CONFLITLes Rohingyas de Birmanie face «à une catastrophe humanitaire»

Rohingyas en Birmanie: La situation de la minorité la plus persécutée au monde s'aggrave encore

CONFLITMinorité musulmane dans un pays à majorité bouddhiste, les Rohingyas sont considérés par l’ONU comme l’une des minorités les plus persécutés au monde. Et les violences ont repris vendredi dernier...
Depuis le 25 octobre 2017, les violences entre musulmans et bouddhistes en Birmanie ont mis des milliers de civils sur les routes.
Depuis le 25 octobre 2017, les violences entre musulmans et bouddhistes en Birmanie ont mis des milliers de civils sur les routes. - SIPA
Fabrice Pouliquen

Fabrice Pouliquen

L'essentiel

  • Les Rohingyas, musulmans, constituent l’une des minorités de Birmanie, à majorité bouddhistes. Depuis des décennies, ils sont victimes de discriminations au point d’être considérés par l’ONU comme l’une des minorités les plus persécutées au monde.
  • Une nouvelle vague de tensions entre musulmans et bouddhistes, commencée vendredi dernier, aggrave encore un peu leur situation.

«L’une des minorités les plus persécutées au monde. » Le constat de l’ONU remonte à plusieurs années déjà. Le sort des Rohingyas, une minorité musulmane vivant dans l’Etat d’ Arakan, dans l’ouest de la Birmanie, pays à 90 % bouddhiste, n’est pas beaucoup plus enviable aujourd’hui.

Depuis le 25 août, les violences redoublent même entre rebelles musulmans rohingyas et l’armée birmane dont la répression pourrait être assimilée, selon l’ONU, a une épuration ethnique. 20 Minutes fait le point sur la situation.

Qui sont les Rohingyas ?

Les Rohingyas se disent descendants de commerçants arabes, turcs, bengalis ou mongols et font remonter leur présence en Birmanie au 15e siècle. Ils sont musulmans dans un pays de 51 millions d’habitants à majorité bouddhiste. « Les recensements sont complexes, mais on estime leur nombre à un million en Birmanie, plus précisément dans l’Etat d’Arakan, précise Morgane Eches, coordinatrice Myanmar-Birmanie pourAmnesty International. A cela s’ajoutent environ 400.000 autres Rohingyas qui ont fui la Birmanie pour les pays voisins, essentiellement le Bangladesh. »

Pourquoi les Rohingyas sont persécutés en Birmanie ?

Morgane Eches évoque un climat, depuis longtemps, de fortes tensions interreligieuses entre bouddhistes et musulmans. « Le Vénérable W, le film documentaire de Barbet Schroeder, sorti cette année, raconte bien cela, précise-t-elle. Il y a un discours de haine de la part d’une partie de la communauté bouddhiste envers les Rohingyas. Cette peur de l’étranger venu piquer des terres, reprendre des commerces, marier les femmes… »

Considérés comme un peuple arrivé au moment de la colonisation britannique, les Royingas sont exclus des 135 ethnies officiellement reconnues par l’Etat birman. Une loi de 1982 leur retire même la citoyenneté birmane aux Rohingyas, devenant de facto des apatrides. « Ils n’ont aujourd’hui aucun droit et n’ont pratiquement aucun accès au travail », reprend Morgane Eches.

En juin 2012, la répression monte d’un cran lorsque des Rohingyas se voient accuser du viol d’une Birmane. Ce sera le point de départ d’une forte vague de répression à l’égard de la minorité musulmane. « Le gouvernement birman s’est livré à une campagne de nettoyage ethnique contre les Rohingyas, qui se poursuit aujourd’hui, à travers le refus de l’accès à l’aide humanitaire et l’imposition de restrictions à leur liberté de circulation », écrivait le 22 avril 2013 l’ONG Human Rights Watch (HRW) dans un rapport intitulé « Tout ce que vous pouvez faire, c’est prier ». « Les autorités gouvernementales ont détruit des mosquées, lancé des vagues d’arrestations accompagnées de violences et bloqué l’accès à des organismes d’aide humanitaire aux musulmans déplacés. »

La situation des Rohingyas n’a-t-elle jamais été aussi critique qu’aujourd’hui ?

Les violences entre bouddhistes et musulmans sont montées d’un cran en octobre 2016 lorsqu’un groupe de rebelle rohingyas, l’Arakan Rohingya Salvation Army (Arsa) a lancé des attaques surprises contre des postes frontières birmans, entraînant une nouvelle campagne de répression de la part de l’armée birmane.

« En octobre 2016, l’Asra ne comptait que quelques assaillants, relativement désorganisés », note Morgane Eche. Mais ce vendredi 25 août, l’organisation a signé une nouvelle opération d’une plus grande ampleur en attaquant une trentaine de postes de police dans l’Etat d’Arakan. Depuis, selon les derniers chiffres donnés par l’ONU, ce vendredi, 27.400 Rohingyas ont fui la Birmanie pour le Bangladesh voisin depyuis le 25 août et 20.000 autres seraient bloqués à la frontière. Une ONG de défense des droits des Rohingyas, citée par l’AFP, évoque aussi « 130 personnes tuées par l’armée birmane, dont des femmes et des enfants ».

« Nous sommes face à une catastrophe humanitaire aujourd’hui », estime Morgane Eche. Les civils se retrouvent pris au piège entre les conflits entre les rebelles à l’armée birmane d’une part et l’impossibilité de fuir vers le Bengladesh voisin, qui ferme régulièrement ses frontières. Le pays n’a de toute façon pas les structures pour accueillir autant de réfugiés. » Faute de pouvoir passer par les postes frontières, nombre de Rohingyas tentent alors leur chance par les eaux, sur des rafiots, en traversant la rivière Naf, une frontière naturelle entre les deux pays. Trente-neuf corps se sont échoués ces derniers jours, rapporte un officiel de la région de Cox Bazar, une ville du Bengladesh, toute proche de la Birmanie.

Aung Sang Suu Kyi, prix Nobel de la Paix en 1991, aide-t-elle à pacifier le conflit ?

La Birmane pourrait faire plus, selon Amnesty International. Depuis avril 2016, Aung Sang Suu Kyi est ministre des Affaires étrangères de l’actuel gouvernement birman. « Certes, elle n’a pas main mise sur les postes clés qui pourrait lui permettre de peser véritablement sur le conflit et elle doit composer avec une armée surpuissante et qui monte les communautés les unes contre les autres en Birmanie, admet Morgane Eches. Il n’empêche, elle n’a pas pris position pour défendre les civils et sensibiliser la communauté internationale à la souffrance des Rohingyas. Elle ne peut pas ou ne veut pas le faire, on ne sait pas très bien. »

Le 24 août dernier, une commission à la tête de laquelle se trouvait Kofi Annan faisait trois recommandations principales pour améliorer le sort des Rohingyas : rétablir leur liberté de mouvement, leur donner accès à l’aide humanitaire et réviser les lois sur la citoyenneté de 1982. Le risque sinon selon cette commission d’enquête : que la rébellion des Rohingyas se radicalise.

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