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Monde

Gaza subit une pollution terrible... qui se répercute sur Israël

La pollution de la côte et des nappes phréatiques de Gaza a gravement empiré depuis que les stations d’épuration de l’enclave palestinienne sont à l’arrêt, faute d’électricité. Les 100.000 mètres cubes d’eaux usées rejetées quotidiennement dans la Méditerranée polluent aussi la côte israélienne.

  • Jérusalem (Israël/Palestine), correspondance

Les malheurs de Gaza sont une litanie où la population, prise en otage entre les blocus israéliens et égyptiens, l’emprise du Hamas et ses rivalités avec le Fatah, subit toujours plus les tourments d’un gâchis sans nom. Il y a quelques mois, les Gazaouis devaient se satisfaire de six ou sept heures d’électricité par jour. Ils ne pouvaient mesurer leur bonheur car depuis, l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas (Fatah) a décidé de ne plus payer aux Israéliens les factures d’électricité du Hamas — qui exerce le pouvoir dans la bande de Gaza. Résultat, la compagnie d’électricité israélienne coupe le courant et comme, faute d’une centrale sur leur territoire, les Gazaouis dépendent pour leur électricité d’Israël, ils vivent avec deux ou trois heures d’électricité par jour. Parfois la lumière revient la nuit, parfois le jour, on ne sait pas, on ne peut rien prévoir. En conséquence, l’économie, qui avait davantage besoin d’une respiration que d’avoir le souffle coupé, est de nouveau à l’arrêt.

Cette pénurie d’électricité s’accompagne de l’effondrement de deux centres de traitement des eaux usées, qu’il est impossible de réparer ni même de faire fonctionner correctement à cause des restrictions de courant. Le tout-à-l’égout conduit directement au littoral, une décharge à ciel ouvert. Chaque jour, plus de 110.000 mètres cubes d’eaux usées se déversent sur le rivage de Gaza. Selon Ecopeace Middle East, une ONG environnementale israélo-jordano-palestinienne, c’est un tiers de plus que la normale. 

Pourquoi la coupure de l’électricité ? Parce que Mahmoud Abbas, le chef de l’Autorité palestinienne, basée à Ramallah, est en conflit avec le Hamas, qui contrôle la bande de Gaza. M. Abbas veut la suppression du Comité administratif créé en mars par le Hamas pour gouverner Gaza. Or, l’Autorité palestinienne verse chaque année 1,5 milliard de dollars à Gaza pour l’électricité, l’éducation, la santé et les salaires publics. Si le Hamas ne se soumet pas, il ne touchera plus les subsides de Ramallah. 25 % du budget a déjà été coupé. Faute d’argent, le Hamas ne paye plus l’électricité gérée par Israël qui a coupé une partie du courant...

La pollution est telle qu’elle commence à gêner les Israéliens 

En tout cas, la situation était déjà très grave, elle est aujourd’hui hors contrôle. Les Gazaouis n’ont plus d’eau potable à disposition et achètent à tour de bras des bouteilles d’eau minérale. Les poissons se font de plus en plus rares et lorsqu’ils sont pêchés, ils sont chargés en métaux lourds et gavés de résidus plastiques. Aucune échappatoire n’existe puisque les pêcheurs palestiniens ont interdiction par la marine israélienne d’aller au-delà de 6 milles marins (environ 11 km) des côtes où nagent des bancs de poissons plus nombreux et plus sains.

Le front de mer de Gaza, en juillet 2015. Avant l’arrêt des usines d’épuration, des rejets massifs vers la mer avaient déjà lieu.

Les nappes phréatiques sont également polluées à 97 % si on se réfère aux normes internationales. Les usines de désalinisation fonctionnent mal, l’eau courante est salée et partiellement contaminée. Selon l’ONU, 1,45 million de personnes à Gaza risquent de contracter des maladies d’origine hydrique en raison de la consommation d’eau dangereuse. Chaque année, « nous constatons une augmentation de 13 à 14 % du nombre de patients admis avec des problèmes rénaux », alerte le Dr Abdallah al-Kishawi, responsable du service de néphrologie à l’hôpital Shifa, dans la ville de Gaza. Les enfants contractent de plus en plus de fortes diarrhées, des parasites voire des vers. Plus perméables à l’intoxication des métaux lourds, ils pourraient en outre subir des conséquences cérébrales dramatiques.

La pollution est telle qu’elle commence à gêner les Israéliens. Les plages de Zimkim et d’Ashkelon, situées respectivement à 5 et 15 km au nord de Gaza, ont été interdites à la baignade plusieurs jours depuis fin juin. La situation inquiète les élus. « Dans notre pays, on investit beaucoup dans la technologie, plus que dans n’importe quel pays d’Europe, pour la sécurité et contre le terrorisme. Mais même avec toute la technologie du monde, on ne peut pas bloquer les eaux usées venues de Gaza, s’ils continuent à les déverser dans la mer ! » s’indigne Yair Farjun, président du conseil régional de Hof Ashkelon. Les nappes phréatiques israéliennes sont aussi touchées. L’État hébreu a demandé de suspendre la pompe de deux puits situés en bordure de Gaza. Yair Farjun a bien envoyé des camions pour pomper les eaux usées, mais en raison d’un volume trop important, l’élu a abandonné le chantier. Des membres de la Knesset, le parlement israélien, ont convoqué une commission d’urgence fin juin. Un projet de tuyau qui viendrait pomper les eaux usées à la sortie de Gaza est à l’étude. Elles seraient ensuite épurées à Sderot, la ville israélienne voisine de la bande de Gaza.

Toute la mer Méditerranée est concernée 

Pour Gidon Bromberg, ce projet est un « sparadrap sur une jambe de bois ». Selon le directeur d’EcoPeace Middle East, « il faut avant tout favoriser le fonctionnement de la prochaine grande station d’épuration gazaouie financée par la Banque mondiale acheminant depuis Israël l’électricité pour l’alimenter ». Cette station, située au nord de la bande de Gaza, est pour l’heure inactive alors qu’elle permettrait d’épurer un tiers des eaux usées de l’enclave palestinienne. Côté palestinien, alors que les deux partis rivaux, Hamas et Fatah, poursuivent un bras de fer, Mohammed Dahlan, homme d’affaires et responsable politique palestinien en exil, annonce que le projet d’une grande centrale électrique devrait voir le jour à Gaza, financé par le Qatar à hauteur de 100 millions de dollars.

Le front de mer de Gaza, en juillet 2015.

Toute la mer Méditerranée est concernée par cette décharge à ciel ouvert qui pollue aujourd’hui massivement les côtes israéliennes, gazaouies et égyptiennes. Les côtes orientales de la mer sont déjà touchées par le fléau des sacs plastiques dix fois plus que celles de l’ouest, selon l’ONG israélienne EcoOcean. Une catastrophe compte tenu de la transformation en microparticules des différents composants plastiques. Une autre étude, celle de l’ONG Oceana, révélait déjà il y a dix ans que 400.000 tonnes d’hydrocarbures étaient déversées illégalement en Méditerranée chaque année. Et si cela ne suffisait pas, voilà que la multiplication des plateformes de haute mer depuis la découverte de gaz ou de pétrole en Israël, en Égypte et à Chypre menace une mer déjà qualifiée de la « plus polluée du monde ».

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