Accusée du meurtre d'un proche de Pinochet, elle témoigne après sa libération

La Française Marie-Emmanuelle Verhoeven, 57 ans, était retenue en Inde depuis 2015 sur la foi d'un mandat d'arrêt du Chili. Elle vient de rentrer en France. Prison, surveillances, intimidations, elle a tout subi.

 Marie-Emmanuelle Verhoeven, 57 ans.
 Marie-Emmanuelle Verhoeven, 57 ans. DR

    Enfin libre. Retenue pendant plus de deux ans et demi en Inde, où elle a passé seize mois emprisonnée dans des conditions très difficiles, la Française Marie-Emmanuelle Verhoeven, 57 ans, a atterri jeudi soir à Roissy. Elle avait été arrêtée en Inde, le 16 février 2015 — où elle effectuait un pèlerinage bouddhiste — à la frontière avec le Népal, à la demande de la justice chilienne, qui l'accuse d'avoir participé à l'assassinat de Jaime Guzman, un sénateur proche de l'ancien dictateur Pinochet en 1991. Considéré comme un des idéologues de la dictature, Guzman avait été abattu par un groupe d'extrême gauche, le Frente Patriotico Manuel Rodriguez, mais la Française, qui travaillait au Chili à l'époque, a toujours nié avoir participé à ce meurtre.


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    > Retour sur les conditions de sa libération

    Depuis, elle est traquée sans merci par le Chili, qui a tenté une première fois de la faire extrader d'Allemagne, où elle avait déjà été arrêtée en 2014, en vain. Puis en Inde où la justice a finalement décidé de lui permettre de rejoindre la France. Affaiblie mais déterminée, celle qui se définit comme bouddhiste a bien l'intention de continuer le combat et de dénoncer la corruption qui, selon elle, est à l'origine de sa longue détention en Inde. Elle se confie à notre journal en exclusivité.

    Dans quel état d'esprit êtes-vous aujourd'hui ?

    Marie-Emmanuelle Verhoeven. Soulagée, évidemment, même si je ne réalise pas encore. On me dit que je vais certainement subir une « décompensation », alors je m'y prépare (sourire). Mais je suis surtout très satisfaite des conditions de ma libération : la justice indienne a reconnu l'illégalité de cette procédure, c'est une victoire sur le plan légal.

    Comment expliquez-vous cette situation ?

    Il n'y a pas de mystère. Quand j'ai été arrêtée en 2015 sur la foi du mandat d'arrêt du Chili, la Haute Cour de justice de Delhi avait dès le début affirmé que la demande d'interpellation et d'extradition était irrégulière. Normalement, c'est au pays d'origine de la personne visée, la France pour moi, de gérer ce problème. Pourtant, je suis restée en prison seize mois, puis assignée à résidence ! Pourquoi ? Parce que des fonctionnaires indiens ont été corrompus par des agents du Chili. A la prison de Tihar, à Delhi, où j'ai été incarcérée, les officiers ne comprenaient pas pourquoi l'avis de la Haute Cour qui demandait ma libération immédiate n'était pas respecté.

    « J'ai d'abord passé huit mois dans une cellule à 35 personnes, puis dans une cellule à 15»

    Quelles étaient vos conditions de détention ?

    Très, très difficiles. Rien ne m'a été épargné. Tihar, c'est 16000 prisonniers pour 6 000 places... En tant que détenue étrangère, j'aurais dû bénéficier d'un statut de protection. Ça n'a jamais été le cas : j'ai d'abord passé huit mois dans une cellule à 35 personnes, puis dans une cellule à 15. Dans la cellule à 3, c'était presque pire : on avait 40 cm au sol pour dormir, on ne pouvait pas allonger ses jambes, j'ai mis beaucoup de temps à m'en remettre. Il n'y a pas de douche, un WC pour 35 personnes, l'été c'est une véritable fournaise et l'hiver il fait froid.

    Comment avez-vous tenu ?

    D'abord grâce au bouddhisme. J'ai mis en pratique ce que j'avais appris : beaucoup de yoga, ne jamais prendre les choses personnellement, savoir analyser et avoir du recul. Chaque matin, je savais que j'allais devoir me battre toute la journée, même pour marcher ! J'ai été victime de brimades permanentes, on me faisait croire que j'étais abandonnée, que mon avocat m'avait lâchée. Mais j'ai aussi découvert chez les détenues une formidable solidarité : elles m'ont défendue quand j'ai été agressée en cellule, on a mené des combats pour avoir de l'eau, du lait pour les bébés...

    Vous avez aussi reçu le soutien de beaucoup d'Indiens...

    Oui. Des élus comme le parlementaire anticorruption Subramanian Swamy étaient révoltés de ce qui m'arrivait et m'ont soutenue jusqu'au bout. De nombreux avocats m'ont aidée gratuitement, des gens très prestigieux qui n'ont jamais voulu être payés. Cela m'a beaucoup servi, notamment quand j'ai été libérée de prison mais que j'ai dû rester assignée à résidence. Il a fallu me protéger contre le harcèlement des services chiliens sur le sol indien. Ils avaient réussi à trouver le lieu de ma résidence, pourtant secret, et ont tout fait pour m'intimider. Ils se sont fait passer pour des journalistes, pour un ex-mari, ils harcelaient le commissariat chargé de me surveiller... A la fin, j'ai obtenu une protection permanente.

    «Le dossier d'accusation chilien contre moi est totalement vide»

    Pourquoi le Chili poursuit-il cette procédure ?

    Je ne sais pas. Peut-être parce qu'en 1994, en raison de mon métier à l'époque (NDLR : elle était missionnée par les Nations Unies sur le sort des prisonniers politiques) auprès du personnel pénitentiaire chilien, j'avais été en contact avec des membres du groupe accusé de l'assassinat. Mais c'était après les faits, et je n'ai rien à voir avec eux ! Le dossier d'accusation chilien contre moi est totalement vide.

    Le Chili envisage de demander des comptes à la France...

    Mais qu'ils le fassent ! Ils ne l'ont jamais fait ici, ils n'ont jamais envoyé de procédure judiciaire en France, c'est curieux, non ? Je serais ravie de pouvoir enfin m'expliquer et de leur demander pourquoi j'ai été l'objet d'une telle persécution de leur part.

    Me Clémence Witt, l'avocate de Marie-Emmanuelle Verhoeven

    Droit de réponse de l'ambassadrice du Chili


    « Madame la Directrice,

    Au sujet de ce que Mme Marie Emmanuelle Verhoven a affirmé dans l'interview publiée le 31 juillet dans le journal « Le Parisien », il faut préciser ce qui suit :

    Marie Emmanuelle Verhoven a été mise en liberté pour des raisons exclusivement médicales et humanitaires, répondant à une demande consulaire française. Ladite décision n'a pas été prise pour des motifs d'illégalité, ou d'irrégularité dans la procédure ou de toute autre nature. Il faut de plus tenir compte que tous les recours interposés en défense de Mme Verhoven contre la demande présentée en novembre 2015 ont été rejetées par la Cour Suprême indienne.

    La France s'est engagée pour sa part à traiter ce cas de manière bilatérale avec le Chili.

    Les affirmations de la citoyenne française sur les raisons selon lesquelles la procédure d'extradition présentée en Inde a été abandonnées sont fausses et ne reposent sur aucun fondement. La justice indienne n'a pas considéré illégale la demande d'extradition du Chili ; elle l'a retirée en invoquant des problèmes graves de santé de Mme Verhoven, lors de son examen.

    Mme Verhoven bénéficiait d'une liberté provisoire depuis plus d'un an. Et comme toute personne en bénéficiant, elle devait remplir certaines conditions fixées par les tribunaux indiens.

    Les affirmations concernant des actes illicites de fonctionnaires chiliens sont également fausses. En effet, tous les actes du gouvernement chilien ont été entrepris dans le total respect de la loi indienne en matière d'extradition et transmis au Ministère des Affaires Etrangères de l'Inde.

    Le Chili souhaite seulement que Mme Verhoven soit extradée afin de pouvoir comparaître devant la justice chilienne, où elle est mise en examen comme co-auteur d'un délit d'une extrême gravité, à savoir un attentat terroriste ayant causé la mort d'un Sénateur de la République, perpétré en démocratie.

    Cette comparution judiciaire ne suppose en aucun cas préjuger de sa culpabilité, celle-ci devant être démontrée par les tribunaux chiliens, dans les instances correspondantes.

    Les relations diplomatiques entre le Chili et la France sont excellentes. Dans ce contexte, et tenant compte de l'engagement des autorisés françaises de collaborer avec le Chili dans le traitement de ce dossier, nous formulons des vœux afin que la coopération judiciaire réciproque fonctionne pour des éventuelles demandes qui pourraient émaner des tribunaux de justice à l'avenir.

    Je vous prie de recevoir, Madame la Directrice, les assurances de ma très haute considération.

    Marcia Covarrubias

    Ambassadrice du Chili en France »