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Voici ce qu’a vraiment dit Justin Trudeau sur la "barbarie" de l’excision
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Voici ce qu’a vraiment dit Justin Trudeau sur la "barbarie" de l’excision

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Scandale : le Premier ministre canadien aurait déclaré que l’excision du clitoris n'était "pas barbare". Si cette citation fait le tour des réseaux sociaux depuis le 29 juillet, reprise par certains politiques français, la réalité est bien plus complexe. Explications.

Tout part d’une phrase, plus que maladroite, scandaleuse : "L’excision du clitoris n’est pas barbare", qui aurait été prononcée par le Premier ministre canadien, Justin Trudeau. C’est en tout cas ce que semble indiquer le compte Twitter "L'important" le 29 juillet, dans un message qui sera ensuite partagé avec indignation sur les réseaux sociaux :

En réalité, la phrase n'est pas une citation de Trudeau. "L'important"relaie ici un tweet, relayant lui-même un billet publié dans Le Journal de Montréal par le chroniqueur Richard Martineau. Dans son papier d’opinion, l’éditorialiste entretient en effet le doute par un procédé stylistique : le discours indirect libre. En cherchant à critiquer la vision selon lui angélique du multiculturalisme de Justin Trudeau, Richard Martineau parle comme s’il était le chef du gouvernement canadien, exagérant sa pensée pour la décrédibiliser : "Au pays des licornes, il faut respecter la culture des autres, ce n’est pas poli de dire à certaines communautés que lapider des femmes adultères, couper le clitoris des fillettes et tuer des adolescentes parce qu’elles ont osé embrasser un jeune garçon, porter une jupe ou enlever leur voile est 'barbare'", ironise ainsi le journaliste d’opinion. Voici comment le titre du billet - "L’excision du clitoris n’est pas barbare" - a été replacé dans la bouche de Justin Trudeau et relayé.

Plusieurs responsables politiques français, comme Nadine Morano, Florian Philippot ou Valérie Pécresse, ont ainsi relayé le tweet de L’important, s’insurgeant contre le chef du gouvernement canadien :

Réforme du Guide de citoyenneté

A l'origine, Richard Martineau n’attaque toutefois pas Justin Trudeau sans raison : l’éditorialiste est outré par une modification à venir du Guide de citoyenneté, remis à tout citoyen qui immigre au Canada. En 2011, une réforme entreprise par les conservateurs avait rajouté un paragraphe à ce guide, avertissant que certaines "pratiques culturelles barbares", comme les crimes d’honneur et l’excision du clitoris, étaient considérées comme des crimes au Canada. "Or ce passage sera retiré", enrage Richard Martineau.

L’agence d’information "La presse canadienne" s’est procuré le document de travail de la réforme du Guide de citoyenneté, lancée début 2016 et sur le point d’être mise en oeuvre. Effectivement, la refonte du guide prévoit la suppression des éléments sur les "pratiques culturelles barbares". Si Justin Trudeau n’a jamais nié que l’excision était barbare, il souhaite enlever cette mention du Guide de citoyenneté...

Une polémique vieille de 6 ans

Le Premier ministre a d’ailleurs déjà été au coeur d’une polémique sur ce sujet... C'était il y a six ans, en 2011, lors de la réforme du Guide de citoyenneté menée par les conservateurs. Justin Trudeau était alors député, et il a effectivement dit quelque chose sur le sujet. Le libéral s’était élevé contre l’utilisation du mot "barbare" : "Nous n’atteignons rien de plus en utilisant le mot "barbare" que si nous utilisions le terme 'absolument inacceptable'", avait argué Trudeau. "Nous acceptons que ces actes [les crimes d’honneur et l’excision, ndlr] sont absolument inacceptables, ce n’est pas le débat. Lors d’une discussion informelle, j’utiliserais même le mot barbare pour décrire la circoncision féminine, par exemple, mais dans une publication officielle du gouvernement canadien, il doit au moins y avoir une tentative de neutralité responsable."

Justin Trudeau avait renchéri, dans des propos relayés sur une radio canadienne, en déclarant : "L’utilisation d’un mot aussi péjoratif que 'barbare' a beaucoup de chances d’hérisser quelqu’un". Cet extrait ressort d'ailleurs régulièrement sur les réseaux sociaux sans forcément faire attention à la date de mise en ligne de mars 2011 :

Les excuses de Trudeau en 2011

A l'époque, la polémique avait sérieusement endommagé l’image de Justin Trudeau. Attaqué par plusieurs adversaires politiques, mais également au sein de son propre camp, le libéral avait fait machine arrière quelques jours plus tard : "Je veux clarifier les choses : je pense que les actes décrits [les crimes d’honneur et l’excision, ndlr] sont abominables, barbares et totalement inacceptables dans notre société". Voilà qui pourrait clarifier la controverse de 2017... En 2011, en tout cas, Trudeau s’était platement excusé : "Je retire mes commentaires, et m’excuse s’ils ont été interprétés par quiconque comme pouvant écarter ou diminuer la nature sérieuse et épouvantable des crimes d’honneur et des autres formes de violence basées sur le genre".

C'est donc la mise en application du projet de refonte du Guide de citoyenneté, suivie du billet d'humeur de Richard Martineau reformulé abusivement par un tweet mis en lumière par "L'important", qui se sont conclus par cette fausse déclaration. Trudeau n’a jamais dit que l’excision du clitoris n’était "pas barbare". Sa réforme est en revanche un bel exemple du multiculturalisme béat et communautariste qu’incarne le chef du gouvernement canadien.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne