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Prise en charge de la radicalisation: un nouveau projet très discret

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Image d'illustration - AFP

INFO RMC - Alors que l’unique centre de déradicalisation vient de fermer à Pontourny, RMC vous dévoile l’existence d’un dispositif expérimental mis en place dans la plus grande discrétion depuis le début de l’année. 12 personnes ont été prises en charge par le dispositif RIVE. Un projet qui dépend du ministère de la Justice et qui semble tirer les leçons des échecs précédents en matière de déradicalisation.

Le lieu est tenu secret pour des raisons de sécurité. Quelque part en Ile-de-France, des personnes mises en examen ou condamnées pour des faits liés au terrorisme participent à un projet inédit de prise en charge renforcée en dehors de la prison. A ce jour, 12 personnes, hommes et femmes, ont été prises en charge par RIVE (pour Recherche et intervention sur les violences extrémistes), certaines depuis plusieurs mois, d’autres depuis seulement quelques semaines.

L’objectif affiché est le désengagement de l’idéologie de la violence et la réinsertion. "Ca ne concerne pas les cas les plus durs qui sont en prison, explique une source proche du projet, mais des personnes impliquées pour apologie du terrorisme ou ayant tenté sans succès de se rendre en Syrie. Mais dans ces dossiers, toute personne est considérée comme potentiellement à risque".

"Pas le droit à l’erreur"

Jusqu’à présent, le dispositif RIVE est principalement utilisé par les juges antiterroristes comme suivi obligatoire pour des personnes mises en examen. Mais il peut aussi être prononcé par les magistrats dans le cadre d’une condamnation avec mise à l’épreuve. Les juges de la récente 16e chambre correctionnelle de Paris s’y sont risqué trois fois déjà cette année comme alternative à la prison. "A chaque fois, c’est un pari, explique un magistrat impliqué dans ce dispositif. Nous n’avons pas le droit à l’erreur en terme de suivi. Mais mettre ces personnes en prison signifie les radicaliser encore plus".

Au cœur du dispositif, une association parisienne de réinsertion sociale qui a remporté l'appel d'offre du ministère de la Justice l'an dernier: l'Apcars. L’association accompagne les personnes placées sous main de justice depuis 30 ans. Pour mettre en pratique ce projet aux enjeux sensibles tant politiquement, que médiatiquement, elle s’est d’abord entourée d’une équipe de chercheurs pour concevoir la méthodologie puis a recruté et formé une équipe de professionnels: psychologues, psychiatres, éducateurs et spécialistes des croyances principalement. "Des personnes pragmatiques et lucides, estime ce magistrat, convaincu du bien-fondé du projet. Personne n’est dans le fantasme de la déradicalisation ici".

Suivi individuel et obligatoire

Le projet semble apparemment tirer les leçons des échecs des unités dédiées et du centre de Pontourny. Le suivi est 100% personnalisé et il est obligatoire, ce qui est inédit et rendu possible par la loi Urvoas du 3 juin 2016. Tout commence par une phase d’évaluation psycho-criminologique de plusieurs semaines qui permet de fixer des objectifs précis et individualisés avec chacune de ces personnes.

L’accompagnement varie ensuite de 2 à 8 heures par semaine et se fait sur mesure pour favoriser l’insertion. Au programme: accompagner les recherches de travail ou de formation professionnelle, aider à résoudre les problèmes administratifs, de santé, ou de famille, travailler en séance individuelle sur le parcours de vie ou sur les sources de motivation, discussions autour des religions...

"L’une des singularités de RIVE consiste à créer une relation de confiance et une forme d’adhésion des personnes et ce malgré le cadre d’une obligation judiciaire", explique un proche du dispositif. Les travailleurs sociaux sont également amenés à contacter les proches des personnes suivies et visiter leurs familles, "connaître l’histoire personnelle et l’environnement familial est primordial pour limiter le risque d’être manipulé", estime cette source.

Des moyens à la hauteur des objectifs

Le Service d'insertion et de probation (SPIP) garde la main sur la surveillance de la personne et fait l'interface avec le magistrat en charge du dossier, avec des moyens à la hauteur des objectifs. RIVE mobilise un référent social pour cinq dossiers, quand l’administration pénitentiaire est limitée à un agent de probation pour 80 à 100 dossiers en moyenne et un sur 40 dans les dossiers de terrorisme.

Le budget du projet est d’ailleurs en conséquence: 1 million d’euros selon plusieurs sources, ce que l’administration pénitentiaire n’a pas souhaité confirmer. Le financement prévu jusqu’à fin 2018 prévoit la possibilité de prolonger jusqu'en 2020 en cas de réussite. L'objectif annoncé par l'ancien Garde des Sceaux était de prendre 50 personnes en charge d'ici la fin de l’année et d'étendre le dispositif à d'autres régions. Il semble difficile à réaliser.

Jusqu’ici, la communication autour du projet a été totalement verrouillée. Esther Benbassa, sénatrice co-auteure du récent rapport sur "Les politiques de déradicalisation en France" avoue n’avoir pas eu connaissance de la réalité du projet. "J’espère que ce n’est pas pour en cacher les défauts", met en garde la sénatrice.

Claire Andrieux