Dans le vent

Eoliennes en mer : pourquoi tant d'atermoiements ?

Installée au large du Croisic, en Loire-Atlantique, la première éolienne flottante offshore devrait être mise en service d’ici à la fin de l’année. Une expérimentation tardive qui illustre les tergiversations françaises pour déployer cette technologie d'énergie renouvelable.
par Florian Bardou
publié le 30 juillet 2017 à 8h29

Appelez-la Floatgen. En cours de construction à 22 kilomètres des côtes du Croisic, sur le site d'essai technologique de Centrale Nantes (appelez-le Sem-REV), la première éolienne flottante en mer est bien partie pour voir le jour d'ici à la fin de l'année, conformément au calendrier annoncé. Son système d'ancrage en nylon, conçu par la société lorientaise Le Béon Manufacturing, vient en effet d'être mis à l'eau, se sont félicités jeudi ses concepteurs. Une première étape décisive avant la mise en place prochaine d'un flotteur en béton armé de 36 mètres de côté sur 10 de hauteur, ouvert en son centre, et l'érection du mât et des pales, pour une mise en route à titre expérimental (et pour deux ans) tout début 2018.

La mise en service de cette première éolienne offshore au large du sud Bretagne, peut apparaître comme une prouesse technique. Les éoliennes «flottantes» sont en effet une technologie balbutiante, dont la première ferme n'a vu le jour que la semaine dernière en Ecosse pour alimenter 20 000 foyers en électricité. Cependant, elle ne doit pas faire oublier que le déploiement dans les mers hexagonales de l'éolien est tardif (c'est un euphémisme) par rapport à nos voisins nord européens.

Ainsi, tandis que le Royaume-Uni (5 GigaWatts), l'Allemagne (4 GW) et le Danemark (1,3 GW) ont déjà à eux seuls près de 90% de la capacité en éolien offshore en Europe (12 GW), selon les derniers chiffres de l'Agence internationale des énergies renouvelables (Irena), la France n'a pour l'instant fourni aucun kilowattheure avec cette source d'énergie tout en disposant, paradoxalement, du deuxième gisement de vent européen. «Il y a un volontarisme et une culture des énergies renouvelables chez nos voisins européens qui ont longtemps manqué à la France», soulève Matthieu Monnier, responsable du pôle offshore pour l'association France énergie éolienne (FEE). Pourquoi tant de lenteur et d'atermoiements ?

Contraintes techniques lourdes

A l'heure actuelle, il existe deux technologies d'éoliennes offshore. La version «posée», c'est-à-dire fixée dans les fonds marins, dont les quatre premiers parcs, au large de Fécamp, Courseulles-sur-mer, Saint-Brieuc et Saint-Nazaire devraient (enfin) être mis en service entre 2021 ou 2022 après épuisement des recours des associations qui y sont opposées. C'est la technologie la plus ancienne, mais aussi celle qui fait face aux contraintes techniques les plus lourdes : elle ne permet pas de s'éloigner à plus de 30 kilomètres du littoral, dépend fortement de la (faible) profondeur de l'eau et est compliquée à installer «dans un environnement hostile et corrosif». «C'est pour cela que cette énergie renouvelable se développe lentement par rapport à l'éolien terrestre, souligne Raphaël Gerson, adjoint du service Réseaux énergies renouvelables à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). L'avantage, c'est qu'en mer, l'impact visuel des éoliennes est minimisé et les vents sont plus forts.»

La version «flottante», bientôt testée en France, permet, elle, d'aller à 50 ou 60 kilomètres des côtes, où les vents sont encore plus forts, et dans un pays où les fonds marins proches du littoral, notamment en Méditerranée, sont vite profonds, l'avantage est évident. Cependant, cette technologie n'a pas encore atteint sa maturité technique. Et son coût de revient, qui comprend le coût d'installation et de maintenance, excède encore les 200 euros par mégawattheure, trois fois plus que l'éolien terrestre ou le solaire. «Dans notre scénario, on estime qu'il y a de belles perspectives avec l'éolien flottant car on a des côtes moins faciles qu'en mer du Nord», estime Thierry Salomon, vice-président de l'association Négawatt. Or dans ce domaine, il est vrai que la France a pris une longueur d'avance. Raphaël Gerson, de l'Ademe, acquiesce : «L'enjeu, c'est de transformer l'essai.»

Des ambitions à revoir ?

Mais pour y parvenir, cela demande des objectifs et des ambitions chiffrées… que la France est loin de remplir. Ainsi, en 2010, les premiers textes nés du Grenelle de l'environnement ont fixé à 6 000 MW la puissance de l'éolien offshore pour concrétiser l'objectif de 23% d'énergies renouvelables dans le mix électrique français d'ici à 2020. Cependant, à cette époque, aucun projet en mer n'était engagé. «Aujourd'hui, on est très loin de l'objectif fixé par le Grenelle de l'environnement, admet Marion Lettry, déléguée générale adjointe du Syndicat des énergies renouvelables. Pour atteindre les objectifs fixés par la loi de transition énergétique de juillet 2015, qui prévoit que les énergies renouvelables doivent représenter 40% de la production électrique nationale à l'horizon 2030, il faut donc qu'on ait installé 20 à 21 GW en mer, ce qui représenterait 10% de cette production.»

Peut-on tenir les délais ? Attribués en 2011, puis en 2013, les deux premiers appels d'offres pour six fermes d'éoliennes posées offshore permettraient d'installer 3 000 mégawatts d'ici à 2023 conformément à ce que prévoit la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Toutefois, cette feuille de route de la politique énergétique pour 2016-2018 «floue» a déçu les pro-renouvelables par son manque d'ambition, et leur fait dire que les volontés ne sont pas à la hauteur des objectifs inscrits sur le papier. «L'enjeu de la révision à venir de la PPE, ce sera de préciser les ambitions de l'Etat pour atteindre cet objectif de 40% de renouvelable dans le mix énergétique d'ici à 2030, notamment en matière d'éolien offshore», avance Matthieu Monnier, de France énergie éolienne.

Recours systématiques des opposants

Car encore faut-il que les parcs éoliens annoncés, notamment à Dieppe-Le Tréport, Noirmoutier, Dunkerque et Oléron voient le jour. La procédure globale, de l'appel d'offres à la mise en chantier, est ici mise en cause par les défenseurs de cette énergie renouvelable, trop lourde et redondante selon eux. «On pourrait simplifier le cadre juridique de l'éolien en mer, n'envisager qu'une seule concertation publique en amont de chaque projet et réunir les demandes d'autorisation dans un seul dossier, plaide ainsi l'avocat spécialisé en droit de l'environnement Arnaud Gossement. Et puis il faudrait que l'Etat précise sa politique sur l'appel d'offres et sur les technologies à privilégier.»

Par ailleurs, depuis 2004 et le premier projet d'éoliennes en mer envisagé à Veulettes-sur-mer, en Seine-maritime, les associations opposées aux grandes pâles contestent systématiquement les demandes d'autorisation de mise en chantier des parcs éoliens en mer. C'est le cas de ceux de Saint-Nazaire et de Fécamp, dont les promoteurs ont obtenu gain de cause en mai et en juin devant la cour d'appel administrative de Nantes, seule juridiction compétente pour statuer sur chaque recours. Idem concernant le parc de Courseulles-sur-mer, dont la décision est attendue. «Tous les citoyens ont droit d'ester en justice, mais on s'interroge sur les motivations réelles des requérants», fait remarquer le représentant de France énergie éolienne Matthieu Monnier. Selon nos sources, le projet de loi relatif «au droit à l'erreur et à la simplification», qui sera présenté à la rentrée par le gouvernement Philippe, devrait «simplifier» la procédure de demande d'autorisation. Reste à savoir de quel côté souffle le vent.

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