n’a accepté d’interdire la molécule qu’en 2012.

« Et encore, on soupçonne une très forte contrebande en Inde et au Bangladesh, voire en Europe, souligne Bernard Jégou. L’agro-business continue d’utiliser l’endosulfan à cause de sa très grande efficacité contre les parasites, même s’il sait que les enfants et les travailleurs de certains pays sont très exposés, notamment par la consommation de fruits non lavés. Il n’y a quasiment pas de contrôle sur l'épandage. La loi du marché prime sur la santé des populations locales. »

Entre son interdiction tardive, la contrebande et l’écoulement des stocks, l’endosulfan est encore loin d’avoir disparu des surfaces agricoles. Et s’il est relativement rémanent dans le sol, de l’ordre de 6 mois, ce n’est pas le cas pour tous les organochlorés : le chlordécone, notamment, exporté par la France vers les Antilles, a une rémanence de plusieurs siècles. « D'autres pesticides de type organophosphorés remplacent aujourd'hui les organochlorés, ajoute Bernard Jégou, qui eux ne sont pas interdits. Mais certains d'entre eux sont soupçonnés de provoquer des problèmes notamment neurologiques, la littérature scientifique est même assez convergente sur le sujet. Aujourd’hui, on assiste à des choses qu’on n’imaginerait pas voir au XXIe siècle. »

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